De una orilla a otra
Mercredi, 19 Août 2009 19:31

 

 

 « D’une rive à l’autre », telle est la signification de ce titre en espagnol.

On aurait pu croire que Nathalya Anarkali avait abandonné toute rive connue pour couler à pic en eaux profondes, peut-être au beau milieu du triangle des Bermudes, au cœur des eaux caribéennes des îles Grenadines, dans les eaux sacrées du Gange, ou encore dans le Détroit de Gibraltar, étant donné le long silence-radio succédant à sa description de la Semaine Sainte grenadine...

Mais non, ici Papa Tango Charly,

qui va vous donner les raisons

de cette curieuse disparition.

Nathalya n’est partie ni aux Bermudes où un curieux magnétisme est source de trop d’incidents inexpliqués, ni aux Grenadines où une île a le toupet de s’appeler Moustique, ni vers le Gange qui charrie tout de même autant de bactéries que de pétales de fleurs, ni à Gibraltar / Jebel al-Tariq, où  le fantôme du général berbère Tariq ibn Ziyad prend de temps à autre les traits des célèbres singes du lieu pour se cacher les yeux face au cortège incessant de pateras, ces barques de fortune transportant des immigrés clandestins venus d’Afrique dans l’espoir d’une vie meilleure. Leur espoir sombre malheureusement très souvent, emportant avec lui une âme désabusée qui aurait tant voulu émuler la traversée glorieuse de Tariq le conquérant…

Non, Nathalya Anarkali est bel et bien restée à Huétor Santillán, Grenade, jetant toutefois, depuis la face Nord de sa Sierra, plus d’un regard en direction du sud et du Détroit tout proche. Les raisons de cette absence épistolaire sur Best of Verviers sont, dans l’ordre chrono-illogique Cool, l’extrême chaleur de cet été grenadin poussant à un repos forcé et de toutes façons bien mérité, le stress et le travail inhérents à la fin de l’année universitaire, mais aussi et surtout l’organisation des « Deuxièmes Journées de Dialogue Interculturel entre l’Art et les Cours, D’Une Rive à l’Autre », au mois de mai dernier. Et oui, tout se tient, le chat retombe toujours sur ses pattes et les rives ont de tout temps cherché à jeter entre elles des passerelles, que je vous propose d’arpenter en ma compagnie.

Les journées que je présente ici, « D’Une Rive à l’Autre », empruntent leur nom au dernier travail de l’artiste Mousta Largo. Ce Maroxellois -comme il se nomme parfois- a d’ailleurs présenté son spectacle le 23 mai dernier au Grand Théâtre de Verviers, dans le cadre d’un projet mené conjointement avec l’ASBL Grappa autour de la diversité culturelle auprès d’enfants de cinquième et sixième primaires. Il se produisait en notre bonne ville le lendemain de la clôture de mes deuxièmes journées grenadines de dialogue interculturel. Certains lecteurs ont peut-être déjà eu le plaisir de découvrir le conte musical de Mousta. L’artiste nous y narre en musique l’histoire de Salim, un prince indien ayant quitté le Rajasthan à la suite d’une immense peine de cœur, pour partir loin, en compagnie d’êtres fuyant la violence exercée contre leur caste. Ce voyage leur fera traverser bien des contrées, du Machreq au Maghreb, pour finalement finir en al-Andalus, l’Andalousie musulmane, à la cour d’un Boabdil qui porte mieux que jamais son cruel surnom : al-Zoghbi, le malheureux, le malchanceux, né sous une mauvaise étoile. Le dernier sultan nasride, lors d’une audience imaginaire accordée au Salim de Mousta, explique au prince venu d’ailleurs qu’il vient, la mort dans l’âme, de signer le pacte de reddition imposé par les Rois Catholiques. Abu Abdallah « al-Zoghbi » s’apprête donc à quitter l’Alhambra / al-Hamra, la rouge, son palais qui est tout empourpré de douleur en cette triste et froide soirée de 1492, 897 de l’Hégire.

