Chapuis Grégoire-Joseph
Écrit par Bost TH.   
Lundi, 01 Septembre 2008 01:59

Conférence donnée au THEÂTRE de VERVIERS le 9 NOVEMBRE 1874 Par Monsieur  Th. BOST

Grégoire-Joseph, est né à Verviers le 11 avril 1761. Cette figure verviétoise représentait aux yeux de ses concitoyens, surtout les pauvres, la justice et la solidarité. Philosophe acquis aux idéaux de la révolution française, il fut défenseur acharné du Progrès et des Réformes.

Mort pour l'indépendance du pouvoir civil le 2 janvier 1794.

Mesdames, Messieurs!

Il y a dans l’univers qui nous entoure des spectacles de toute espèce qui nous émeuvent par leur grandeur, qui nous touchent par leur beauté. La mer a ses vastes horizons, et l’éternelle agitation de ses vagues; les montagnes ont des cimes sublimes, les cieux des profondeurs infinies; la terre nous offre en foule d’inépuisables sujets d’admiration; la forêt avec ses hôtes innombrables et ses concerts aériens, les fleurs aux parures éclatantes, les collines qui varient à l’infini l’aspect d’un pays, les moissons aimées de l’agriculture et qui blanchissent au loin les campagnes; les fleuves, dont l’onde transparente reflète la végétation qui fleurit sur leurs bords.

 

Si de la nature extérieure, nous passons au monde de l’humanité, nous nous trouvons en face d’une créature nouvelle, et nous pouvons admirer les productions du génie humain. L’architecture, la sculpture, le dessin, la peinture, la musique, tous les beaux arts en un mot, éveillent en nous les sentiments les plus vifs: devant ces chefs-d’oeuvre qui traversent les siècles, nous éprouvons la même admiration que celle dont les auteurs avaient été animés. La poésie aussi nous enchante et nous charme, soit qu’elle célèbre les grands drames de l’histoire humaine, soit qu’avec son langage noble et relevé, elle chante les passions si diverses qui font tressaillir nos coeurs. L’industrie a des merveilles qui nous frappent de stupeur et nous donnent la haute idée des pouvoirs de l’esprit humain. La science, qui multiplie ses prodiges à mesure que l’humanité se développe, a quelque chose d’imposant qui agit sur notre imagination et nous inspire un profond respect pour les puissantes facultés dont nous sommes doués.

 

Tout cela est bien beau, mais il existe un genre de beauté qui me semble supérieur encore. A mes yeux, rien n’égale la beauté d’un beau caractère. Une vie humaine bien conduite, vouée au devoir, à la justice, au bien, une vie où la passion dominante est de faire prévaloir de grandes idées et de grands principes, fût-ce au prix des plus douloureux sacrifices, une telle vie est à mes yeux au-dessus de tout. J’admire sincèrement dans l’âme humaine la force du raisonnement, l’éclat de l’imagination; mais sa meilleure gloire est celle d’une conscience qui va droit où l’appelle le devoir, sans se laisser ni suborner ni retarder par des considérations d’ordre inférieur.

 

Grégoire-Joseph Chapuis, dont nous allons vous entretenir, fut un de ces hommes de bien qui forcent l’estime de tout le monde, un de ces caractères qui commandent à la fois le respect et l’admiration. Si je l’ai bien jugé, on ne pourrait pas, sans exagération, lui attribuer des facultés intellectuelles absolument hors ligne. Son passage, trop court hélas, dans la vie politique de Verviers, ne le signale pas comme un de ces brillants météores qui illuminent toute une époque. On ne voit en lui, ni ce génie extraordinaire qui trouve la solution des questions qui agitent un siècle, ni même ce pouvoir particulier d’expression qui semble imposer à tout le monde, par la magie du style, les idées que d’autres ont trouvées. Non: il eut des facultés solides, saines, et il les développa de la manière la plus consciencieuse. Mais il fut surtout un homme de coeur, un ami de la justice, en un mot un caractère. Si l’on ose emprunter à l’histoire évangélique cette parole qui a une consécration toute spéciale et toute saine, on pourrait dire de lui: il alla de lieu en lieu faisant le bien. Et quand, au terme d’une vie toute remplie de bonnes intentions, il reçut l’échafaud pour sa récompense, son courage, sa bonté, sa confiance en Dieu - car il était de ceux qui croient en Dieu - son amour pour la bonne cause, ne subirent dans son coeur aucune atteinte de ces circonstances adverses. Simplement il avait vécu au milieu de l’affection des siens et de la vénération de toute sa ville; simplement il mourut, victime innocente d’un gouvernement despotique, sans se départir ni de sa sérénité ni de sa douceur, et sans avoir de mauvaise pensée envers personne.

 

Tel fut l’homme qui va faire l’objet de ce discours, un homme vraiment homme, et assurément l’un des meilleurs citoyens que Verviers puisse se vanter d’avoir vu naître.

 

A vrai dire, mon but n’est pas de donner une biographie complète de Chapuis. Mes principaux éléments d’information seront empruntés à une notice qui parut à Verviers en 1847, sous le titre de Biographie de G.-J. Chapuis, publiée au bénéfice de sa fille unique. L’auteur a cru devoir garder l’anonyme; mais beaucoup de nos concitoyens savent à qui ils doivent adresser leur estime pour ce noble témoignage public rendu à Chapuis. Cette notice a dû laisser dans l’ombre beaucoup de points qu’il eût été désirable de connaître, mais que l’absence de documents n’a pas permis d’éclaircir. Un vide étrange, à peine explicable, s’est fait autour de ce nom que l’on aurait dû entourer du plus grand lustre. En outre, la vie de Chapuis, utile, modeste, exemplaire, a été dans son ensemble extrêmement unie, sauf à la fin, d’aucune de ces aventures tragiques qui prêtent à la vie de certains lutteurs un intérêt si puissant. N’attendez donc pas, je vous prie, de l’exposé qui va suivre, un genre d’émotion qu’il ne peut pas vous offrir. Je m’attacherai surtout à retracer devant vous le caractère de Chapuis, tel qu’il se dessine clairement d’après les détails authentiques et connus de sa vie. Mais je me croirais, Messieurs, plus malheureux qu’il m’est permis de l’être, si même avec cette tâche un peu ingrate au premier abord, je ne parvenais pas à exciter dans tous vos coeurs le désir, la volonté de vous associer à l’oeuvre de réparation que l’on poursuit aujourd’hui.

 

Quelques mots encore avant d’entrer en matière, pour faire en quelque sorte l’historique de la question, telle que je la connais.

 

Je ne remonterai pas en 1847, où avait paru la biographie mentionnée plus haut. Le généreux auteur avait pour ainsi dire prêché dans le désert. Le silence n’avait pas tardé à se faire de nouveau, et sa réclamation était comme non avenue.

 

L’année dernière, le comité des Soirées populaires reçut entre autres pour son concours littéraire une pièce intitulée “Un martyr”, où l’auteur, M. Demoulin, de Liège, adressait à la mémoire de Chapuis l’hommage le mieux mérité. Le jury s’associa de coeur aux nobles sentiments de l’auteur, et reproduisit, “pour les laisser, dit le rapport, comme des germes dans l’esprit de notre population,” ces mots qui terminent le poème:

 

Ce glorieux martyr n’a pas un monument

Qui consacre à jamais son noble dévoûment.

Quand on meurt, comme lui, pour des droits légitimes,

L’échafaud politique ennoblit ses victimes!

Justice soit rendue à ce décapité.

Martyr du droit public et de la liberté.

 

 

C’est donc à M. Demoulin que revient l’honneur d’avoir ramené devant la population verviétoise l’intéressante question qui nous rassemble aujourd’hui.

