A tous ceux qui sont sur le chemin ! A celui qui arrive là où la montagne se dresse...: Lettre de Thierry
Écrit par Best of Verviers   
Jeudi, 15 Juillet 2010 07:56
« Pluie d’étoiles », une grande soirée caritative, le 9 octobre 2010 au Grand-Théâtre de Verviers, en faveur du Fond Ariane uniquement ? Non !
Pour Marthe et ses amis organisateurs, le but est aussi d' "En parler car le sujet est encore tabou dans beaucoup de familles. J'essaye de faire passer le message qu'il ne faut pas avoir peur d'aller trouver la personne malade. Tout geste, même s'il paraît minime et sans importance, aide à avancer. Et cela, tout le monde ne s'en rend pas toujours compte. Or c'est important"
"Pluie d'étoiles", ce sont aussi... des lettres ! Lettres à tous ceux et celles qui sont sur le chemin ! Lettre à ceux qui arrivent là où la montagne se dresse...
Ceux qui sont passés par là vous en parlent à coeur ouvert. Thierry est notre second témoin. 

Thierry une montagne s'est présentée un jour sur ta route. Tu ne  t'y attendais pas ?


C'est amusant cette métaphore avec la montagne car pour moi, l'épreuve n'a jamais pris cette apparence. Pourtant, juste avant que l'on diagnostique ma maladie, j'ai assisté à un spectacle aux Rencontres Théâtre Jeune Public à Huy. C'était en août 2008. Il s'agissait de Petit Navire. Cette pièce du Théâtre des Zigomars raconte l'histoire de Petit Navire et de sa soeur Roxane qui s'interrogent sur les raisons qui poussent leur mère à toujours vouloir gravir les plus hauts sommets. Régulièrement arrive par le courrier, comme un petit vent d'espoir, une carte postale de maman qui ne dit toujours pas quand elle reviendra... Ce spectacle, c'est d'abord l'odyssée d'une vérité difficile à affronter, à avouer.


Tu me demandes Christophe si je m'y attendais. C'est difficile à imaginer que ta route va peut-être s'arrêter ici, là, maintenant, froidement car je n'étais pas malade. Juste l'addition d'une série de petits dysfonctionnements qui m'étonnaient et que je ne m'expliquais pas. Pour moi, c'était la réponse rationnelle, la solution enfin trouvée après deux années d'interrogations.

 
Qu'est ce qui se passe dans la tête lorsqu'on regarde cette montagne se dresser droit devant son chemin. Impossible de changer de cap, il faut y aller  ?
Tu sais, Christophe, avant le 5 septembre 2008, je n'étais jamais absent à l'école pour maladie. J'ignorais tout du milieu de l'hôpital et je ne savais pas ce qui m'attendait. J'ai subi toutes les épreuves, les examens, ponctions de moelle, chimiothérapies, etc. avec obéissance car je n'avais pas le choix. J'étais dans un tunnel tout noir avec l'impossibilité de faire marche arrière. Je devais avancer car j'espérais revoir la lumière. La fin du traitement était prévue au mois de mars, aux premiers jours du printemps. J'ai guetté dans mon jardin l'apparition des premiers bourgeons, le début de ma seconde vie.
 
On la gravit marche après marche, jour après jour, semaine après semaine, en scrutant le sommet de temps en temps, sans jamais trop oser y croire. A chaque jour suffit sa peine, non ?
Ma chimio s'étalait sur trois semaines : première semaine, 3 jours d'injections, deuxième semaine un jour d'injection et puis le produit commençait à agir. La troisième semaine devait me permettre de récupérer. C'était comme si j'étais dans la mer, il fallait chaque fois descendre plus bas, plus longtemps, sans respirer. Quand je revenais à la surface, je regonflais mes poumons d'air et il fallait redescendre. Les périodes de récupérations étaient de plus en plus courtes. A chaque fois, c'était des bombes qui étaient lâchées et heureusement, mon corps a bien résisté. La chimio, ce n'est pas un médicament, c'est du poison.
 
La mort ?
La mort... moi qui en avait si peur, j'en avais fait une alliée. Je me disais que si un moment donné, cela n'allait plus, elle me permettrait de me reposer. Je n'ai jamais souffert, je n'ai jamais été angoissé. Avec la cortisone et malgré les calmants, chaque nuit je restais quelques heures éveillé et je pensais dans le noir à toute une série de choses mais jamais je n'ai été triste ou perturbé. J'avais une quiétude et une espèce de "grâce" qui m'a permis de traverser cette épreuve avec sérénité. De plus, très rapidement, les résultats se sont montrés très rassurants : je réagissais très bien au traitement.