C’est aussi au pied de « la rouge » que prit corps en l'an de grâce 2008 l’idée d’une collaboration et d’un dialogue artistico-didactique. Elle fut inspirée par la similitude des buts respectifs de l’artiste et de la prof, qui exercent leur travail un peu en miroir. En effet, si Mousta « didactise » de plus en plus son œuvre artistique en vue de mieux prôner l’interculturel auprès d’un public jeune de préférence, j’ai très fréquemment recours à l’expression artistique pour enseigner à mes étudiants universitaires tant la langue française que les valeurs de partage et de respect, par le biais de la découverte des cultures d’autrui. La décision fut ainsi prise d’un commun accord : Mousta et ses musiciens seraient invités à l’Université de Grenade en mai 2008, lors de ces premières journées artistico-didactiques qui couronneraient le travail d’un semestre effectué avec les étudiants du cours de langue française que je donne à la Faculté de Traduction et Interprétation.

De février à mai 2008, la classe travailla sur plusieurs fronts, inscrivant toutes ses activités dans le « sillage francophone de la Méditerranée », le fil rouge didactique de l’année. Outre les exploitations de films, documentaires ou bandes dessinées faisant la part belle à l’interculturel, les tâches scolaires liées à la production artistique de l’invité furent diverses. On travailla d’abord à l’exploitation de la chanson Lili que Mousta interprète dans son album Argana en duo avec Sapho, chanteuse française d’origine judéo-marocaine. Les étudiants découvrirent cette chanson dans le cadre de Bleu Bazar, Magazine Méditerranéen, émission de TV5 présentée depuis Marseille par le Belge Paul Germain. Je demandai d’abord aux étudiants de remplir les blancs d’un texte lacunaire contenant les paroles de la chanson dont j’avais effacé certains termes-clé qui aideraient les élèves à prendre conscience de concepts juifs et musulmans comme la bar-mitzvah ou le ramadan. Une autre évocation de la chanson était Cordoue, ce qui rappelait (ou apprenait) aux étudiants la cohabitation confessionnelle qui caractérisa un temps leur Andalousie natale ou adoptive. Le débat entre jeunes juifs et musulmans faisant suite à la chanson nous permit aussi de réfléchir à des nuances de vocabulaire qui ont toute leur importance, comme celle évoquée par un jeune du plateau entre la simple « cohabitation » et le plus subtil « vivre ensemble ». Et là, il me semble que ce débat peut intéresser plus d’un lecteur, donc n’hésitez pas à le suivre vous-même en sa totalité après avoir écouté Lili… Mes étudiants se plongèrent ensuite au cœur de ce qui fait leur formation : la traduction, en s’attelant au sous-titrage espagnol d’une émission en français présentant Mousta entre deux de ses (divers) mondes : Bruxelles et Grenade. L’évidente fierté qu’ils éprouveraient en projetant le fruit de leur travail lors de la célébration des journées était un atout de taille pour que les élèves s’appliquent à la tâche.

Les journées tant attendues de mai 2008 arrivèrent enfin, et outre leur travail de traduction, les étudiants eurent aussi l’occasion de montrer leur talent littéraire dans un catalogue accompagnant une exposition de photos intitulée Quand deux rives se mirent. Grenade-Maroc : Regards croisés par-delà le Détroit.