 

Les circonstances étaient plus favorables qu’autrefois: l’idée ne devait plus passer inaperçue. On parla d’un comité qui devrait la mettre à exécution. A ce moment, il se trouva un homme de coeur et d’initiative qui entreprit d’éditer, en abandonnant son bénéfice au profit du monument à élever, une biographie de Chapuis aussi complète qu’il fût possible d’après les documents existants. Il s’adressa à un homme distingué que notre ville est heureuse de posséder, bien connu dans le monde de l’enseignement et des lettres, et qui, par sa loyale sympathie pour la cause de la victime, était capable de répandre le plus vif intérêt sur son histoire. Lui aussi donnait gratuitement, au profit de la même oeuvre, son temps et son talent.

 

Passons, sans y répondre, sur les viles et méprisables attaques auxquelles l’éditeur et l’auteur furent en butte également. Il y a des gens, paraît-il, qui à force de penser le mal, en viennent à ne plus pouvoir comprendre le bien, à contester bassement chez leurs adversaires toute pensée de désintéressement.

 

Toutefois, il était important de constituer au plus tôt un comité, pour donner évidemment, officiellement, dirai-je, à l’oeuvre du monument Chapuis, son véritable caractère.

 

Nous ne saurions en effet le dire trop haut: le but que l’on se propose en érigeant un monument à Chapuis est avant tout une oeuvre d’amour et de justice, il s’agit d’un hommage à rendre à un grand citoyen, victime des passions politiques de son temps, dont la mort fut de l’avis de tout le monde, une faute, et selon nous un crime, de la part de ceux qui l’ordonnèrent, et que sa ville natale n’a pas encore apprécié à sa véritable valeur. Nous pouvons donc convier à cette oeuvre de réparation, toutes les personnes indistinctement chez lesquelles l’esprit de parti n’a pas éteint le sentiment des plus hautes convenances.

 

Après cela, il est clair que cet honneur que nous réclamons pour le martyr implique un blâme pour le prince-évêque. Mais est-ce notre faute si notre vénération pour l’un renferme une condamnation pour l’autre? Quand l’histoire proclame l’innocence, et glorifie l’héroïsme d’un martyr de la liberté, qui donc serait autorisé à venir, au nom des ménagements dus à la personne d’un évêque, nous défendre d’honorer un homme qui a donné sa vie pour son pays? Seulement cette condamnation n’est plus l’objet que nous avons en vue. Et vraiment, nous aurions fort à faire si nous voulions ramasser dans l’histoire tous les princes qui ont été des tyrans, tous les évêques qui ont voulu être absolus: on en remplirait des tombereaux, et nous n’irions pas perdre notre temps à demander pour M. le prince-évêque de Méan une flétrissure qu’il aurait en commun avec des milliers de ses pareils. Ce qui est plus pressant, et ce que nous voulons faire, c’est d’honorer le mérite où nous le rencontrons, et de vouer, non pas aux despotes qui ont disparu dans l’abîme de l’histoire, mais au despotisme, toute la haine qu’il mérite.

 

Que s’il y a parmi nous, je veux dire dans notre ville, des personnes dont les sympathies soient pour le prince, qu’elles fassent comme nous: qu’elles ouvrent une souscription publique pour élever un monument à S. A. le prince-évêque François-Antoine de Méan de Beaurieux.

Cela dit, entrons en matière.

 

Dans une maison qui existe encore aujourd’hui à Verviers, naissait en 1761 un jeune enfant, Grégoire-Joseph Chapuis, dans une famille où l’exercice de la médecine était déjà héréditaire depuis longtemps. Les heureuses aptitudes de l’enfant, de son esprit et de son coeur, se développèrent d’abord au sein et par l’influence d’une famille nombreuse. L’enseignement public était misérable au point que, en 1600, d’après les Notes historiques sur Verviers, un bourgeois sachant lire et écrire était une merveille. - Pour les ouvriers, c’était bien pis: l’on ne prenait aucune peine pour les retirer de la plus profonde ignorance. Qu’ils sachent leur métier quisqu’on a besoin de leur travail, mais il n’est pas nécessaire qu’ils sachent rien au delà. Autrefois du moins, pendant de longs siècles, il y avait pour tous les citoyens dans le pays de Liège une instruction pratique de premier ordre, une initiation à la vie politique, comparable, sinon supérieure, à celle que le peuple recevait dans l’ancienne Rome. Mais au 18e siècle, grâce à la sournoise habileté des princes de la maison de Bavière, les institutions démocratiques d’autrefois avaient presque entièrement disparu: il n’en restait qu’une vaine et menteuse apparence.

 

Ce que l’on appelle aujourd’hui l’enseignement primaire laissait beaucoup à désirer. On se contentait de peu. Une école suffisait à une ville entière, et quelle école encore? Je n’insiste pas, n’ayant pas de renseignements sur ce qui se passait alors à Verviers.

 

A dix ans, l’enfant entrait à Verviers toujours, au Collège de Saint-Bonaventure, où l’on faisait des études relativement supérieures. Quatre professeurs, dit-on, y composaient le corps enseignant, et cela dans une ville de huit à dix mille âmes. Dans un tel état de choses, ceux-là seuls réussissaient, qui avaient, ou des facultés d’une trempe particulière, ou la ferme volonté de réussir. Tout porte à croire que Chapuis fut du nombre de ceux qui savaient vouloir. L’habileté d’exécution qu’on lui reconnut plus tard, son savoir étendu, la marche graduelle et sûre de son développement, tout indique que dès ses jeunes années, il dut se faire remarquer par la régularité de sa conduite et son ardeur au travail.

 

Il était en outre à bonne école auprès de son père qui, désireux de faire de lui un médecin, ne s’épargnait pas de lui communiquer les résultats de son expérience. Le jeune homme accompagnait le vieux praticien dans ses visites et se formait ainsi à un art où une longue pratique est encore plus utile que le savoir technique.

 

En 1779, son père l’envoya à Breda, en Hollande, où sous l’habile direction du chirurgien militaire Lasur, il devait ajouter considérablement à ses connaissances médicales. Messieurs les militaires ne s’entendent que trop à donner de la besogne aux chirurgiens, à leur fournir des sujets d’expérimentation aussi nombreux que variés. Quand il quitta le régiment, après trois ans et demi de séjour, il était déjà en état de seconder efficacement son père et de la décharger d’une partie de ses fonctions.

 

Il avait alors vingt-deux ans à peine.

 

Ici vient se placer un fait que je vais vous dire, et qui donne lieu à quelques observations. Chapuis ne fut jamais ni l’homme d’un seul livre, ni l’homme d’une profession. Il avait l’esprit ouvert de tous les côtés, et s’intéressait à tout ce qui est humain. On le vit plus tard; cela est un fait certain et constant, et quoi que les documents nous fassent défaut pour ce qui concerne le mouvement de ses idées dans sa jeunesse, nous sommes absolument dans la logique de sa nature et de son caractère en affirmant que, jeune homme, il s’intéressait aux questions humanitaires comme il le fit plus tard à trente ans. Ce n’est pas impunément qu’un homme comme lui vivait à la fin du 18e siècle. Il y avait de grandes choses dans l’air. Le vieux monde s’écroulait. Des préjugés profondément enracinés, des privilèges monstrueux comme ceux qu’avait légués le moyen âge, s’en iraient-ils d’eux mêmes pour faire place à la justice, à l’égalité, à la liberté? Pouvait-on attendre de la nature humaine ce miracle, pour ceux qui avaient égoïstement joui pendant des siècles de privilèges immenses, arrivassent tout d’un coup à en faire le sacrifice sur les autels de la justice? C’était peu probable. On pouvait donc prévoir des choses terribles, des collisions redoutables.

