Jean-Guillaume Baron de COLINS de HAM (1783- 1858)
Mardi, 31 Mars 2009 18:50
La chronique historique du mois dernier, consacrée à l’abbé DEBOUCHE, évoquait simplement le fait que celui-ci s’était occupé d’un jeune pensionnaire.

Comme son maître, COLINS est une personnalité hors du commun, trop peu connue dans notre région où il vécut une dizaine d’années avant de s’en aller bourlinguer et de ne jamais y revenir. Mais DEBOUCHE disparu en 1805, pourquoi son élève serait-il revenu chez nous ?

Son séjour à Cornesse puis à Dison fut studieux, au contact d’un remarquable pédagogue qui lui ouvrit largement l’esprit.

 

Jean-Guillaume-Léon-Alexandre-Hippolyte de COLINS de HAM est né à Bruxelles le 23 décembre 1783, fils (naturel ?) de Jean-Guillaume (1729-1799), officier de carrière, chambellan à la Cour impériale de Bruxelles puis grand bailli du « Roman Païs » (Brabant wallon) et d’Anna-Josefa RICOT (ou RICORT ou RICOURT) dont nous ne savons rien.

 

De 1791 à 1801 il est confié au savant prêtre DEBOUCHE. Celui-ci l’initie aux auteurs grecs classiques, à saint Augustin et à saint Thomas, à Descartes et à Condillac, le préparant à recevoir l’enseignement des Encyclopédistes. On perçoit l’aspect éclectique mais aussi méthodique de la pédagogie de DEBOUCHE.  Culture antique, culture chrétienne, puis la Raison, avec Descartes, et le sensualisme avec Condillac, deux philosophes aux systèmes fort différents, preuve que le maître veut pour son pupille une formation large et critique. Ainsi se place-t-il vraiment dans le sillage de l’Encyclopédie : le savoir critique est le moteur du progrès.

C’est Condillac qui aura le plus marqué notre jeune COLINS.

 

Il quitte son mentor en 1801 pour un voyage en Allemagne (nous n’avons pas de renseignements à ce sujet)  et, le 15 décembre 1803 s’engage au 8e régiment de Hussards français.

Il est militaire jusqu’en 1816, avec une interruption de 1811 à 1813.

Il terminera sa carrière avec le grade de chef d’escadron et la Légion d’Honneur.

En garnison à Lille en 1804, il y suit des cours de mathématiques et se serait distingué en géométrie.

Plus tard, en 1810, il est envoyé par l’armée à l’école impériale d’Alfort y étudier l’hippiatrique (médecine vétérinaire appliquée aux chevaux) et l’agriculture. Brillants succès en 1811 et 1812.

Il quitte l’armée en septembre 1811 pour se lancer dans une carrière administrative mais, au début de 1813, il se réengage car, après la Retraite de Russie, il sent que l’heure est grave pour l’Empire.

Sa fidélité napoléonienne le fera éjecter des forces armées en juillet 1816, sous Louis XVIII.

Pendant deux ans, il s’adonne aux études de médecine et aux intrigues bonapartistes.

Il aurait pu entrer dans l’armée du nouveau royaume des Pays-Bas avec le grade de général, mais il dédaigne cette offre.

Il arrive à Philadelphie (USA) en juin 1818 : c’est un nid de bonapartistes exilés et il y complote en vain jusqu’à la fin de l’année.

COLINS s’installe alors à Cuba et devient propriétaire de plantations de café. La fortune est là !

Il épouse en 1820 une créole, Marie-Louise de SAINT-GEORGES, une veuve originaire de Saint-Domingue. C’est le black-out sur sa vie privée et nous savons seulement qu’il est le père d’un conspirateur cubain né en 1822 et d’une fille née en 1827, outre une autre fille, naturelle, qu’il avait en France.

 

Ce curieux homme que rien n’arrête passe alors les examens de médecine à La Havane.

En France, la situation politique  change : en 1830, la révolution parisienne met fin à la Restauration. Colins est à nouveau attiré par le pays des libertés et retourne en France, laissant à Cuba femme et enfants, d’ailleurs fort bien pourvus.

A nouveau, il se lance à Paris dans des complots bonapartistes et,  pour cette cause, voyage à Vienne, Philadelphie à nouveau, Liverpool.

Moment clé dans sa vie, cette période 1832-1834 où il s’écarte de l’action politique pour étudier les auteurs utopistes Saint-Simon et Fourier.

Pendant dix ans, il va fréquenter très sérieusement l’université : sciences, lettres, théologie, droit, médecine, histoire naturelle…

N’entrons pas dans les méandres de sa pensée, assez compliquée et théorique.

Il va promouvoir le « socialisme rationnel », qui aura peu de succès et n’occupera qu’une place modeste dans la gamme des « socialismes ».

En 1833 déjà, il est le premier à prôner un système complet de nationalisation de la terre. On lui devrait  aussi le néologisme « collectivisme ». Collectivisme limité aux campagnes.

Il va exposer ses idées dans « Le Pacte social » et dans « Le Socialisme rationnel ».

Il laisse une petite école de disciples dont Louis de POTTER(1786-1859), publiciste républicain belge, constituant  de 1830. Celui-ci a écrit un « Catéchisme social » qui ne veut pas la suppression des riches mais bien celle des pauvres. De POTTER veut l’abolition totale de la propriété privée, la collectivisation des terres et des instruments de travail.

 

On a connu un groupe colinsien à Verviers, encore actif peu avant la Première Guerre mondiale, mais on ne découvre aucune trace d’une activité locale avant 1870.

 

Le remuant COLINS est emprisonné de juin 1848 à mars 1849 (changement de régime oblige !) et en vient à considérer, à la suite des ses méditations carcérales, qu’une dictature appuyée sur les militaires peut seule faire triompher le socialisme rationnel et amener la société nouvelle de ses rêves. Saisissante conclusion !

 

Il continue à penser, à correspondre avec ses disciples, à écrire abondamment, car c’est un auteur prolixe en matière d’économie politique, de philosophie, de sciences sociales…

 

Malade et assez isolé, il meurt en novembre 1859, confiant dans l’avenir de l’humanité, selon sa devise Adsit mens populis.

 

Jacques WYNANTS, avril 2009

 

 

Nos sources :

Robert KOTHEN, Le Socialisme, Louvain, 1946

Ivo RENS et William OSSIPOW, Histoire d’un autre socialisme. L’école colinsienne 1840-1940, Neuchâtel, 1979

Jacques WYNANTS (Père), Ainsi naquit une industrie. La condition ouvrière à Verviers avant 1900, Verviers, 1984

 

On trouvera une étude encore plus complète, même sur le plan biographique, dans

Ivo RENS, Introduction au socialisme rationnel de Colins, Neuchâtel, 1968 ( 546 pages !).