Andrien Jean-Jacques
Écrit par Best of Verviers   
Samedi, 11 Août 2007 14:29

"Jean-Jacques Andrien filme en vastes plans les paysages, isole ses

personnages pris dans la réflexion, derrière des vitres de voitures ou de

train, dramatise les petits gestes de la vie quotidienne, leur donne une

intensité particulièrement forte."

Extrait / par Jacqueline Aubenas

"Le grand paysage d'Alexis Droeven" peut être considéré comme le premier grand film d'un cinéma wallon à travers lequel Jean-Jacques Andrien invente une nouvelle écriture cinématographique, mélangeant fictions et documentaires. » 

Extrait / Le Monde, Paris


Best of Verviers : Pouvez-vous nous dire quels sont les éléments fondateurs qui ont fait de vous en 1981, l’homme qui réalisa  «Le grand paysage » ? Un parent, un enseignant, des rencontres,… ?

 

Andrien : " Difficile à dire ! Mes nombreux séjours dans la ferme de mes grands parents (à Mortrou près d'Aubel) depuis ma plus lointaine enfance, y sont certainement pour quelque chose ainsi que le fait que mon père était un peintre paysagiste et portraitiste qui n'arrêtait pas de débattre, de se poser des questions sur l'évolution de la peinture, sur le figuratif, le non figuratif, le réalisme, l'abstrait, etc. C'est par mon père que j'ai appris les choses de l'image, c'est lui qui m'a fait connaître le monde paysan et sa Culture qu'il respectait beaucoup. Il était issu d'une famille d'agriculteurs, l'aîné de cinq garçons, le seul à ne pas avoir repris de ferme.

Il y a eu aussi ma découverte du cinéma japonais au Collège Saint-Servais, à Liège, début des années 60 : c'est là que j'ai découvert "Les sept Samouraï", "Rashomon", "l'île nue", "La femme du sable" ... Ces films me bouleversaient par leur force dramaturgique, par leur écriture différente. Ils m'ont ouvert une porte à l'autre cinéma, celui qu'on ne montrait pas à Verviers ou si peu.

Et puis, il y a eu "Le fils d'Amr est mort !" (en 1975) mon premier long métrage de fiction que j'ai préparé durant plusieurs mois au niveau de production avec Renzo Rossellini, le fils de Roberto Rossellini. Le film devait au départ être produit par la société italienne de Roberto Rossellini (la San diego cinematografica à Rome) que j'ai fréquentée en 1974. Cette rencontre m'a permis de me rapprocher du travail de Rossellini, de sa démarche, de ses questions sur le cinéma et la réalité, sur l'importance de l'enquête préparatoire à l'écriture du scénario ... A l'époque, il préparait "Le Messie". J'ignorais que Jean Gruault, avec qui j'ai écrit Australia une dizaine d'années plus tard, était le scénariste de ce film. Nous avons certainement dû, Jean et moi, nous croiser dans les couloirs de la San Diego !

Cette démarche qui consiste à vivre dans les lieux où je souhaite tourner le film pour écrire le scénario, vient de là. J'ai habité trois années à Aubin-Neufchâteau pour l'écriture du scénario du "Grand paysage"."

 

Best of Verviers : En 1988/89 vous êtes co-scénariste, réalisateur, producteur associé et

exécutif du film "AUSTRALIA" (avec Jeremy Irons et Fanny Ardant). Vous recevez les

* Prix de la meilleure photographie du Festival de Venise 1989.

* Prix Fémina du meilleur film belge de l'année 1989.

* Prix "Kodak Cristal Award" pour le meilleur film belge de l'année,

meilleure image et meilleur scénario.

* Prix Joseph Plateau pour la meilleure photographie 1989.

* Sélectionné et présenté aux Festivals Internationaux de Venise 1989,

Toronto, Chicago, Londres, Rouen Noranda (Canada), Londres, Le Caire,

Calcutta, Belgrade, Santa Barbara, Cleveland, Los Angeles etc.