 

Dans ce pays de Franchimont où il vivait, le mal était moindre qu’en France, et ne remontait pas si haut dans le passé. Les instincts et les habitudes du gouvernement démocratique couvaient encore sous la cendre.

 

Les idées nouvelles qui arrivent trouveront ici un terrain favorable. Il y aura conflit, nécessairement. Mais on pourrait faciliter la transition, éviter de grandes commotions en préparant les esprits d’avance, en propageant les idées de la justice et du droit.

 

C’est un apostolat à remplir, et pour s’en rendre capable, Chapuis forme, avec trois amis, une société d’enseignement mutuel où, de semaine en semaine, chaque membre développe oralement un sujet scientifique. Préoccupé d’ailleurs du désir d’être le plus utile que possible à ses concitoyens, il se disait aussi que l’art de la parole ajouterait une force réelle à ses capacités comme médecin.

 

Au bout de deux ans, il éprouva le besoin de compléter ses études en se rendant à Paris. C’était en 1784. On ne parlait pas encore de la révolution; mais elle était plus d’à moitié faite dans les esprits. L’atmosphère était embrasée.

 

Tout faisait pressentir un nouvel ordre de choses qui allait faire son apparition. On ne fera croire à personne que Chapuis demeura étranger à ce mouvement. Evidemment, il se sentait à son aise au milieu de cette étonnante fermentation d’idées; et ce séjour ne fut pas sans influence sur son développement ultérieur.

 

Toutefois, ce que nous savons le mieux, c’est qu’il poursuivit avec zèle les études spéciales pour lesquelles il était venu à Paris. Et au bout de six mois il emportait les témoignages les plus honorables de ses maîtres: il travaillait fortement afin de pouvoir offrir à ses malades toutes les garanties possibles. Voyez par exemple, ce certificat de M. de Lauverjal, où il dit que “M. G.-J. Chapuis a assisté à ses cours théoriques et pratiques d’accouchement, pendant lesquels il a apporté toute l’attention et montré tout le zèle dont on peut être susceptible; qu’il s’y est instruit, qu’enfin il peut exercer avec distinction l’art des accouchements.”

 

A son retour de Paris, en 1785, il se fixa définitivement à Verviers, prit l’année suivante, à Liège, son grade de maître accoucheur et remplaça son père quand celui-ci vint à mourir.

 

Messieurs, il est de tradition à Verviers que Chapuis voulut toujours être l’ami autant que le médecin de ses malades. Il voyait dans l’exercice de son art, son gagne-pain sans doute, mais aussi le moyen de faire du bien à ses semblables et de diminuer leurs maux. Ce souvenir en quelque sorte légendaire et pourtant historique, est resté dans notre population, voici comment son biographe l’exprime: “Quoiqu’il comptât parmi ses pratiques une grande partie des personnes les plus opulentes de la ville, le pauvre était toujours accueilli chez lui avec bonté, et il ne le négligea jamais pour le riche. Au contraire, s’il était appelé chez l’un et l’autre, il accourait d’abord près du premier, par la raison, disait-il, que celui-ci n’étant pas entouré de soins comme le riche, demandait à être secouru plus promptement.”

 

Il ne tarda pas à être choqué de l’état d’ignorance plus que barbare où se trouvaient plongés la plupart de ses malades. Son sentiment de justice se révoltait à l’idée qu’il avait, lui, tous les avantages d’un esprit cultivé, d’une éducation soignée, tandis que tous les travailleurs étaient laissés dans la plus épaisse ignorance. Et naïvement, il s’adressa au Conseil de la ville pour remédier à cet état de choses. Mais les magistrats étaient trop sous l’influence de l’évêché pour tenir beaucoup à l’instruction du peuple, et sa proposition fut repoussée.

 

Soit, pensa Chapuis, il faudra s’y prendre autrement et suppléer par l’initiative privée au mauvais vouloir de la magistrature.

 

Il s’adresse à onze de ses amis, et constitue avec eux, lui douzième, une association qu’ils appelèrent la Chambre des Zélés et dont l’objet était en même temps de secourir les pauvres et de propager l’instruction.

 

Les douze amis étaient loin d’être riches eux-mêmes, et pour éviter les dépenses, ils composèrent le mobilier du local où ils se rassemblaient, des chaises et des tables dont ils pouvaient se passer chez eux. Un bureau de charité existait à Verviers depuis 1782, mais il est à croire qu’il fonctionnait un peu trop mécaniquement ou qu’il faisait payer trop cher ses services: en tout cas, il ne répondait pas, selon Chapuis, aux besoins de la situation, puisqu’il forma cette  Chambre des Zélés en partie pour opposer à la misère l’action de l’initiative privée. Ce n’était pas ici la richesse qui venait en aide à l’indigence, c’était l’intelligence, la brave volonté, le travail. Ils étaient si peu riches qu’ils avaient dû faire leur installation avec la plus rigoureuse économie. Une fois constitués, les voilà qui sondent les misères de la population avec autant d’ardeur que d’autres en mettent à leurs divertissements. Ils obtiennent des secours de la confiance du public, et les distribuent de la façon la plus délicate, la main gauche ignorant ce que donnait la droite. En même temps ils ouvraient une école élémentaire du soir. Vous savez tout ce que les Cours du soir ont fait de bien dans notre ville, et combien d’ouvriers adultes y ont trouvé, avec les notions élémentaires du savoir, la clef d’un savoir supérieur. Hélas, messieurs, ces cours du soir, il y a 90 ans que Chapuis les avait inaugurés, 90 ans qu’ils existeraient chez nous si on l’avait cru, et nous pouvons dire que si cette institution avait fonctionné sans interruption depuis cette époque, il n’y aurait presque plus personne à Verviers qui ne fût en état de lire et d’écrire

 

Pendant que, dans une sphère toute tranquille et modeste, il se livrait à ces utiles travaux, les événements généraux se déroulaient avec une impétuosité irrésistible. Le branle-bas, commencé en France en 1789 venait d’avoir son contre-coup à Liège, où la population soulevée avait obtenu du prince-évêque Constantin Hoensbroeck le rétablissement de ses anciennes libertés.

 

Il faut savoir que ces libertés, dont l’usage existait de temps immémorial dans le pays liégeois, avaient été formulées en 1316 dans ce que l’on appelait La Paix de Fexhe, qui fut pendant des siècles l’arche sainte des droits du pays. Un adage du temps portait que, “Pauvre homme en sa maison roi est”. Et toutes les lois étaient conçues dans cet esprit. On y lisait que chacun doit être jugé par la loi, et pas autrement, ce qui coupait court au gouvernement arbitraire; que la loi ne pouvait être changée que par le Sens du pays, c’est-à-dire par le consentement de toutes les autorités: le prince, la noblesse et les bourgeois et manants des bonnes villes et des communes. Dans le cas où le prince désobéirait à la loi, le chapitre devait faire cesser par tout le pays l’exercice de la justice, jusqu’à ce que le prince-évêque rebelle fût rentré dans l’ordre. Et c’était si peu une lettre morte que l’on vit en 1324 le prince contraint, par la suspension de toute justice, de réparer une illégalité commise par un de ses officiers. On avait alors le suffrage universel dans sa plus grande extension.

 

Telle était la constitution foncièrement démocratique que les princes évêques jurèrent pendant des siècles d’observer fidèlement, sauf à la modifier d’après le Sens du pays. Mais un de ces princes, traître à la parole donnée, trouvant le pays écrasé et presque ruiné par des guerres intérieures et extérieures, s’impose avec une armée de 34.000 hommes, prend d’assaut sa bonne ville de Liège, y commet mille atrocités et lui enlève d’un coup toutes les libertés dont elle était si fière. Cela se passait en 1684, et l’auteur de cet attentat s’appelait Maximilien de Bavière.