Une rencontre qui t'a marqué durant cette épreuve ?
Ma maladie, ce n'est pas l'histoire d'une rencontre mais l'histoire de rencontres : je me suis reposé sur cinq ou six piliers, des personnes vraies qui avaient, à des degrés divers, traversé également des épreuves dans la vie et dont le discours m'apportait beaucoup. Ceux qui vont t'accompagner, ce n'est souvent pas ceux à qui tu aurais pensé, loin de là. Certains reviendront à la fin mais ce sera trop tard... Maintenant, si tu me demandes une rencontre, c'est celle de Léonide, avec qui j'ai partagé une chambre. C'était le plein hiver. Cette année-là, il a été particulièrement rigoureux. Le soir, le chauffage est tombé en panne et nous avons dormi sous d'épaisses couvertures et heureusement le lendemain, l'incident a pu être réparé et nous n'avons pas été évacués comme prévu. Mon compagnon d'infortune venait d'une république soviétique et il logeait au Petit-Château. Il venait d'être trépané pour la seconde fois et avalait sa chimio avec bonheur car dans son pays, il n'aurait pas bénéficié d'un tel accompagnement médical. Sans la maladie, jamais nos routes ne se seraient croisées. Je ne sais pas ce qu'il est devenu et j'espère qu'il est, à présent, guéri.  


A l'hôpital ?
L'Institut Jules Bordet à Bruxelles, dans le service d'hématologie, c'est là que j'ai été soigné. C'était ma maison pendant la maladie. Tout le monde était très gentil, compétent et efficace. Ils m'ont beaucoup apporté. Merci au Professeur Bron et à toute son équipe. C'est pour eux que j'ai voulu mettre sur pied une soirée caritative le 9 octobre à Verviers, au Grand-Théâtre. Ma deuxième vie, je la leur dois. J'ai logé à pratiquement tous les étages, j'ai été en chambre stérile pendant dix jours et j'avais une confiance absolue envers les médecins et le personnel infirmier.

L'importance de l'entourage, son épouse, sa famille, ses proches,.... ?
C'est vrai mais en même temps, tu es seul face à la maladie. Personne ne t'accompagne. Je ne pouvais compter que sur ma femme qui en plus de son travail devait assumer toute une série de charges supplémentaires. Ma maman avait à l'époque 84 ans et est aveugle, ce qui ne l'a pas empêchée de me prendre chez elle une semaine pour permettre à mon épouse de récupérer. C'est vrai que la famille c'est important et cette épreuve vécue avec ma femme a consolidé nos liens davantage car c'est une période qu'on a traversée à deux.

La peur ?
La peur, jamais. J'ai toujours eu un bon moral et pour ceux qui me connaissent, surtout mes élèves, ils ne m'auraient pas trouvé différent : c'est-à-dire blagueur et un peu décalé. Quand j'arrivais à l'hôpital, on me demandait d'abord de raconter mes aventures, mes blagues, ce qui m'était arrivé car je profitais un peu de ma situation pour mettre les gens dans des situations embarrassantes. J'ai eu deux fois les larmes aux yeux : la première, c'est dans mon bain, quand mes cheveux se détachaient, beaucoup plus vite que prévu et la seconde fois, j'attendais ma chambre ainsi qu'un jeune homme de 19 ans qui était accompagné de sa maman. Il allait commencer son traitement et on était à la veille de Noël. Je suis sorti le 24 décembre en sachant que lui devait rester encore deux jours de plus et qu'il en avait pour un an de traitement... Moi qui travaille dans un Athénée avec des adolescents, c'est des situations difficiles à accepter.
 
Puis un jour vient l'éclaircie...
Et il faut réapprendre à vivre tout simplement...
 
Le bonheur d'être en vie, ça te dit quoi  ?
Au début du traitement, ma femme qui travaille aux Communautés Européennes s'est branchée sur le réseau cancer, en interne. Elle m'a communiqué le numéro de téléphone d'un de ses collègues qui avait eu la maladie d'Hodgkin quelques années auparavant. Je suis resté une heure ou deux à côté du combiné. J'hésitais à le contacter car je savais les questions que j'allais lui poser et les réponses qu'il allait me formuler. Cela s'est passé comme je l'avais prévu. Il m'a dit : "vous allez changer, vous ne serez plus comme avant...". C'est cela que je ne voulais pas entendre et c'est bien cela qui est arrivé.
J'adhère parfaitement à cette phrase de l'acteur Bernard Giraudeau qui dit : "Je ne reviendrai jamais du voyage de la maladie, je ne reviendra jamais vers la vie d'avant. Jamais. La maladie est un voyage dont on ne revient pas : soit c'est la mort, soit c'est une autre vie qui commence."


La reprise de l'autre côté de la montagne est bien difficile au quotidien ?
C'est sans doute la partie la plus dure car tu dois tout reconstruire et les autres te considèrent comme guéri donc fini, on en parle plus. La reprise a été très difficile car on ne sort pas indemne d'une telle épreuve, et physiquement et psychologiquement. Néanmoins, quand je relis mon texte, tu vois, je te l'ai quand même dessinée, Christophe, ta montagne !  mais néanmoins, sans cette expérience, jamais je n'aurais ressenti à présent aussi fort les choses, appris à savourer l'instant présent, m'attacher à l'essentiel. Chaque jour qui passe, je me dis, encore un de gagné, merci la vie. Faisons gagner la Vie !


Merci Thierry, que ta vie soit belle !

Christophe

Mise à jour le Mardi, 27 Juillet 2010 06:49