Oncle Boonmee
Écrit par Jean Wiertz   
Dimanche, 10 Octobre 2010 18:20
 

 Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures Un film d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande 2010), avecThanapat Saisaymar, Jenjiras PongpasLe pré générique du film nous montre un buffle au crépuscule, qui tire sur sa corde. Le nœud se desserre, et il part dans la forêt qui avoisine le pré. Un fermier le rattrape et le ramène au campement.

Une silhouette noire, aux pupilles dilatées, observe la scène dans les bois. En quelques minutes, le réalisateur parvient à conférer à ce bovin une grandeur, une dignité rarement vue au cinéma. En quelques minutes, on se rend compte qu’on est en train de regarder un chef-d’œuvre, et la suite confirme pleinement ces premières impressions, pour autant que l’on veuille bien renoncer aux logiques narratives.

Oncle Boonmee, un apiculteur, souffre d’une grave insuffisance rénale, et sait qu’il va bientôt mourir. Jen, sa belle-sœur, et Tong, son neveu, se rendent à son chevet. Oncle Boonmee n’a pas eu la vie facile ; sa femme est décédée il y a une vingtaine d’années, et son fils a mystérieusement disparu quelques années plus tard. Jen et Tong sont des citadins. Alors qu’ils prennent le repas sur la terrasse, en lisière de la forêt, les fantômes de l’épouse et du fils (transformé en singe) apparaissent. Nul effet horrifique dans cette séquence, les 2 êtres apparaissent le plus naturellement du monde, et la conversation continue avec eux autour de la table. La séquence ne relève ni du fantastique, ni de l’onirique, elle intègre des éléments de la culture thaïe (en Thaïlande, beaucoup d’habitations sont pourvues d’une petite maison dédiée aux esprits) pour que nous puissions mieux faire l’expérience des pensées, des sentiments et de l’angoisse des derniers moments de la vie d’oncle Boonmee. « Il n ‘y a pas de paradis, les fantômes ne sont pas attachés à des lieux, mais à des personnes » dira son épouse.

 

 Les derniers jours d’oncle Boonmee avec ses proches nous sont présentés comme une sorte de passage, une renaissance à soi. Il leur confie son désarroi : il pense que sa maladie est due à son karma, il a tué trop de communistes, trop d’insectes à la ferme. Aux luttes passées, nécessaires à sa survie, il substitue maintenant la solidarité avec tous les êtres vivants. Mais déjà, il voit en rêve des hommes et des jeunes, qui veulent le renvoyer dans le passé. Il n’y a plus de place pour lui en ce monde…

Mais comme pour le buffle de la séquence initiale, les moments de communion avec l’univers dans la forêt sont remplacés par l’agitation du quotidien : lorsque Jen et Tong regagnent la ville, les moments intenses de confrontation avec la condition humaine s’estompent ; restent alors la mesquinerie, la violence à la télé, le découragement, et les belles résolutions ont du mal à subsister, provoquant une sorte de dédoublement de leur être.

 

Formellement, la technique adoptée par Apichatpong dans ce film est proche de celle de Tarkovski : de nombreux plans dans la pénombre, dominés par des tonalites vertes et brunes ; le film est constitué d’une petite dizaine d’épisodes autour d’une trame narrative diffuse, chaque épisode étant quasi autonome, venant rectifier, voire contredire l’épisode précédent, de sorte que l’on ne sait jamais où le cinéaste va nous mener.

 

Il y a incorporé un joli conte, à propos d’une princesse défigurée par une maladie de la peau, abandonnée de l’amour, et qui voit le reflet de son visage dans l’eau transfiguré par l’esprit du lac. A la jeune femme qui taxe cette image d’illusion, l’esprit répond « Sans toi, je n’aurais pas pu créer cette image ».

 

Au travers de sublimes images dans la forêt, à la campagne, et dans la grotte des origines, le cinéaste nous livre une intense méditation sur la condition humaine, teintée de mysticisme bouddhique, en résonnance avec cette pensée de Sobonfu Somé : « Lorsque nous prenons conscience que le sol sur lequel nous marchons n’est pas que la terre, que les arbres et les animaux ne sont pas justes bons à être consommés, alors nous pouvons commencer à accepter que nous sommes des esprits vibrant à l’unisson avec tous les autres esprits autour de nous. Notre connexion avec tous les esprits vivants aide à déterminer notre genre de vie intime".

 

 

 

Mise à jour le Mercredi, 13 Octobre 2010 05:08