 

Cent ans plus tard, cette omnipotence de l’évêque, qui n’avait jamais été autre chose qu’une usurpation, fut ouvertement contestée à l’occasion d’un monopole qu’il avait conféré à une société pour les jeux de Spa. Le citoyen Levoz, prétendit que le prince n’avait pas le droit de conférer un tel monopole, et qu’il ouvrirait lui, une nouvelle salle de jeu. De là un procès qui eut un immense retentissement. L’éveil était donné, et lorsque survint en 1789 le mouvement dont j’ai parlé, le peuple de Liège ne fit que rentrer pacifiquement en possession des droits dont il avait été dépouillé par la violence.

 

Verviers profite aussitôt de ce retour des anciennes franchises, et nomme des magistrats selon son coeur. “Aucun crime ne souille cette journée”, dit assez plaisamment un écrivain, très catholique, en rendant compte des événements. Parmi les magistrats nommés par la population de Verviers en ce jour, je trouve des noms que vous entendrez avec plaisir, comme ceux de Fyon, de Jardon, de Biolley, de Chapuis, de Defawe et d’autres encore.

 

Je ne sais pas m’expliquer comment, par quel zèle autoritaire la nouvelle administration supprime la Chambre des Zélés, qui était arrivée au point de compter sept cents membres, c’est-à-dire presque toute la ville. le fait est que cette utile association fut dissoute. Chapuis, toujours à l’affût du moyen de se rendre utile, employa aussitôt ses loisirs à préparer des conférences sur les Droits et les Devoirs de l’homme. Puisque le peuple est devenu maître de la situation, pensait-il, il importe de le mettre au courant de ses droits, et de l’éclairer en même temps sur les devoirs nouveaux qu’il aura à remplir. Et avec un zèle apostolique, il se met à faire pendant six mois, du printemps de 1790 jusqu’au mois d’octobre, trois fois par semaine, les conférences qu’il avait annoncées.

 

Représentez-vous, Messieurs, s’il est possible, cette scène touchante. Sous les ombrages de Hombiet, une foule nombreuse, principalement composée d’ouvriers, s’est réunie pour entendre développer une sorte de catéchisme de morale sociale.

 

L’orateur, l’apôtre, dirions-nous presque, est un homme tout jeune, à la figure pleine de résolution et de douceur en même temps.

 

Sa parole est calme, grave, persuasive... mais laissons parler plutôt un témoin oculaire et auriculaire de ces scènes.

 

“Rien n’était plus touchant que d’entendre cet homme de bien parler des qualités qui font le bon citoyen. Entraîné alors par son sujet, il sortait peu à peu de sa réserve habituelle, sa voix s’animait, son visage rayonnait de patriotisme; l’émotion qu’il éprouvait se communiquait à la foule, on aurait dit un inspiré, tant il y avait de conviction dans son regard et dans ses paroles. Chacun l’écoutait dans un religieux silence, et recueillait avec avidité les vérités saintes, les sentiments profonds et élevés que son âme pure laissait échapper.”

 

Mais aussi, Messieurs, quel thème à développer que celui qu’il avait choisi. C’était la première fois que l’on avait lancé dans le monde avec tant de force ces mots fatidiques: les Droits de l’homme.

 

Jusqu’ici il y avait eu plutôt les droits des forts, les droits des Seigneurs, les droits des grands: mais où étaient les législations qui eussent pris soin de développer, de sauvegarder les droits des petits? Presque partout le peuple a été pressuré, battu, écrasé, livré sans défense aux caprices des forts, bâillonné, sans droit, traité comme la boue des rues. Mais voici que cette boue s’anime; cela devient des hommes, des citoyens: cela devient le peuple souverain. Il faut donc instruire tout le monde à cet égard, il faut parler au peuple, chez qui la nation de ses droits a pu être oblitérée ou faussée par des siècles d’oppression: il faut affirmer ces droits du peuple, hardiment, vigoureusement devant des hommes qui les nient, et qui ne voient de place au soleil que pour leurs privilèges.

 

Mais ici quel danger! Si ce peuple que l’on met soudainement en possession de ses droits allait en abuser? Elevé depuis si longtemps à l’école de la violence et de l’injustice, serait-il étonnant qu’arrivé au pouvoir il en usât à son tour d’une manière violente et injuste? Et alors, on aurait tout simplement changé de despotisme. Aussi faut-il mettre quelque chose à côté du droit. Il faut dire à tous: pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits.

 

Le crime est toujours le crime, par quelques mains qu’il s’accomplisse. Or l’humanité est de si bonne race que jamais le crime ne lui est définitivement utile.

 

C’est par le bien qu’on fait le bien, et non pas par le mal. Dès lors, si le peuple veut sauvegarder sa propre liberté, il faut qu’il observe la justice, et qu’il respecte tous les droits.

 

Telles étaient les idées qui se présentaient à l’esprit de Chapuis, tandis qu’il faisait, semaine après semaine, ses conférences des Gris-Chevris. - Qui lui aurait dit, Messieurs, qu’en faisant cela il préparait sa mort? Oui, la haine aiguisait la hache qui devait lui couper la tête, au bruit même de ses paroles qui ne respiraient que justice et amour. C’est que Chapuis, avec son grand coeur, son impartialité, son indépendance, était un de ces hommes qui périssent presque inévitablement dans les temps de révolution. Suspects aux partis extrêmes qui ont successivement la force en mains, ils courent le risque d’être frappés soit somme révolutionnaires soit comme réactionnaires, selon que la roue tourne d’un côté ou de l’autre.

 

Hélas, nous n’anticipons que bien peu par ces réflexions sur les lugubres événements qui allaient survenir.

 

On était donc tout à la joie dans Verviers. On célébrait partout le retour de la liberté. C’était trop tôt. Le prince-évêque revient avec les armées allemandes, et il exerce le pouvoir avec une rigueur implacable. Pendant des mois entiers, les juges n’eurent qu’à prononcer des bannissements,  des confiscations, des sentences de mort. (1)

 

Verviers eut sa part de ces rigueurs. Hubert Chapuis, frère aîné de Grégoire, avait exercé une magistrature pendant ce temps; il fut banni à perpétuité. Pendant les deux ans que dura cet exil perpétuel, Grégoire eut à pourvoir aux besoins de sa propre famille (il était marié et père d’un jeune enfant) et à ceux de la famille de son frère.

 

Vers la fin de l’an 1792 - les événements se pressent, et notre récit doit se hâter aussi -, les Français sont de nouveau vainqueurs, et le prince de Liège s’enfuit en Allemagne. Chapuis, qui n’avait jusqu’alors voulu accepter aucune fonction officielle, est appelé par la voix populaire à faire partie de la nouvelle administration, et finit, malgré ses répugnances, par y consentir. Gagné de fond en comble aux idées politiques de la Révolution française, il trouvait tout naturel que l’on donnât à la société civile le caractère laïque qu’elle doit avoir: nous dirons plus loin à quel point il était profondément religieux. Ce fut donc sans aucune difficulté qu’il se prêta, comme officier municipal, à célébrer les mariages civils, dans lesquels, il voyait un pas vers la sécularisation de toute la vie sociale.

 

Pendant les quelques mois où il remplit ces fonctions, il eut l’occasion de montrer l’esprit de délicate justice dont il était animé. Il avait vu les aristocrates (style du temps), les partisans du prince-évêque, recourir contre les patriotes aux traitements les plus barbares; la bastonnade était sans forme de procès appliquée par les Noires Cocardes aux citoyens qui leur déplaisaient; un système de terreur régnait sur toute la ville. Au reste il faut dire qu’à ce moment, les triomphes du peuple dans le pays de Liège furent remarquablement modérés, tandis que le retour du prince-évêque s’accomplissait chaque fois au milieu d’un débordement de violences et de cruautés.