 

  

 

Ces instantanées de la ville nasride et du pays alaouite étaient l’œuvre de deux amis d’étudiantes de l’Université (une Hispano-Suissesse et un Catalan), d’un membre du personnel administratif de la Faculté de Traduction et de moi-même. Le catalogue d’accompagnement reprenait des textes bilingues rédigés par les étudiants tout au long du cours, dont la thématique tournait autour de Grenade et du Maroc. Ces textes leur avaient été inspirés par les photos en elles-mêmes ainsi que par divers documents audiovisuels que nous avions travaillés en cours. Et pour en revenir au document audiovisuel-vedette, le film sur Mousta sous-titré par la classe, sa projection succéda à l’interview de l’artiste invité. Celle-ci était interprétée en espagnol par une élève de la Faculté, Ana Martín de Córdoba, qui mettait ainsi en pratique les techniques apprises en cours face à un public nombreux et attentif. J’aime insister sur cet aspect de mise en pratique de ce que l’on apprend à la fac, car la dynamique propre aux journées me permet de collaborer avec divers collègues, et je remercie au passage le professeur d’interprétation Jesús de Manuel qui chaque année propose à ses meilleures recrues de contribuer à la réussite de mes journées, qui se veulent aussi vitrine sur le travail de notre Faculté. Jesús filme chaque année les entrevues des personnalités invitées, et ce document vidéo  lui sert ensuite de matériel didactique auprès des élèves d’interprétation des années suivantes, et constitue aussi pour moi un intéressant support promotionnel des journées doublé d’un outil pédagogique que j’utilise à des fins variées.

Après l’interview et la projection du film sous-titré par les étudiants, tous étaient conviés à voyager D’Une Rive à l’Autre avec l’artiste, au sein-même de la Faculté, dans un sous-sol qui s’était mué en salon oriental. Les membres du  public étaient d’abord très étonnés par la transformation spectaculaire de ce lieu de travail, puis se laissèrent peu à peu envoûter par le voyage en musique où les avait conviés Mousta. Les barrières linguistiques tombèrent très vite pour céder la place à la compréhension magique que la musique conférait à cette histoire des émotions et découvertes d’un prince exilé que tous escortaient. J’ai été particulièrement émue par le geste d’une étudiante étrangère à mes cours, qui le lendemain du concert à la Fac est venue me glisser un petit billet dans la main, à la sortie du deuxième concert de Mousta. Un peu timide, elle accompagna son geste furtif d’une phrase chuchotée à mon oreille « si tu veux jeter un œil sur ces liens de Youtube et sur mon blog… » J’y découvris, ravie, l'extrait du spectacle D’Une Rive à l’Autre visible ci-dessus ainsi qu'un petit texte où Linda Lu Xia livrait ses impressions en espagnol, que je me suis empressée de traduire tant elles étaient marquantes…

La faculté s'est envolée au cœur du Maroc. Musique, rythme, voix, culture autre, quelque chose de totalement vibrant et merveilleux s'est infiltré dans ces murs de quotidienne monotonie académique. La transformation a été radicale. Nous étions tous assis sur un sol jonché de tapis, enveloppés d'enivrants tons rougeoyants, les flammes des lanternes faisant danser des ombres sur les visages curieux et stupéfaits des gens, et l'encens se répandant en volutes pour encore un peu plus ensorceler nos sens. Et puis il y avait la musique, surtout il y avait la musique. Chants, guitares, percussions et palmas se conjuguèrent en une seule mélodie, la musique se propagea dans les airs jusqu'à toucher le cœur du public, il n'existait plus rien ni personne d'autre que nous, le monde était un simple bonheur, un pur plaisir, rien que pour nous. Vive ceux ou celles qui ont rendu ceci possible! 

 

Et bien vive les gens comme Linda Lu Xia qui prennent la peine de donner aux organisateurs leurs impressions des résultats d’un travail immense, qui se trouve récompensé par de telles réactions. Linda m’avait abordée à la sortie du deuxième concert de Mousta et de ses musiciens à la Chumbera, salle dont le nom signifie « figuier de Barbarie » et qui est située dans le quartier gitan du Sacromonte. L’ethnie de premiers occupants de ce lieu venait à point nommé pour rappeler non seulement le caractère mixte de la population grenadine mais aussi le périple que fit le peuple gitan, venu du Rajasthan jusqu’en Andalousie, tout comme le Prince Salim… Le moment fut magique tant pour les artistes que pour les deux cents personnes assistantes, et bien sûr pour l’organisatrice aussi, qui aurait toutefois rêvé à ce moment précis de posséder la clé du coffre gardant les secrets du don d’ubiquité…

