Dérisoires supputations, le dernier roman d'Arnold Couchard
Écrit par Paolo Zagaglia   
Mardi, 15 Mars 2011 06:58
J'avoue avoir accueilli avec surprise le mail laconique, qui fit suite au mien sollicitant Arnold Couchard pour lui poser quelques questions  sur son dernier roman.
« Très occupé pour le moment. Mais quelqu'un vous en parlera mieux que moi... »

Suivait simplement une adresse que je tairai pour des raisons de confidentialité mais qui me renvoyait à une vaste demeure patricienne sur les hauteurs de la ville.
Première surprise : n'était la neige, le bâtiment ressemblait étrangement à celui figurant sur la couverture du roman.
C'est une jeune femme blonde en jeans qui répondit à mon coup de sonnette. Son attitude désinvolte contrastait avec l'atmosphère plutôt solennelle du hall dallé de marbre.  Comme je me présentais, elle eut un petit air entendu :

― Monsieur Couchard nous a prévenu, je vais vous conduire auprès de Fédor. Il vous attend...
Des bruits assourdis de conversations parvenaient des étages.
Elle m'introduisit dans une sorte de grand salon-bibliothèque.
Derrière un bureau d'acajou aux dorures typiquement Louis XVI, un homme âgé, de forte corpulence et dont la barbe blanche débordait sur un costume de chasse à boutons d'argent, se leva et m'accueillit avec une grimace qui pouvait passer pour un sourire.

― Je vous laisse, fit la jeune femme.

― Heureux de vous recevoir, monsieur Zagaglia. Mon nom est Nassimovitch. Fédor Nassimovitch.
Il attendit qu'elle soit sortie pour remarquer :
« Charmante fille, Clémence. Un peu bizarre, mais charmante... Asseyez-vous donc, monsieur Zagaglia... »

― Monsieur Couchard m'a...
Il m'interrompit d'un petit geste de la main :

― C'est toujours pareil, avec lui... Un homme charmant, mais toujours prêt à refiler la patate chaude... si vous voyez ce que je veux dire... Pour en venir à ce qui vous amène, il a dû s'imaginer que je pourrais vous parler de son dernier roman...

― Tout à fait, c'est à dire que...

― Ne me dites rien. Je devine qu'il s'est contenté de vous envoyer un mail prétextant Dieu sait quoi... Bon. Et bien, voyons ça... Je suppose que vous l'avez lu...

― Ben non. Je l'ai reçu hier et à part la quatrième de couverture, je n'ai pas eu le temps de...

― Ça n'a pas d'importance. À part que si vous l'aviez lu, cela aurait simplifié les choses. Je vais devoir vous raconter l'histoire...

― Non. Non... Ou alors très brièvement... Ce que les lecteurs souhaitent c'est surtout...

― Bien. Très brièvement, alors.
J'avais compris que Fédor Nassimovitch était de ces hommes qui ont la détestable habitude de vous interrompre et de vous empêcher systématiquement de vous exprimer. Je renonçai donc à toute intervention et lui abandonnai le soin de me détailler les péripéties du roman. Je passe sur les détails que tout un chacun pourra découvrir à sa lecture et le laissai conclure :
« … en résumé c'est l'histoire d'un romancier qui débarque dans une petite ville de province... Verviers, pour ne rien vous cacher... et qui y retrouve une amie à qui il a envoyé le premier chapitre de son dernier roman... »

― Oui, dis-je. J'ai bien compris. Il y rencontre plusieurs personnes qui se font passer pour les personnages de ses romans et qui lui demandent des comptes...
Il me lança un petit regard étrange :

― Qui se font passer... ? Oui... enfin, on peut dire ça. Mais en réalité...
À mon tour de l'interrompre. Je pensais surtout au taxi qui m'avait amené jusque là et dont le compteur continuait à tourner.

― Et bien c'est parfait. Je vais essayer de m'en sortir avec ça...

― Vous croyez qu'il y a matière à un article, même sur Best of Verviers ? Parce que nous pourrions encore en parler longuement...

― Non, non... Surtout pas... Ne vous tracassez pas... J'en ai plus qu'il n'en faut... dis-je en me levant.

― Je vais vous raccompagner...
Il me reconduisit à travers le hall. Les conversations, en haut, semblaient avoir pris un tour plus véhément et il eut un petit regard agacé vers les étages, à travers l'immense escalier tournant.
Comme il me tendait une main pour prendre congé, je lui demandai :

― Mais, au fait, qui êtes-vous exactement par rapport à Arnold Couchard ?
Il haussa les épaules, dodelina du chef et finit par lâcher comme à contrecœur :

― Et bien je suis simplement un des personnages récurrents des romans de monsieur Couchard...
Puis, en regardant vers l'intérieur, il ajouta :
« Comme tous les autres, là-haut... »

 



NB : J'espère que mon vieux camarade Paolo me pardonnera de l'avoir mêlé à cette histoire.

 

 

 

Mise à jour le Mardi, 22 Mars 2011 21:09