 

Un jour, dans une de ces ardentes réunions où l’on discutait les questions du jour, un patriote demanda que l’on appliquât la bastonnade à tous les aristocrates. Cette mesure de représailles allait trouver faveur auprès de l’assemblée, lorsque Chapuis s’élança à la tribune (c’était dans l’église des Sépulchrines) en représentant vivement si l’on voulait fonder la liberté, il ne fallait pas marcher sur les traces de l’ancien régime et procéder comme lui par l’arbitraire. Que l’on punisse ceux qui manquent aux lois, c’est simple et juste, mais on ne pourrait, sans déshonorer la cause de la liberté, frapper ou inquiéter des citoyens à cause de leurs opinions ou de leur position sociale. - Ses conseils l’emportèrent. Il fit même partie d’un Comité chargé par le Conseil municipal de surveiller les aristocrates dont on avait raison de craindre les menées, et de les protéger contre des vengeances personnelles.

 

Je ne puis pas vous dire, Messieurs, combien j’admire Chapuis, dans cette circonstance de sa vie. Il est facile d’adresser de dures vérités à des adversaires; mais les adresser à son propre parti, risquer sa popularité en gardant son franc-parler vis-à-vis du peuple, récuser l’emploi de la violence brutale, et couvrir loyalement de sa protection de magistrat les hommes dont il combat les idées, c’est montrer une indépendance de caractère et un esprit de justice dignes de tout éloge. Ses protégés ne lui en furent guère reconnaissants.

 

En mars 1793, nouvelle péripétie. Le prince de Méan revient, toujours avec des troupes étrangères, dans son pays de Liège. La vengeance marche à ses côtés. Tout ce qui a appartenu au gouvernement libéral doit s’enfuir. On aurait pu dire: Liège n’est plus dans Liège; elle est toute à Paris. - Plus de sept mille proscrits s’en allèrent en exil. Une affiche apprit aux habitants que quiconque se permettrait un signe d’improbation ou se rendrait suspect, serait pendu sur le champ.- L’évêque publia une amnistie qui était rendue dérisoire par les innombrables exceptions qu’elle stipulait.

 

Chapuis prit, comme tant d’autres, le chemin de l’exil. Mais soit qu’on lui ait tendu un piège, soit qu’il ait eu le sentiment de sa parfaite innocence, il revient au bout d’un mois au milieu des siens.

 

Ce fut sa mort. Ce dangereux citoyen, cet horrible révolutionnaire était revenu à son paisible foyer, auprès de sa femme et de son enfant, une petite fille de trois ou quatre ans, reprendre l’exercice de sa profession comme médecin. On ne lui en laissa pas le temps. Le lendemain de son arrivée, lorsque le jour commençait à poindre, sa demeure fut forcée, et malgré les larmes et les supplications de sa famille, Chapuis fut arrêté. "Vous avez beau pleurer, disait un des satellites du prince à ceux qui l’entouraient, il paiera cher ce qu’il a fait".

 

Cela se passait au mois d’avril. Chapuis fut emmené aussitôt dans la prison de Liège. On sait ce qu’étaient les prisons à cette époque, et l’on peut croire que le régime n’en fut pas adouci pour lui. N’avait-il pas commis le plus grand des crimes aux yeux d’un prince de l’Église en entreprenant sur les droits de l’autorité ecclésiastique.

 

Le voilà donc enfermé dans ce cachot d’où il ne sortira que pour aller à la mort! Plus d’entretien avec personne! plus de femme aimée près de lui! plus d’enfant à caresser, plus de malades à visiter. Lui qui passait sa vie dans une continuelle activité, le voilà seul; toujours en tête à tête avec lui-même et avec les murs de sa prison. Il ne sait rien des machinations que ses ennemis peuvent ourdir contre lui. L’anxiété, l’absence de nouvelles régulières, la douleur de voir tous ses liens rompus, la santé qui se perd, le froid de la prison, tout paralyse ses moyens. Et pour mettre le comble à ces misères, le prisonnier ne peut avoir ni procureur ni avocat pour se défendre! (2)

 

Pendant ce temps, l’accusateur avait pour lui tous les avantages imaginables, l’entière liberté de ses mouvements, le droit de prendre son temps, la faculté de combiner ses plans comme il veut et quand il veut, contre un prisonnier qui ne peut pas, lui, réunir à son aise les éléments de sa défense. Dans le cas actuel, l’accusateur était le procureur-général Fréron, qui se distinguait par son zèle outré, par une sévérité impitoyable contre les patriotes. C’est assez dire qu’il devait mettre en ligne toutes les ressources de son esprit pour accabler plus sûrement le prisonnier important qu’il tenait en son pouvoir.

 

Que de sujets d’amertume pour Chapuis! Et pourtant les quelques lettres que l’on a conservées de lui de cette époque, attestent une égalité d’humeur inaltérable. Ses amis voulant un jour adresser une requête au prince en sa faveur, il écrit à sa femme:

 

“Soyez persuadée, digne amie, que je n’aspire au moment de sortir de cette prison que pour vous conserver la vie et la santé; car, en vérité, vous et notre Cécile êtes les seuls objets au monde pour lesquels je respire. Si ce moyen ne peut avoir lieu, alors ne faites plus aucun pas pour moi, abandonnez entièrement les affaires entre les mains du Très-Haut, qui saura, quand il lui plaira, venger ceux qui sont injustement opprimés. "

 

Ecoutez maintenant je vous prie, les griefs qui furent éllégués contre lui: je citerai les plus graves, et par cela vous pouvez juger des autres.

 

1° N'est-il pas vrai que vous vous êtes permis d'expliquer au peuple ce qu'on appellait les droits de l'homme?

 

Avez-vous entendu, Messieurs? Se peut-il quelque chose de plus insolent que cette accusation? Comment? Faire un crime à un homme d’avoir pensé, d’avoir parlé, d’avoir pendant six mois exposé avec la modération que l’on sait son opinion sur les droits de l’homme! Et tout cela, de la part d’un représentant de l’Église chrétienne!

 

Puisqu’il y avait parti pris de tuer Chapuis, il aurait mieux valu lui dire tout simplement: “Chapuis, vous nous déplaisez, vous nous gênez et comme nous sommes les plus forts, nous allons vous couper la tête.” La brutalité, faite brutalement, est moins odieuse que la brutalité déguisée sous les formes d’une hypocrite légalité.

 

A la demande ci-dessus, Chapuis répondit par ces mots: Oui, parce qu'il était juste qu'il connût et comprît ces droits.

 

2° N'est-il pas vrai que vous avez accepté une place dans la municipalité de la création des rebelles et que vous y avez siégé?

 

R. Je l'avais d'abord refusée à cause de mes occupation; mais sous les instances qui me furent faites, je l'acceptai, et j'avoue avoir fréquemment assisté aux résolutions prises par la municipalité.

 

3° N'est-il pas vrai que vous vous êtes donné le pouvoir et l'autorité, comme officier municipal, de conjoindre par mariage des personnes des deux sexes?

 

4° N'est-il pas vrai que vous vous êtes permis cette horreur, le 21 février 1793, à l'égard de (suivent les noms)?

 

Voilà, Messieurs, le grand grief, le grief horrible, qui devait conduire Chapuis à l’échafaud. Oui, cette institution du mariage civil, acceptée aujourd’hui par les magistrats les plus catholiques du pays, parut à un évêque un motif péremptoire pour condamner à une mort ignominieuse un homme dont la vie n’avait été qu’un long et admirable dévouement.