 

 

 

Le dernier jour, vendredi, eut lieu une activité qui fut très appréciée tant par ses bénéficiaires que par ses organisateurs, j’ai nommé le grand jeu de piste dans la Grenade multiculturelle. D’anciennes élèves du cours de langue française, Judith García San Martín et Irene Calderero García-Cervigón, m’avaient un jour remis comme travail de fin d’année un jeu de piste sur les trois cultures (juive, musulmane et chrétienne) dans la ville de Tolède. En son temps, j’avais adoré le principe et avais laissé cette idée sommeiller au fond d’un tiroir en sachant qu’un jour je l’en ressortirais. J’ai donc recontacté mes anciennes élèves en leur proposant d’adapter leur jeu à la ville de Grenade en mettant en scène des personnages juifs, chrétiens, musulmans, gitans et même aztèques qui étaient en relation avec la ville. Enthousiastes, elles se sont données corps et âme dans la préparation du jeu. Habituées des mouvements de jeunesse, elles avaient aussi participé toutes deux à la célèbre Ruta Quetzal que l’Espagne organise depuis des années pour des jeunes de divers pays qui partent à la découverte des cultures d’autrui in situ, principalement en Espagne et en Amérique Latine. Cette expérience permit aux jeunes filles de m’être d’un grand secours dans l’organisation pratique du jeu, surtout par rapport au type d’épreuves ludiques à faire passer aux participants à chaque étape, ainsi que pour élaborer le casse-tête d’un parcours destiné à 6 équipes différentes qui devaient sillonner le labyrinthe de l’Albayzin et du Sacromonte sans trop se marcher sur les pieds...

 

 

logo du jeu représentant les 6 groupes portant des noms d'arbres

 

En tant que bénévoles auprès de centres grenadins dépendant du Gouvernement Andalou, ce furent à nouveau Judith et Irene ainsi que mon élève Émilie Mourgues qui me permirent d’offrir ce jeu de pistes à de jeunes Marocains ayant traversé clandestinement le Détroit et qui sont hébergés dans ces centres d’accueil. Ces jeunes partageaient le jeu avec d’autres enfants dépendant de l’association de femmes gitanes Romí, avec qui je suis entrée en contact grâce à un autre de mes élèves, Simon Poulain, qui travaillait aussi comme bénévole à l’association. Je tenais absolument à « mêler » ces bénéficiaires du jeu étant donné non seulement la thématique des journées mais aussi les préjugés fréquents stigmatisant les communautés maghrébine et gitane, tant au niveau des attitudes racistes infligées par les « autres » que des propres idées reçues que nourrissent mutuellement l’une et l’autre communauté.

Et quid des personnages ? Ce fut un véritable marathon, mais nous parvînmes finalement à réunir non moins de 14 personnages parmi les élèves de mes deux facs et autres amis d’élèves, frères d’élèves, colocataires d’élèves (dont un Israélien habitant avec un de mes élèves marocains -choukran Ilyas !- qui jouait le rôle du Prince des Juifs grenadins…) J’ai même eu un collègue de travail, Rafael Guijarro, qui accepta de nous donner un coup de main en tenant le rôle du Père Manjón ! Ce prêtre dévoué à la cause des enfants gitans partageait la vedette avec les protagonistes suivants : les Musulmans Boabdil, sa mère Fatima ou Aïcha, sa femme Morayma et sa « belle-mère » Isabelle de Solis devenue Soraya en se convertissant à l’Islam ;

 

 

  

 

les Morisques (musulmans convertis de force au christianisme après la Reconquête) Alfonso del Castillo et Miguel de Luna ; l’Archevêque Pedro de Castro Cabeza de Vaca ; les Gitanes Ferminibí, apothicaire-voyante et La Golondrina, danseuse de flamenco ;