 

Fanny Ardant et Jeremy Irons dans Australia

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce film ?

 

Andrien :"C'est un film qui a bien marché en Belgique (plus de cent mille spectateurs) et à l'étranger (vendu dans une trentaine de pays) et qui s'inscrit complètement dans ma démarche.

Par de là sa dimension internationale (casting, coproduction etc.) et sa forme fictionnelle, ce film reste pour moi une trace, une sorte de photographie quasi documentaire, de la bourgeoisie verviétoise de l'époque.

Avec Jean Gruault, nous avions le souci de faire parler les personnages comme en 1955. Ce que l'on dit et ce que l'on ne dit pas. Comment on s'exprimait dans ce milieu-là etc. Toutes les conversations touchant au textile ont été dialoguées en collaboration avec des lainiers de la ville.

Il ne s'agit pas d'une démarche "naturaliste", au contraire, mais nous avions le besoin, pour que le film fonctionne, de ce passage par cette réalité."

 

Photo Jean-Jacques Andrien lors du repérage de Australia

 

Best of Verviers : Quel regard portiez-vous sur votre ville de naissance au moment de réaliser ce film ?

 

Andrien : "Celui que Jeremy Iron (Edouard) porte sur Verviers dans le film : c'est à dire ,celui d'un homme né dans cette ville, qui y a grandi, qui en est sorti et puis qui y revient de nombreuses années après. C'est un regard à la fois extérieur et intérieur. Celui du natif et de l'étranger. Pas de nostalgie ni de romantisme. Simplement un sentiment d'appartenance retrouvé auquel s'ajoute la conscience d'une distance, d'un décalage, du passage du temps sur les choses et les souvenirs. On n'efface pas son origine comme on change de chemise ! "Notre durée n'est pas un instant qui remplace un instant : il n'y aurait alors jamais que du présent, pas de prolongement du passé dans l'actuel, pas d'évolution, pas de durée concrète. La durée est le progrès continu du passé qui ronge l'avenir et qui gonfle en avançant (...) En réalité le passé se conserve de lui-même, automatiquement. Tout entier, sans doute, il nous suit à tout instant : ce que nous avons senti, pensé, voulu depuis notre première enfance est là, penché sur le présent qui va s'y joindre, pressant contre la porte de la conscience qui voudrait le laisser dehors."  Bergson.

Le regard exprimé par Jéremy Iron dans Australia est un regard à la fois ému et retenu. Il est peut-être l'un des éléments du film le plus réussi. Certains l'ont trouvé parfois froid, distant. Non, il s'agissait de retenue, d'une prise de distance volontaire."

 

 

Best of Verviers : Verviers change aujourd’hui. Quel est l’élément qui vous interpelle le plus  ?

 

Andrien :

"1. La disparition d'un lien social.

2. Le déplacement du centre de gravité de la ville vers ses hauteurs (Heusy,

Polleur, etc.)

3. Le pourrissement de la rue Spintay. Une rue où je me rendais souvent,

enfant. Ma mère y tenait le magasin Lindor. C'était une rue pleine de

vitalité avec des commerces de qualité (la boucherie Thiebaut, ses boudins

rouges et blancs, la boulangerie Krins etc.) Une rue qui faisait le lien

avec les quartiers plus pauvres notamment de Hodimont. Aujourd'hui, elle est

devenue une sorte de frontière, une véritable barrière, un lieu désertifié."

 


 

Photo de Jean-Jacques Andrien lors du répérage d'Australia

 

Best of Verviers : A Verviers, nous avons la chance de compter un nombre important de belles demeures. Y êtes-vous attaché ?

 

Andrien : "On est toujours attaché aux lieux de son enfance. Ces belles demeures en font partie. Je pense à celles de l'avenue Peltzer dissimulées jalousement derrière des rideaux d'arbres ... ou à ces maisons d'Art nouveau, rue des minières, rue du palais ... Je trouve magnifique la rénovation qui vient d'être réalisée de la maison où je suis né, rue du manège. Toutes ces demeures sont la trace d'une époque. Elles participent à la mémoire de la ville."