 

On a voulu, par une odieuse interversion des rôles, insinuer que l’évêque avait frappé dans Chapuis le mauvais citoyen qui avait demandé l’annexion à la France. Comme si ce prince, ramené dans le pays par les armées allemandes, et le courbant de force sous le joug de l’empire germanique, eût été lui le défenseur de son indépendance! Au reste, voici ce qu'en dit l'interrogatoire: on jugera par là si ceux qui tiennent ce langage sont bien ou mal informés.

 

8° N'est-il pas vrai que le 2 mars 1793 vous avez passé, conjointement avec d’autres, serment d’être soumis aux ordres de celui qui était le commandant des Français à Verviers?

 

R. Nous n'avons passé d'autre serment que celui de maintenir la liberté, l'égalité et la souveraineté du peuple, et de nous unir qu'avec les nations qui auraient ces principes.

 

N'insistons pas. Trois mois après cet interrogatoire vraisemblablement sans avoir plus entendu parler de rien, Chapuis vit entrer dans sa prison le greffier qui le fit mettre à genoux et lui donna lecture de la sentence suivante:

 

 

Monsieur de Fréron, procureur général de Son Altesse Sérénissime,

contre Grégoire-Joseph Chapuis, prisonnier.

“Le 30 décembre mil sept cent quatre-vingt treize, vus les acts par nous les eschevins de la justice souveraine de la cité de Liège, condamnons Grégoire-Joseph Chapuis, prisonnier, à être conduit au lieu du supplice, pour illec avoir la teste tranchée jus des épaules, pour l’exemple d’autres.”

 

C'est ce qui peut s'appeler la mort sans phrase.

 

On a voulu innocenter le prince-évêque, en disant qu’il n’avait pas le droit de grâce! Quand les amis de Chapuis vinrent le supplier de faire grâce, il ne répondit pas qu’il n’en avait pas le moyen. Sa réponse fut: “Il faut donner une leçon aux philosophes; nous n’en voulons plus.”

 

N’est-ce pas qu’ils sont habiles et forts, messieurs les despotes! Ah! Monsieur le prince-évêque de Méan, vous avez cru tuer “le philosophe”, et tuer la liberté parce que vous avez fait un martyr! Mais venez voir s’il y a, pour votre crime, un mariage civil de moins, un philosophe, un libre penseur de moins dans le pays. Venez voir aujourd’hui la population de Verviers qui entoure de reconnaissance et d’honneur le nom de Chapuis, tandis que le sang de ce juste a fait sur votre mémoire une tache dont elle ne se lavera jamais!

 

Messieurs, il m’en coûte de dire qu’il s’est trouvé à Verviers, ces temps-ci, des hommes pour essayer la justification des princes-évêques. S’il s’était agi de circonstances atténuantes, nous n’aurions pas grand chose à dire. Il y a toujours des circonstances atténuantes: il y en avait pour un prince qui ne faisait que suivre la vieille et sanglante routine de tant de gouvernements autoritaires. Mais quand on a relevé si amoureusement ce qui pouvait donner un caractère strictement légal à cette sentence abominable; quand on a cherché à ternir la mémoire de Chapuis par des insinuations calomnieuses, je dis que l’on a outragé la conscience publique dans ce qu’elle a de meilleur, que l’on a fait une oeuvre digne de la plus éclatante réprobation. Il faut véritablement n’avoir rien à perdre pour jeter sur une tombe sacrée le fiel de si mauvais sentiments!

 

On ose parler de légalité!... Mais la situation tout entière était monstrueusement illégale. S’il n’est pas légal d’assassiner un homme, il n’est pas légal non plus d’assassiner un peuple. Or, c’est là le crime dont s’étaient rendus coupables les princes-évêques de la maison de Bavière. Le pied sur la gorge de la nation, ils lui avaient arraché ces franchises dont elle se glorifiait depuis quatre siècles et plus. Le peuple liégeois fut terrorisé par d’épouvantables massacres, baigné dans son sang, écrasé d’impôts. Et quand, vers la fin du 17e siècle, il reprit ses sens, il demanda ses anciennes franchises, rien de plus, rien de moins.

 

Osera-t-on nous dire aujourd’hui que, par suite de guet-apens de 1684, le peuple avait perdu le droit de réclamer ses droits?

 

En 1790, les 60 sections de Liège déclarèrent qu’il valait mieux perdre les biens et le vie en combattant que l’honneur et la liberté en se résignant! C’est le fier langage d’un peuple qui se respecte. Mais en 1791, le prince ramené par les troupes allemandes, déclarait ceci: “Nous entendons que, par les Trois-États, il soit reconnu que le pouvoir de faire des lois et des ordonnances... nous appartient et nous a toujours appartenu... Que la propriété du territoire du pays nous appartient et nous a toujours appartenu, et qu’à nous seul il appartient d’en disposer.”

 

Ainsi le pays livré pieds et poings liés à l’omnipotence de l’évêque, le suffrage du peuple supprimé, et remplacé par le vote de 5 ou 600 personnes nommées par le prince, le pays spolié et destitué, gouverné d’en haut sans qu’on lui reconnut aucun contrôle... C’était le renversement de tous les voeux de la nation. Et l’on vient nous parler de légalité!

 

Messieurs, le coeur me manque pour discuter plus longtemps une telle assertion. Elle a quelque chose de cynique et de sinistre. Une sorte de décence pieuse nous interdit d’appuyer sur ces indignités, tant que nous avons encore à parler de la douce victime du prince-évêque.

 

Nous avons en effet laissé Chapuis sous le coup de la sentence qu’il vient d’entendre. Ses amis en furent beaucoup plus affectés que lui. Quelque temps auparavant, il avait appris avec une immense douleur la mort de sa femme qui, vaincue par l’émotion et le chagrin, était tombée un jour sans vie dans une promenade des environs de Verviers.

 

Peut-être cette circonstance fut-elle pour quelque chose dans la facilité avec laquelle il consentit à mourir. Plus d’une fois ses amis préparèrent tout pour son évasion; il est connu que les autorités s’y seraient prêtées volontiers pour éviter l’odieux d’une telle exécution. Mais il s’y refusa formellement. Que ceux qui l’ont condamné révoquent la sentence s’ils le veulent; il sera libre alors; mais il ne veut pas s’échapper. S’ils exécutent la sentence, leur conduite éveillera dans le public un sentiment d’horreur; le despotisme en sera d’autant plus exécré, la cause de la liberté d’autant plus chère au peuple.

 

Chapuis avait alors trente-trois ans.

 

Trente-trois ans, Messieurs! C’était pareillement l’âge où, 18 siècles auparavant, une autre victime avait succombé sous la haine d’un prince-évêque du temps. Trente-trois ans!

 

L’âge de la force: c’est l’épanouissement de toutes les facultés! Pour un homme comme Chapuis, c’était l’entrée dans la période de la production la plus active et de la plus grande utilité. Il était alors en possession de tous ses moyens: science médicale, santé, chaleur du coeur, clarté de l’intelligence, habitude de la parole. En outre, il avait contribué par son influence à faire éclore le nouvel ordre de choses. Il eût été doux de jouir du fruit de son travail, de voir s’élever cette société qui aurait pour fondements la justice, la liberté, la légalité! Entouré, comme il le serait, de la considération de tous ses concitoyens, il pourrait satisfaire aisément la seule ambition qu’il eût au coeur, celle de leur rendre service!

 

Visions sublimes qu’allait dissiper et trancher le glaive brutal du despotisme!