 

 

 

 

 

le dernier empereur aztèque Cuauhtémoc-tzin ; les Juifs Samuel Nagrella, Qasmuna et Isaac Abravanel ; et les frères Quero, bandoleros grenadins, c’est-à-dire bandits de grand chemin…

 

 

   

 

 

Je vous raconterai sûrement un jour l’histoire de certains de ces personnages mythiques de Grenade, mais pour l’heure je ne ferai que livrer la traduction française de l’énigme que devaient résoudre les jeunes grâces aux différentes étapes du jeu qui leur dévoilaient chacun des mots en gras, absents du parchemin sur lequel était inscrit ce petit texte reprenant toute une série de concepts que les jeunes avaient appris auprès des personnages qu’ils rencontrèrent sur leur parcours :

 

À la fin de ce parcours,

vous allez découvrir le trésor

objet de votre quête

dans ces lieux

qui ont vu,

tout au long des siècles, années et mois,

des chercheurs d’or et de richesse.

Le poète Soto de Rojas disait que le trésor mystérieux était

"Un paradis fermé pour beaucoup de monde,

et un jardin ouvert à très peu de monde".

Il en va ainsi de tous les joyaux de véritable valeur… Ils se cachent…

Certains trouvèrent leur trésor en voyant un serpent sur un figuier de barbarie

D’autres se laissèrent guider par les étoiles, qui brillaient comme autant de promesses,

pour planter leurs khaïmas là où on voit le mieux ces joyaux-là, le Sahara,

Et enfin d’aucuns quittèrent cet océan de sable

pour reconstituer leur oasis avec des palmiers de pierre

en un bâtiment dressé devant vos yeux

qui domine la Promenade des Tristes.

C’est son joyau le plus prisé, qui sommeille sur la Sabika,

colline dont le nom arabe évoque un lingot d’argent,

car en se reflétant dans les eaux du Darro, le soleil

donne aux arbres l’aspect d’un énorme coffre empli de monnaies

qui se sont répandues dans la ville telles des larmes

versée par l’Alhambra qui a mal à l’âme.

Oui, Boabdil a raison: le château rouge pleure, pour la perte de son sultan

Et parce que parfois celle que l’Alhambra aime tant n’apprécie plus les rubis de son fruit ouvert,

Un fruit rouge comme le sang qu’elle a vu couler,

Arraché par l’objet de guerre qui en emprunte le nom.

Oui parfois elle aussi éclate, elle, Grenade…

Mais aujourd’hui nous voulons qu’elle éclate de joie

Car maintenant vous savez que le trésor, c’est elle.

Elle qui a dessiné pour vous ces quelques mots avec ses grains épars:

Le trésor le plus précieux, outre la ville que je suis, sera, en mes palais ou ruelles

De partager, aimer et sourire ensemble."

                        

Les étudiants m’ayant livré leur bilan écrit des journées 2008 avouaient avoir particulièrement apprécié ce jeu de pistes grandeur nature, malgré les petits obstacles rencontrés lors de leur célébration, comme le temps maussade, aussi triste que le nom de la rue où s’achevait le parcours, ou encore l’attitude navrante de l’accompagnatrice « officielle » des jeunes Marocains qui les priva de la fin du jeu juste parce qu’elle en avait décidé ainsi, de commun accord avec… elle seule. Il faut de tout pour faire un monde, et ce n’est pas sa décision unilatérale qui nous empêcha de distribuer, un peu à la sauvette, les cadeaux (des dons anonymes de la part de mes collègues et d’habitants de la ville) aux jeunes contraints à la désertion, ainsi que les T-shirts-souvenir arborant le logo conçu par Irene, et enfin le diplôme où était écrit leur nom en lettres latines et arabes, grâce à mon élève Yassine Baya qui s’improvisa donc calligraphe mais également interprète espagnol-darija (arabe marocain) sur le lieu de toutes les épreuves… Ce n’est pas non plus la déception et la tristesse bien normale due à cet incident, ni la sérieuse dent que j’ai tout de même gardée contre cette petite peste écervelée (je pèse mes mots, enfin j'essaie !) qui surpasseront la reconnaissance et l’émotion sincères que j’éprouve pour tous ces élans de générosité, voire ces véritables prouesses, comme celle de l’amie de mon élève Kika Quintana qui remplaça 2h avant le début du jeu celle qui devait tenir le rôle de la mère de Boabdil, en proie à une crise de panique. L'interprétation de la remplaçante fut l’une des préférées des enfants !!!

