Mathieu Bragard, l'or olympique en 1920
Écrit par Emmanuel Thyssen   
Lundi, 11 Août 2008 19:46

Trente-neuf minutes pour de l’or

« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… ». Ces paroles célèbres de La Bohème de Charles Aznavour doivent être quelque peu adaptées quand on évoque la seule médaille d’or du football belge aux Jeux Olympiques. Dire « les moins de cent ans » serait en effet plus approprié; cette victoire finale remontant à 1920 lors des 7e Olympiades disputées à Anvers.

Le 5 septembre 1920, Jan de Bie, Armand Swartenbroeks, Oscar Verbeeck, Joseph Musch, Émile Hanse, André Fierens, Louis Van Hege, Désiré Bastin, Henri Larnoe, Mathieu Bragard et Robert Coppée se débarrassent, dans le stade du Beerschot de la Tchécoslovaquie (2-0) en… trente-neuf minutes.

Coup de rétro. Lors de ces Olympiades marquées par les succès d’athlètes aussi renommés que le Finlandais Paavo Nurmi ou l’Américain Carl Osburn, nos Diables Rouges sont exempts du premier tour, avant de se défaire de l’Espagne en quart (3-1) sans aligner la meilleure équipe, histoire de ménager certains pions majeurs. Comme quoi, le turn-over n’est pas une notion si moderne que certains coaches veulent le faire croire. En demi, les Pays-Bas cèdent sous les coups d’assommoir de Larnoe, Bragard et Van Hege. Lors de l’apothéose, le monstre tchécoslovaque (15 buts inscrits en trois sorties) s’offre aux Belges.

Alors que Coppée ouvrait rapidement la marque, Larnoe doublait la mise. Ensuite, Coppée provoqua une faute de Steiner qui se fit exclure. Jugeant la décision inadaptée, les Tchèques ne réapparurent plus sur la pelouse anversoise. Après 39 minutes de jeu, les Diables Rouges devenaient champions olympiques. Malgré une réclamation déposée par les perdants, le Jury d’appel déclara, le 5 décembre 1920, la Belgique vainqueur définitif.

C’est devant une foule massée tant sur les gradins que sur la piste que l’apothéose s’était déroulée. « Autant de monde résulte de la tranchée olympique », signale Guy Bragard, fils de Mathieu (voir ci-dessous), un des héros des Jeux. « Avant les débats, des gamins avaient creusé un souterrain les amenant à l’intérieur du stade. Au fur et à mesure, le public a suivi le mouvement. Cela explique la masse de spectateurs présents au stade du Beerschot. »

 

Mathieu Bragard, un Verviétois doué couronné

VERVIERS - Entre coupures de presse, médailles, vieux livres, photos et autres cartes de menus raffinés suivant les matches internationaux de l’époque, Guy Bragard (77 ans) évoque Mathieu (1895-1952), son glorieux papa. « Je suis bien sûr fier de son parcours. Mais il était très discret sur ses exploits. Et, même de son épopée victorieuse lors des Jeux d’Anvers, il n’en parlait pas énormément. Par ailleurs, peu de monde venait à la maison. Je me souviens juste de John Langenus, l’arbitre belge de la première finale de Coupe du Monde. D’ailleurs, regardez, ces deux livres écrits par l’homme en noir (« Football et footballeurs ») sont dédicacés à l’attention de Noss Mathieu, comme l’on surnommait affectueusement mon géniteur. »

Très jeune, Mathieu est repéré par hasard par le CS Verviers. Lors d’un match du voisin du CS Disonais, des joueurs manquent à l’appel. Une joute amicale se mit en place et l’adolescent épata immédiatement la galerie. Au point de rejoindre le CS Verviers à qui il jurera fidélité. « Regardez et lisez cette lettre du 29 novembre 1911 (Mathieu Bragard a seize ans et demi, Ndlr) », signale Guy Bragard. « Le capitaine de l’époque souhaite la bienvenue à mon père, son nouveau partenaire. Une attention impensable à ce jour. »

Très rapidement, le ‘bleu’ va se fondre dans l’équipe et devenir un pion offensif essentiel de toute la belle période verviétoise en D1. « Mon paternel affichait comme qualité première sa correction. Sur et en dehors des pelouses où il s’est souvent occupé d’œuvres diverses. Il a toujours été brave et estimé, d’où son surnom amitieux de Noss Mathieu. »

 

 

SOUTENU PAR LA DERNIÈRE/HEURE

S’il participa à une expédition avec le Racing Club de Bruxelles en Suède et au Danemark, il resta fidèle à Verviers et à son entreprise familiale d’étoffes sise à Petit-Rechain. Le premier match international de Mathieu Bragard eut lieu le 25 avril 1914 dans un match « possibles contre probables ». Le journal « La Dernière Heure » déclara que le centre-avant liégeois avait prouvé qu’il était digne d’être choisi pour le duel en Hollande. Il y fêta l’une de ses sept caps (2 en 1920 et 4 en 1921). « Avec la guerre, il a été privé d’un palmarès bien plus étoffé», précisait son fils, toujours résident de la maison familiale de jadis. Malgré qu’il fût prisonnier à Holzminden durant la guerre, l’avant n’avait perdu ni talent ni motivation à l’issue du conflit. « Je pense qu’il ne serait pas heureux dans le football moderne actuel. Il n’aimait pas la présence d’argent dans le sport. Un jour, alors qu’il s’occupait du club du Panorama, il m’a dit ceci : si tu joues en première à Verviers, tu ne toucheras jamais un franc. Il ne voulait surtout pas que je joue pour l’appât du gain. »

Toujours prêt à rendre service, Noss Mathieu abhorrait la violence. Pourtant… « Lors d’un Verviers-Liège, un grand joueur adverse n’arrêtait pas de commettre des fautes sur un joueur verviétois de moindre gabarit. Énervé par cette attitude, mon père a bondi des tribunes et a littéralement mis un coup de pied au cul (sic) du fautif. Après avoir d’abord été suspendu… à vie par la Fédération, celle-ci reviendra sur sa décision plus tard », se souvient Guy Bragard.

On ne pouvait décemment suspendre ad vitam aeternam un héros de l’épopée anversoise, auteur d’un des trois buts de la demi-finale face aux Hollandais et présent lors des 39 minutes de la finale.

 

Reportage et photos : Emmanuel Thyssen, avec sa très aimable autorisation pour Best of Verviers

Contact : Thyssen Emmanuel, Dernière/Heure, Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir. (0477/66.92.81).

Mise à jour le Mercredi, 03 Septembre 2008 18:51