 

Demain, la mort arrivera, par le fait d’un bourreau, mais Chapuis ne la craint pas plus qu’il ne la désire. Deux lettres écrites le matin même de l’exécution respirent autant de calme que s’il se fût agi d’entreprendre un voyage de quelques jours. Voici la première, adressée à sa famille:

 

 

 

                               Verviers, le 2 janvier 1794.

 

 

 

Mes chers frères et soeurs,

 

 

 

Vous ne sauriez me faire un plus grand plaisir qu’en remerciant l’Etre suprême de la grâce qu’il daigne m’accorder de reconnaître mes fautes, de les détester, de m’en dépouiller. La mort ne m’épouvante pas, parce que je la reçois de Celui qui m’a donné la vie temporelle. J’en ai abusé, il m’en écarte et veut à présent, quoique je ne m’en croie point digne, me faire jouir de la vie éternelle, où gît le vrai bonheur de l’homme. Ce derniers, et on a peine à le croire, peut déjà être heureux dans le court séjour qu’il passe sur la terre, quand il aime à voir partout la main de Dieu et qu'il se soumet avec joie et sans réserve à sa sainte volonté, qu’à la fin il faut, tôt ou tard, absolument reconnaître.

 

Sachez donc que je quitte ce pauvre monde  avec la grâce du Seigneur, pour m’élancer vers le bien infini.

 

Je vous fais mes adieux, souhaitant que vous ayez toujours en vos coeurs le Seigneur notre Dieu.

 

 

 

Je suis votre inséparable frère,

 

G.-J. Chapuis

 

 

 

La seconde, adressée à son beau-frère, l'abbé Lejeune, renferme tout d'abord quelques recommandations relatives à la santé de sa petite Cécile puis elle continue ainsi:

 

 

 

Cher frère,

 

 

 

... Je vous fais mes adieux, comme à ma chère mère, mes frères et soeurs Dupont, vous demandant pardon des offenses que j’ai commises à votre égard. Sachez que je meurs tranquille, que j’espère voir bientôt notre miséricordieux Créateur et ma vertueuse épouse. Je souhaite à tous les hommes qu'aux derniers moments de la vie ils soient, sans me prévaloir, tout aussi résignés à la volonté suprême que je le suis de coeur et d’esprit.

 

 

 

Votre inséparable frère,

 

G.-J. Chapuis.

 

 

 

Ces lettres, dignes des plus beaux temps du christianisme, étaient à peine écrites, que les soldats venaient prendre Chapuis pour le conduire Place du Sablon où l’exécution devait avoir lieu.

 

“La nature et la ville, lisons-nous dans la Biographie, présentaient en ce moment l’aspect le plus triste et le plus lugubre. Le ciel, comme pour se dérober à cette scène de meurtre, s’était couvert d’un voile gris et sombre; les portes et les fenêtres des maisons étaient fermées; la consternation était dans toutes les familles: on aurait dit qu’il s’agissait pour chacun de la perte d’un frère tant la douleur était grande et générale.”

 

Il y avait de quoi être triste en effet. Ce qui aurait dû protéger Chapuis contre cette haine violente était probablement ce qui l’avait désigné aux sévérités particulières du prince-évêque.

 

On aurait dit qu’un évêque aurait dû être plus sensible qu’un autre à la beauté d’un caractère, à une vie qui s’inspirait de celle du Christ. Mais non: plus cet homme était excellent, plus il fallait le frapper. Mauvais, il eût été moins dangereux. Son dévouement, son amour des pauvres, sa justice bien connue, son intégrité, le recommandaient à l’amour de ses concitoyens, et donnaient d’autant plus de poids à ses opinions. Sa propagande en faveur des idées nouvelles s’accroissait de toute l’estime que l’on professait pour lui et par conséquent il devait déplaire par ses vertus mêmes aux partisans, aux représentants du régime du bon plaisir.

 

Lequel était le plus chrétien, du citoyen qui allait mourir pour avoir servi la cause de la justice, ou de l’évêque qui le frappait pour conserver les privilèges de lui et des siens?

 

Lequel des deux mérite les respects de l’histoire?

 

Le moment suprême était arrivé. “Chapuis embrassa son confesseur, puis levant les yeux vers le ciel, il dit d’une voix forte: Mon Dieu, pardonnez à mes ennemis, et accordez à ma pauvre patrie la paix et la liberté.”

 

Passons sur les horreurs de la scène finale. Soit que l’émotion rendit son bras mal assuré, soit qu’il eût reçu des ordres atroces, le bourreau dut s’y reprendre à sept fois avant d’avoir achevé son oeuvre, et même au septième coup de hache, la tête n’était pas encore entièrement détachée du corps.

 

L’intolérance comptait un triomphe, et la liberté un martyr de plus.

 

Ma tâche, Messieurs, n’est pas encore achevée. Pendant que l’odieuse sentence recevait son exécution, que faisait Verviers? Vous l’avez entendu, Verviers pleurait, Verviers se désolait dans ses demeures. - C’est fort bien; mais n’y aurait-il pas eu autre chose à faire? L’amour qui n’agit pas est-ce un amour sincère?- Où étaient à ce moment les sept cents membres de la ? où étaient ces amis d’enfance? les malades qu’il avait guéris, ou soignés gratuitement? les concitoyens qu’il avait instruits? “les aristocrates” qu’il avait protégés?

 

Verviers était, comme le reste du pays, terrorisé par le gouvernement du prince-évêque. Verviers était maintenu dans l’ordre par une forte garnison qui procédait de la façon la plus sommaire à l’égard des patriotes. Je n’irai pas, moi qui ne cours aucun risque, faire reproche à cette population d’avoir reculé devant les coups de fusils et les coups de sabres. Toutefois remarquons que dans ce moment même où la ville n’osait pas bouger, Chapuis s’exposait à la mort (tandis qu’il aurait pu s’enfuir) pour le profit de ses concitoyens.

 

Nous ne blâmons pas: nous ne pouvons pas dire que nous eussions fait autre chose qu’eux. Mais supposez que les choses se fussent passées de la manière suivante: Toute la ville, tressaillant d’une même émotion, se fût dit: “il est impossible de laisser accomplir le crime. Chapuis est pour tous un ami, un père, un modèle, il est mieux qu’innocent, il est un homme de la plus haute valeur que l’on va tuer parce qu’il a rempli le devoir que nous lui avons imposé comme magistrat: à tout prix sauvons-le: faisons, nous, l’illégalité qu’il ne veut pas commettre, et dérobons sa vie au glaive du bourreau.” Et tous, hommes, femmes, jeunes gens, vieillards se seraient d’un élan spontané, portés au devant de lui pour briser ses liens, pour l’emmener en lieu sûr. Cela n’eût peut-être pas été tout à fait correct. Mais si nos pères avaient fait alors cette héroïque folie, les blâmeriez-vous? Ne seriez-vous pas fiers plutôt d’avoir dans vos annales un pareil acte de résistance à l’arbitraire?

 

Les choses ne se passèrent pas ainsi. Soit. Répétons-le: nous ne blâmons pas une population que l’on tenait dans l’épouvante.

 

Quelques mois plus tard, le prince-évêque était de nouveau en fuite, et perdait cette fois irrévocablement sa domination sur le pays liégeois.

 

L’année suivante, la municipalité de Verviers organisait une cérémonie imposante pour le 2 janvier, jour anniversaire de la mort de Chapuis, et donnait solennellement le nom de Place du Martyr à la place qui avait été témoin de son supplice.