 

 

 

Car les difficultés et obstacles de la première édition de « D’Une Rive à l’Autre, journées de dialogue interculturel entre l’art et les cours » n’ont en rien terni mon envie de poursuivre cette aventure, que du contraire ! Les possibles couacs ou les « peut mieux faire » servent toujours à polir l’organisation d’événements à venir.

 

Aussitôt dit, aussitôt fait, et en février 2009 j’embarquais ma nouvelle classe dans une nouvelle odyssée. Le cours, placé cette fois sous le signe des Voyages en Histoires et Histoires de Voyages s’attèlerait à préparer les deuxièmes journées interculturelles D’Une Rive à l’Autre, dont le sous-titre serait, cette année, Dessine-moi une histoire, raconte-moi tes dessins. Le programme était beaucoup plus vaste que celui de l’an dernier, non seulement par rapport au nombre d’invités mais aussi par rapport aux activités proposées, car trois ateliers et un casting de cinéma côtoyaient les entrevues, projections, concerts et séances de conte avec les invités. L’activité de conteur fut mise à l’honneur tant en cours que lors des journées grâce à l’initiation à cette découverte que nous avait permise Mousta Largo, parrain du projet. Le coffret D’Une Rive à l’Autre étant sorti depuis sa présentation grenadine de 2008, le premier exercice de cours a été une compréhension écrite du voyage de Salim, qui permit aux étudiants d’apprendre toute une série de concepts propres au monde arabe mais présents aussi à Grenade. Le conte se termine par une interrogation qui est en fait incitation à poursuivre l’histoire, ce que firent les étudiants en donnant toute une série de possibles suites des aventures de Salim après son étape grenadine. Cette incitation à l’écriture fut un des leitmotivs des journées de cette année, car elles furent à l’origine d’un concours multilingue d’histoires brèves, dont les lauréats se virent récompensés par de superbes prix en rapport avec Grenade et l’époque d’al-Andalus. Pendant toute la durée des journées et jusqu’à la fin de l’année académique, la Faculté avait aussi changé d’aspect en accueillant sur ces marches toute une série de citations multilingues, tirées d’œuvres travaillées en classe ou simplement de phrases-fétiches des étudiants. De même, les arbres du patio de la Faculté s’étaient parés d’autres citations inscrites cette fois sur des rubans de satin coloré. Cette idée a rencontré un franc succès, surtout auprès des chats peuplant le patio qui ont apprécié à sa juste valeur qu’on installe ainsi des joujoux géants dans leur habitat…

 

 

 

 

Cette décoration était en fait un clin d’œil à une des images du film Le collier perdu de la colombe, où le petit Zin accroche des rubans à un arbre pour que son père qui est djinn trouve le chemin du village quand il viendra le chercher… Ce film est l’œuvre du réalisateur tunisien Nacer Khemir, l’un des invités aux journées dont l’univers a été une source de travail constant en cours. Car outre le prince indien de Mousta, l’invitation aux histoires, aux voyages et à la découverte des autres se fit aux côtés de personnages comme Bab’ Aziz de Nacer Khemir,  Azur et Asmar de Michel Ocelot, les pèlerins du Grand Voyage d’Ismaël Ferroukhi, Saïd de Coke Rioboó ou Swing de Tony Gatlif.

