En mémoire de mon vieux chat
Écrit par Gaëtan Plein   
Jeudi, 12 Mai 2011 06:02

J’ai perdu mon vieux compagnon « la Grise » , une chatte de gouttière .
Félin semi sauvage , né dieu sait ou ? Dans un terrain vague, à Spa, peut être sous une tôle . 

Elle a suivi dix sept ans mes amitiés , mes rencontres , mes déménagements : témoin discret qui marchait sur des coussinets . Depuis huit ans , son ombre tigrée hantait la vieille ferme entourée de prairies et de bois,  à Andrimont - La Gleize. Elle régnait dans les remises, l’étable et le potager. Elle m’attendait sur le paillasson en fin de journée.

On croit que l’on possède un chat , mais c’est lui qui nous habite . Quand je dessinais , elle se couchait sur mes pantoufles charentaises effilochées. Il lui est même arrivé de signer un dessin en marchant par inadvertance sur l’encre de Chine et de  badigeonner, de sa queue le carton aquarelle pas encore sec . Je l’avais punie injustement , alors que mon dessin était bien plus gracieux . Ses pattes de chat avait un talent artistique … Si je manquais d’inspiration pour écrire un conte , elle me regardait fixement , comme un sphinx et une idée germait . Si j’avais un doute , un chagrin , je crois qu’elle en prenait sa part . Quand elle se roulait en boule près du poêle à pellets , par communion, je ronronnais …Elle attendait sa traditionnelle sardine de Pâques , ce printemps 2011, une saison sèche et des plus fleuries .
La Grise est partie le Jeudi Saint sans faire de bruit .

Elle est partie au pays des mille souris et des printemps miaulants . Et je sais que là ou elle est , elle veille encore un peu sur moi . Chacun sait que les chats ont sept vies .



Et nous aussi les hommes … Le pays des mille souris attend au dernier jour les humains .
Quand viendra le moment ,  nous partirons au pays qui miaule. On se réveille octogénaire sur un cresson de vieille forêt ardennaise, entouré de chênes centenaires. Le corps engourdi dans les muguets , on se dit : « J’ai fait la sieste bien longtemps ».
On entend au loin des bruits de villages d’un autre siècle . Un carillon sonne l’angélus . Le forgeron tape sur son enclume . Un laboureur encourage son cheval ardennais piaffant  dans un passage schisteux ou le soc de la charrue  peine . Des enfants en sarrau font l’école buissonnière. On prend son temps pour ouvrir les yeux dans ce pays perdu . On a le temps d’avoir le temps . On divague à travers les fougères dégageant une nuée de libellules et papillons.  On marche dans  une lande de Fagnes près de Berinzenne croisant quelques solitaires fagnards . Un apiculteur tire les rennes d’un baudet,  bâté de deux ruches . Dans un chemin creux, une boteresse , chante une comptine  en wallon , en réajustant  sur son dos un fagot . Un cavalier élégant sur un demi sang , sapé comme un lord anglais en redingote acajou ,  vous salue de façon condescendante .

Ce vieillard un jour, tard j’espère , si c’était moi ? Pris par la soif , j’écoute le murmure d’une source difficile d’accès dans les rochers escarpés ressemblant au gué des artistes. Mais je m’étonne de ne plus avoir mal au dos . Au contraire ,je me sens souple . Je m’appuie sur les pierres , et me retiens à une branche . Et l’eau me paraît fraîche dans le creux de la main …
Je marche instinctivement vers l’orée de la forêt d’où je vois en contrebas , un paysage familier d’il y a bien longtemps . Quelques maisons pourtant jadis éloignées les unes des autres se sont regroupées ? Un hameau que ma mémoire a façonné ! Un préau de mon école primaire , un garage et un jardinet de la maison de mon grand père . Le bureau là ou travaillait un ancien collègue . Un banc ou j’allais m’asseoir avec ma première amoureuse d’adolescence .  Tout ce que je vois me rappelle un souvenir heureux . Et autour , l’Ardenne sauvage , comme au temps d’Apollinaire  .  

Et je m’approche curieux et confiant . Les herbes bougent , un  petit messager , ambassadeur de ce pays, m’ accueille se faufilant dans les genets . C’est « la vieille grise » . Et dans ses yeux doux , je lis : « tu en as mis du temps … ceux que tu aimes , ils sont là , ils t’attendent » .

Elle se frotte comme pour demander une caresse . Et je la prends dans mes bras , elle  ronronne . Et bouleversé , je me dirai « Mais si toi mon chat ????  si toi tu es vivant , les autres aussi ? peut être ? » et je ne sentirai plus mes veilles jambes octogénaires … je  cours avec mes jambes de vingt ans dans ce paysage sans clôture… La  « Grise » joyeuse , mais effrayée, saute aussi à travers les hautes herbes. Elle aussi, exaltée de jeunesse. Entendant la bas des bruits de banquet que l’on prépare . A une centaine de pas , des gens endimanchés s’attablent en plein air. Les voix sont familières . Un accent que l’on a aimé grondant un enfant avec les doigts pleins de crème fraîche . Une voix qui dit : « Ne touche pas au gâteau , tant qu’il n’est pas là , on ne passe pas à table » . Certains se lèvent , sourient : parents , amis disparus. Ils me font signe ,  je les reconnais . Mon dieu, ceux que j’aime ?

Et je  crierai , ému  :
« j’arrive »

 

par Gaëtan Plein    (le jeudi saint 2011)

Mise à jour le Samedi, 14 Mai 2011 21:38