 

Aujourd’hui, Messieurs, un étranger qui aurait lu cette histoire, et qui voudrait faire un pèlerinage au tombeau du noble patriote, demanderait où reposent les restes du Martyr. Personne à Verviers ne serait en état de lui répondre. Il demanderait aussi à être conduit sur la Place du Martyr. Il n’y en a point, lui répondrait-on. Mais quelque érudit finirait par lui dire qu’en effet, il y a eu dans le temps une Place appelée du Martyr, mais qu’elle s’appelle aujourd’hui Place des Récollets.

 

Dites-moi, je vous prie, ce qui s’est passé pour que, dans notre libérale ville de Verviers, on ait effacé, et comme enseveli, le nom du Martyr, sous un nom emprunté à cette institution même qui l’a tué? Je n’éprouve aucun mauvais sentiment pour les Récollets, que je connais fort peu; mais ce qui est étrange, et même choquant, c’est que l’on ait été prendre le nom d’un ordre religieux pour le passer comme une couche d’oubli, sur le nom d’une victime du pouvoir ecclésiastique. On n’y fait plus attention, mais si l’on proposait aujourd’hui de l’appeler Place des Capucins ou des Jésuites, vous en seriez choqués. Nous pensons - sans attribuer d’ailleurs aux noms une valeur superstitieuse - que par respect pour la mémoire de Chapuis, il faut demander au Conseil communal de restituer à cette Place ce nom de Place du Martyr qui lui a été donné dans un élan trop passager de reconnaissance populaire.

 

Mais il y a autre chose à dire. La fille de Chapuis, cette pauvre petite Cécile qui restait à quatre ans sans père ni mère, a fini par mourir à Verviers dans l’obscurité, presque dans l’abandon. Les républiques d’autrefois l’auraient traitée avec tous les honneurs imaginables! Ses concitoyens ont failli l’oublier. Les prodigieux événements qui sont survenus depuis la mort de Chapuis, les magnificences de la Révolution et aussi ses saturnales sanglantes, la prodigieuse épopée de l’empire, tous les jeunes gens enlevés par la conscription, puis la Restauration, la réunion de la Belgique à la Hollande, la révolution de 1830, et en outre un vague sentiment que l’autorité a toujours raison, et qu’un homme condamné par la Justice est nécessairement coupable, toutes ces circonstances ont fait perdre de vue la douce figure du martyr et tout ce qui lui appartenait.

 

Il est temps que l’on arrive! Il est temps que l’on ravive au sein de la population verviétoise le souvenir d’un citoyen dont les Grecs auraient fait un héros, dont les Juifs auraient fait un prophète. Le comité qui a organisé cette conférence, estime qu’il y a lieu de recommander à toute le ville la réparation de cet oubli, et surtout un témoignage d’honneur pour un grand homme de bien.

 

Alors que tant de villes élèvent des statues en l’honneur du premier sabreur venu, pourquoi n’aurions-nous pas aussi, sur la place où on l’a décapité, un monument quelconque, - disons une statue, par exemple - destiné à honorer un homme qui est peut-être la meilleure gloire de sa ville natale? Nous voudrions qu’une souscription fût ouverte à laquelle toute le population fût invitée à prendre part. les riches donneraient ce qu’ils jugeraient à propos; et les pauvres verraient les plus petites sommes reçues avec reconnaissance, de manière que toutes les classes et même toutes les opinions y fussent représentées. Tous pourraient, en passant au pied du monument, se dire avec satisfaction qu’ils sont pour quelque chose dans cette oeuvre de piété filiale. Ainsi se trouverait consacrée une grande et honorable mémoire et l’on pourrait dire de Chapuis que, quoique mort, il parle encore.

 

Laissez-moi vous dire, en terminant par quelques mots qui donneront tout l’esprit de cette conférence, quels enseignements nous donnerait un tel monument élevé sur une de nos places publiques.

 

Il nous rappellerait qu’une ville s’honore elle-même quand elle honore ceux de ses citoyens qui se sont distingués par la grandeur et la dignité de leur caractère, surtout quand ils ont su faire loyalement le sacrifice de leur vie pour la cause de la justice et du bien général.

 

Il nous mettrait constamment sous les yeux cette loi, cette condition de notre pauvre humanité qui fait qu’elle n’a guère su faire de progrès importants sans verser sur sa route le sang de ses meilleurs enfants. Le bien semble ne pouvoir s’accomplir qu’au prix des plus cruelles souffrances, et ceux qui le font sont souvent persécutés par leurs contemporains, sont longtemps méconnus par la postérité.

 

Il nous apprendrait encore de quel amour, de quel respect nous devons entourer toutes nos libertés, puisque pas une n’arrive à nous qu’après avoir été teinte du sang des martyrs.

 

Enfin il nous dirait que ces libertés, si nous voulons les maintenir, c’est à nous, je veux dire, à la nation tout entière, qu’il appartient de la sauvegarder. Elles sont toujours menacées, toujours précaires, si le peuple entier ne monte pas la garde autour d’elles et ne sait pas seconder ceux qui les défendent.

 

Voilà pourquoi nous vous demandons à tous, Mesdames et Messieurs, de concourir à l’oeuvre du monument Chapuis; Il nous paraît que Verviers doit à la mémoire du noble martyr ce témoignage de reconnaissance. C’est à la fois une dette de justice pour le passé, et une leçon de liberté pour l’avenir.

FIN

 


 

La Statue place du Martyr à Verviers. Sur son socle, on peut lire ceci : « G.J.Chapuis, ses concitoyens, 1880. Educateur et bienfaiteur du peuple. Mort pour l'indépendance du pouvoir civil 12 avril 1761 - 2 janvier 1794. »

Pendant longtemps, deux peupliers ornèrent cette place à l'endroit où il fut décapité.

 

Sources et autorisation :

 

Extrait de  « Chapuis », paru aux Editions Irezumi, un livre de 200 pages au format 150 x 220, dont un cahier de 8 pages avec des illustrations en noir et blanc. Reliure au fil de lin. Tiré à 600 exemplaires en 1999. 12,30 euros ISBN 2-930289-01-5

 

Cet ouvrage fait partie de la Collection Renaissance qui a pour but d'éditer ou de rééditer des textes oubliés, quasiment introuvables, très importants pour la connaissance du patrimoine culturel et historique de la ville de Verviers.

 

Le premier volume de cette collection est consacré à Chapuis. Figure verviétoise représentant aux yeux de ses concitoyens, surtout les pauvres, la justice et la solidarité, Grégoire-Joseph Chapuis (1761-1794) est devenu aujourd'hui un mythe. Philosophe, fondateur d'écoles pour ouvriers, magistrat, promoteur du mariage civil, chirurgien-accoucheur (le premier à Verviers à effectuer une césarienne), défenseur acharné des idées de progrès, de réformes politiques et sociales apportées par la Révolution française, Chapuis est condamné "pour l'exemple" par le prince-évêque de Méan. Sa décapitation est ressentie comme très injuste par toute la population.

 

Les Editions Irezumi rééditent trois textes (publiés en 1847, 1878 et 1894), réunis en un seul volume de 200 pages.

 

"CHAPUIS" aux Editions IREZUMI

- Charles Roger-Claessen 1847 "G.J. Chapuis, Biographie publiéer au bénéfice de sa fille unique

-Conférence donnée au Théâtre de Verviers le 9 novembre  1874  Par M. Th. BOST Verviers, Imprimerie Ch. Vinche, 126 rue Spintay.

-Félix de Grave, Chapuis, Décapité à Verviers, Editions Gilon, Verviers 1894

 

 

Tous droits de traduction, de reproduction, d'adaptation soumise à autorisation par les Editions Irezumi 7 rue A. T'Serclaes 4821 Andrimont. Autorisation accordée à Best of Verviers par Mr Paolo Zagaglia en janvier 2008.

 

Mise à jour le Jeudi, 18 Novembre 2010 19:38