La petite Gitane du film de Gatlif a été un des coups de cœur de la classe qui, un peu avant les journées, a eu l’occasion d’effectuer un mini-voyage-excursion aux grottes de l’association Romí avec laquelle nous avions collaboré l’année dernière. Ainsi on approfondissait un peu nos connaissances du monde des Roms par la visite de ce musée de la vie gitane.

 

 

 

 

Mais même si le reste des activités de classe étaient un tout petit peu plus statiques, les étudiants ont beaucoup appris aussi des œuvres de deux de nos invités en mai dernier. Nacer Khemir leur a permis de découvrir et de comprendre certains concepts liés à la mystique soufie et au genre narratif des Mille et Une Nuits, et Coke Rioboó les a poussés à réfléchir à la réalité complexe des personnes traversant le Détroit en quête d’une vie meilleure, et à la façon dont celles qui y parviennent sont reçues chez nous. Comme l’année dernière, la classe a travaillé à un sous-titrage : celui du Collier Perdu de la Colombe, un hommage de Nacer Khemir à l’Andalousie des trois cultures doublé d’un clin d’œil à l’œuvre du mystique andalou Ibn Hazm (Xème-XIème siècles). Nous avons sous-titré ce film en espagnol à partir des sous-titres français de cette œuvre en version originale arabe (Tawk al-Hamama al Mafkoud). Le film avait été divisé en plusieurs parties pour que chaque élève intéressé par cette activité puisse y contribuer, et lors de la mise en commun, Amina Moujahid, élève arabophone, nous confirmait que la version arabe était respectée dans nos sous-titres. Pendant ce temps, d’autres élèves se consacraient à un travail créatif d’un autre type : deux mini-documentaires sur les graffiti et la calligraphie arabe à Grenade, car ces disciplines conformaient deux des trois ateliers proposés lors des journées. Nous avions travaillé en classe la création littéraire, la traduction et l’expression orale à partir d’œuvres d’un des graffeurs les plus célèbres de la ville, d’Espagne et d’Europe, el Niño de las Pinturas (le Gosse aux Couleurs), invité de mai ; et la philosophie de la calligraphie arabe était très présente dans les films ou interviews de Nacer Khemir, or le vieux quartier arabe de notre ville propose à tous les coins de ruelles le travail des calligraphes. Le travail de ces élèves a été remarquable car elles se sont débrouillées seules pour tous les aspects techniques de la chose, et nous ont surpris par deux ouvrages très bien ficelés. Elles n’étaient pas peu fières de nous les montrer lors du premier jour de cette semaine intense, et leur prof exultait encore plus face au résultat !

 

Alors voyons en quoi consistait le programme détaillé des journées 2009

 

 

 

 

18 mai:

Faculté de Traduction et Interprétation

-Brève présentation du graffeur le plus connu de Grenade, Raúl Ruiz alias El Niño de las Pinturas et de l’artiste d’origine marocaine Kamal Al-Nawawi (musicien, calligraphe qui fait de la culture des origines communes le trait d’union entre les voisins des rives du détroit de Gibraltar).

-Projection de documentaires faits par les étudiants sur la situation du graff et des calligraphies à Grenade

-Atelier de graff avec El Niño dans le patio de la Faculté

 

 

 

 

 

 

19 Mai :

Faculté de Traduction et Interprétation

-Atelier de calligraphie arabe avec Kamal Al-Nawawi 

 

20 Mai:

Faculté de Traduction et Interprétation

-Brève présentation de Coke Rioboó, artiste touche-à-tout, musicien et réalisateur (entre autres) du film d’animation en pâte à modeler El Viaje de Saïd  (le voyage de Saïd), qui a obtenu le Goya 2007 (équivalent espagnol des Césars) au meilleur film d’animation.