 

Photo de Jean-Jacques Andrien lors du repérage de Australia

 

 

Best of Verviers : Pouvez-vous évoquer deux souvenirs de votre enfance. Un premier en relation avec un lieu verviétois ?

 

Andrien : "Le Grand Théâtre ! Lors de la visite royale de 1954 ou 55 ? Le jeune roi Baudouin avait fait une apparition sur le balcon du Grand Théâtre pour saluer la foule. Nous habitions au dernier étage du numéro 10 de rue du manège et de la fenêtre de notre cuisine -j'avais 11 ans - j'assistais à la scène, toute protocolaire, un peu figée et comme pour participer à cette fête, pour l'animer, du haut de mon poste d'observation, courageusement, j'ai lancé un petit avion en papier confectionné à la hâte qui passa longuement devant le jeune roi."

 

 

Best of Verviers : Un second lié à un événement qui s’est déroulé à Verviers ou dans notre région et qui vous a marqué ?

 

Andrien :Les inondations de 56. Là, c'était à Dison, j'y ai découvert l'extrême pauvreté des ouvriers du textile. Nous avions été aider ces gens à retirer la boue de leur maison. Dans la plupart de ces habitations, les sols du rez-de-chaussée étaient encore en terre battue.

 

 

Best of Verviers : Une rue, une place, un parc, un monument que vous aimez particulièrement chez nous et pourquoi ?

 

Andrien : "Les Hautes-Mezelles pour la vue que l'on a sur la ville et l'écoute de ses bruits. Les mélodies des cloches de l'église Notre-Dame.

La statue de Chapuis, place du martyr. Enfant, je ne comprenais pas pourquoi on avait décapité un homme qui avait fait autant de bien à sa ville ?

La Tourelle, un espace de liberté. Comme un forêt au coeur de la ville."

 

 


 

 

Best of Verviers :Que montrez-vous en premier à un ami de passage dans notre région?

 

Andrien : "L'hôtel de ville pour l'inscription gravée sur son fronton : "Publicité , sauvegarde du peuple."

 


 

et ensuite, les Hautes fagnes (qui pour moi font partie de Verviers !), sa vastitude et là-bas, le Noir Flohay, l'endroit où les quatre vents se rencontrent et font que les arbres y poussent tordus."

 

 

Best of Verviers : La ville de Verviers est actuellement (2007) secouée et profondément  divisée par le projet de création d’un nouveau centre commercial sur la Vesdre. Pourrait-on en faire un  film ?

 

Andrien : "Oui, bien sûr ! Car cela touche à sa population dans son quotidien, dans son histoire et son devenir, au social (que vont devenir les gens qui doivent partir ?), au Politique, à la finance ...

 

 

Best of Verviers : Quel est votre avis sur ce sujet ?

 

Andrien : "Je suis bien évidemment contre la couverture de la Vesdre. Ce serait à la fois l'effacement d'un symbole vivant (c'est au centre de la ville que ce symbole prend tout son sens), l'effacement d'un lien avec le passé important de la ville (son cours est lié à la vie de Verviers); mais aussi la perte de la possibilité de recréer un véritable centre de gravité à cette ville qui m'apparaît aujourd'hui à côté de ses pompes avec ses ghettos, ses quartiers paupérisés, avec un passé proche qu'elle n'a pas digéré ... Et ce, malgré les beaux efforts pour revitaliser les deux places du Centre ville.