-Projection du 'Viaje de Saïd' ainsi que d’images des ateliers d’animation en pâte à modeler auprès d’enfants de la géographie espagnole, marocaine et mexicaine.

-Conversation avec l’auteur.


21 Mai:

Pavillon al-Andalus et la Science, Parc des Sciences de Grenade

-Brève présentation de Nacer Khemir (cinéaste d’origine tunisienne -doublé de conteur talentueux-, auteur des superbes contes filmés Les Baliseurs du Désert, Le collier perdu de la colombe, Bab’ Aziz et le prince qui contemplait son âme)

-Projection du film de Nacer Khemir Le collier perdu de la colombe
sous-titré par les étudiants

-Interview de Nacer Khemir interprétée en espagnol par l’étudiante Ana Castro

-Conte de Nacer Khemir

 

 

22 Mai:

Matinée : Hammams al-Andalus

Casting à la recherche de Shéhérazade pour le prochain film de Nacer Khemir

 

 

Après-midi : Faculté de Traduction et Interprétation

-Atelier d’immersion musicale avec Uzman Almerabet, Joaquín Sánchez Gil et Luis Lucena Canales : instruments à vent, instruments d’al-Andalus et bols tibétains

 

 

 

 

-Conte de Mohamed Hammú (conteur d’origine berbère -rifaine- qui fait profiter son auditoire, en une conversation multilingue, des histoires que les femmes de sa région on bien voulu un peu dévoiler pour lui, et pour nous...)

 

 


 

-Remise des prix du concours d’histoires brèves

-Concert andalusí du groupe al-Tarab d’Uzman Almerabet (luthier, musicien, calligraphe… d’origine marocaine, qui fait passer par sa musique toute la spiritualité soufie de son quotidien.).

 

 

 

Les réactions du public et des élèves ont été extrêmement positives, récompensant ainsi à nouveau le travail personnel mais aussi celui de nombreuses personnes ayant permis la célébration de ces deuxièmes journées, tant au niveau logistique que financier !!! Je pense entre autres à Agnès du Vachat sans qui Nacer Khemir serait resté dans le domaine du rêve, Uzman Almerabet dont l’enthousiasme n’a d’égal que son talent, Manuel Soubies sans qui nos sous-titrages ne franchiraient jamais le pas de l’écran de PC à celui de ciné, Ana Carreño et Juan Manuel Cid du Legado Andalusí qui contribuent encore activement avec moi depuis notre première rencontre, Carmelo Pérez Beltrán de la Chaire Emilio García Gómez, complice patient de tous les instants, María Ángeles Navarro de la Fondation Al-Babtain, Suhail Serghini de la Bibliothèque d’Andalousie, Pilar Aranda Ramírez de la Fondation Euro-arabe, mon département de philologie française et toute une série d’autres personnes que je ne peux citer ici mais sans qui ce concept n’aurait jamais vu le jour.

 

Et bien entendu, dès que l’année scolaire reprendra son cours, la machine repartira pour de nouvelles aventures de dialogue interculturel, qui en 2010, inch’allah, se tiendront tant à Grenade qu’à Cordoue. Les idées se fraient un chemin de plus en plus clair dans les esprits, les vêtements du jeu de pistes multiculturel dorment dans la chambre d’amis en attendant sagement de pouvoir s’ébrouer de leur torpeur en deux villes mythiques pour rendre vie aux héros des temps jadis, les contacts se font sin prisa pero sin pausa (sans stress mais sans trêve), et l’enthousiasme se regonfle à bloc pour offrir aux Grenadins et Cordouans de nouvelles journées D’Une Rive à l’Autre qui distilleront théâtre, BDs, judaïsme, islam, chrétienté, littérature, jeux en live ou jeux de table et bien sûr notes de musique… À bientôt donc pour de nouveaux dialogues, d’une rive à l’autre de nos cultures !

 

 

Nathalya Anarkali
 
 
 

 


Mise à jour le Mardi, 15 Septembre 2009 16:07