 

Couvrir la Vesdre, c'est aussi créer le problème de la découvrir quand il faudra le faire. Car une rivière qui traverse une ville, c'est une vraie richesse, un bien rare. Une rivière, c'est la vie-même, avec sa permanence et ses humeurs variées. Elle peut se gonfler de rage et de fureur, devenir boueuse et sale puis transparente et belle comme l'éclat d'un nénuphar. A la voir, on se rappelle, on imagine, on rêve, on se promène, on se rencontre, on dialogue ... A l'entendre, on se rend compte qu'elle toujours pleine de rumeurs, de bruits confus et indistincts mais qui parfois se font écho, de musiques, de chants, de paroles ...

 

 

La Vesdre, photo de Raymond Delhaye

 

Best of Verviers : Un lieu public verviétois où vous aimez vous rendre volontiers et pourquoi ?

 

Andrien : "A "la Boule rouge", pour y retrouver des amis."

 

Best of Verviers : Un artiste de chez nous qui vous tient à cœur et pourquoi ?

 

Andrien : "René Hausman et André Blavier. Deux figures de mon enfance et adolescence qui m'ont poussé vers ce que je suis devenu. L'un pour les brumes de l'enfance, l'autre pour la traversée de ses voiles ..."

 

 

Best of Verviers : Vous enseignez actuellement  en faculté de Philosophie et Lettres à l’ULB (2ième Licence en  ARTS DU SPECTACLE: ECRITURE ET ANALYSE CINEMATOGRAPHIQUES ) quels rêves avez-vous, quels projets vous portent aujourd’hui ?

 

Andrien : "Aujourd'hui, j'enseigne aussi à l'université de Lille et à l'INSAS mais surtout, je prépare mon prochain long métrage intitulé "Le Silence d'Alexandre". C'est un projet sur lequel je travaille depuis plusieurs années et dont l'intrigue se déroule dans le désert du Tanami en Australie Centrale et à Verviers ... "

 


 

La photo où l'on voit Jean-jacques Andrien avec un Aborigène lors de la signature de l'accord de base de son prochain film "Le Silence d'Alexandre". Photo prise en 2007 à Tennant Creek au Nord d'Alice Spring

 

Merci, Jean-Jacques Andrien de vous être livré, tel que vous êtes.

Christophe Dechêne, webmaster (août 2007)

 

Voici quelques extraits de critiques qui ont été faites sur votre oeuvre Le grand paysage d'Alexis Droeven "Andrien, très consciencieusement, a construit le scénario sur une base documentaire (observation de l'existence quotidienne et témoignages d'archives), mais il n'en demeure pas le prisonnier pour développer sa mise en scène. Il ne craint pas le plan fixe tenu longuement, il travaille avec une belle vigueur inventive sa piste sonore, dirige de sensibles travellings accompagnés de discours off ou de musiques et compose ainsi, lentement, un spectacle austère d'une modernité narrative qui n'empêche pas, au contraire, la vibration des lumières, la franchise réaliste (en style de reportage ou en harmonieuse ordonnance picturale) d'une réunion d'agriculteurs discutant leurs problèmes du temps de crise, la douceur enveloppante d'une chambre ou d'une cuisine de ferme, la tendresse d'un regard amoureux, la douleur muette du fils devant le cercueil du père.

 

Il prend à Dreyer cette force tranquille qui permet de composer une image à la fois solide comme la charpente d'un clocher d'autrefois et fragile comme une fleur printanière. De là, nous devinons vite qu' Andrien pousse la dramaturgie et la plastique du plan du côté de Straub, de Chantal Akerman, de ceux qui refusent de se contenter des vermoulues convention du naturalisme." Extrait / par Freddy Buache (Tribune de Lausanne)

 

" ... le fait que le cinéma est un médium réaliste entraînerait inévitablement qu'il ne peut atteindre l'abstraction qu'à travers le concret. Mais Andrien -et c'est assez incroyable- réussit le contraire, faisant sentir les qualités presque tactiles du travail à la ferme sans nous montrer une seule fois son héros toucher la terre". Extrait / par Stuart Byron - The Village Voice, New York.

 

"Le fils d'Amr est mort !"

Mise à jour le Jeudi, 11 Septembre 2008 15:27