Hôtel de ville de Verviers restauré ! Le récit de Mona Korak
Écrit par Best of Verviers   
Mercredi, 21 Septembre 2011 13:01

Best of Verviers a proposé à plusieurs écrivains régionaux d'écrire un récit, une nouvelle, un conte, un souvenir,…  dans le cadre de l'inauguration de "l'Hôtel de ville de Verviers restauré".

Si la ville a fait la fête place du Marché à l'occasion de cette inauguration le vendredi 23 septembre 2011 avec un spectacle son et lumières, notre site a proposé à des écrivains régionaux de se joindre à la fête par le texte.
Mona Korak, auteure  du livre "Juste avant le brouillard", est votre guide. Un nouveau récit à  découvrir absolument ! Bonne lecture !

"ON ne nous dit pas tout..."

 

Sincèrement, je n'avais rien vu venir.
Comme tout le monde, j'avais assisté à la mise sous voile de l'édifice. Comme la plupart des passants, je m'étais esbaudie du fantastique duplicata des façades sur l'écran de toile.

 

Comme mes amis, assise à la terrasse de La Mairie, je m'étais perdue en supputations sur le résultat qui, vu l'assiduité des artisans au travail, ne pouvait être qu'admirable.

 

Bref, comme tout un chacun, je m'étais félicitée de ce que le bâtiment retrouve enfin sa superbe d'autrefois.
Les camions se succédaient pour amener des matériaux, pour en évacuer d'autres.

 

Dans ce ballet fiévreux, j'avais parfois aperçu un étrange véhicule : une grosse berline noire d'un autre âge dont l'arrière était orné d'un aileron. « C'est une Tatra... voiture tchèque... moteur huit cylindre à l'arrière... » m'avait expliqué Max, passionné d'automobile.

Elle se garait discrètement à l'ombre des platanes, derrière l'Hôtel de ville mais jamais je n'avais pu en distinguer le conducteur. 

 


Jusqu'à cette soirée enneigée d'hiver où je remontais le petit escalier qui, devant la pharmacie, relie la rue Thier Mère Dieu à la place du Marché, presque déserte. Je me dirigeais vers les bureaux de l'administration pour glisser dans leur boîte je ne sais plus quel formulaire quand je fus surprise par l'arrivée d'une voiture bizarrement munie de trois phares. Ce n'est qu'une fois qu'elle se fût arrêtée, juste devant l'urinoir public, que j'identifiai la Tatra.

Je m'immobilisai à quelques pas, surprise et surtout curieuse de voir qui en descendrai. Le conducteur s'affaira quelques instants dans le véhicule avant de s'en extirper.  La lenteur pesante de ses mouvements attestait d'un certain âge et était accentuée par sa grande taille et sa forte corpulence. Il était vêtu d'uns sorte de  houppelande sombre et son visage  restait dans l'ombre d'un grand chapeau. Il longea l'arrière du bâtiment et je ne pus m'empêcher de le suivre à distance jusqu'à ce qu'il disparût par une petite porte.


Après une petite hésitation, je l'y suivis. Il fallut deux ou trois minutes avant que mes yeux ne s'accoutumassent à l'obscurité.
Il avait emprunté un couloir au bout duquel dansait la lumière d'une lampe‑torche. Le cœur battant, je longeai le couloir puis montai l'escalier qui conduisait vers les salles du rez-de-chaussée.
Que venait faire cet étrange personnage à une heure aussi tardive ? Dans l'odeur de peinture fraîche et de bois, je le vis parcourir les pièces, éclairant les murs les uns après les autres, prenant parfois des notes dans un calepin qu'il appuyait sur son avant‑bras. J'avais peine à me mouvoir dans l'ombre et ce qui devait arriver arriva : je heurtai un chevalet et fis choir je ne sais quel outillage.


Instantanément le rayon de la lampe pivota du mur dans ma direction et s'immobilisa sur moi, m'éblouissant.


― Que faites-vous là ? Gronda une voix grave et calme, teintée d'un léger accent étranger mais que je ne pus identifier.

Que répondre ? La vérité, bien sûr :
― Je vous ai suivi. Je me demandais ce que vous faisiez là aussi tard...
― Le chantier est strictement interdit au public...
― Et vous-même ? Rétorquai‑je.

Il abaissa un peu sa lampe.
― C'est mon chantier... dit‑il.

Puis il s'approcha de moi :
« Il y a longtemps que vous m'espionnez ? »
― Je ne vous espionnais pas... C'est la première fois que je vous vois.
― Bon. Il vaudrait mieux que vous partiez sans trop vous poser de questions...

Il vint vers moi et me saisit le bras pour m'entraîner vers l'escalier par lequel nous étions arrivés.
« Et... que savez-vous exactement ? »demanda‑t‑il.
― À quel sujet ?
― Je ne peux pas croire que vous soyez ici par hasard...
― Pourtant c'est ainsi... protestai-je.

Sa poigne était ferme et ses petits yeux brillaient d'une manière inquiétante.
― Vous vouliez savoir quoi, exactement ?
― Rien. J'étais curieuse... simplement... J'ai souvent vu votre voiture garée là et je me demandais à qui elle appartenait. Et puis...

Il me relâcha et eut un petit rire qui ne me rassura pas vraiment :
― Regardez... dit‑il.

S’écartant un peu de moi, il avait tapoté le mur qui rendait un étrange son creux.
« C'est du toc... »

Il fit de même un peu plus loin :
« C'est du toc... tout est du toc... »
― Que voulez-vous dire ?

Il revint vers moi et se pencha pour me confier :
― Tout est faux... Nous avons tout reconstruit à l'identique.
― Je ne comprends pas... balbutiai-je.
― Le véritable Hôtel  de  Ville n'est plus ici...
― Comment cela ?
― Nous avons tout démonté pour le reconstruire ailleurs, bien loin d'ici, dans une de mes propriétés en Ukraine...
― Mais pourquoi ? Comment ? Qu'est-ce que cela veut dire ?
― J'adore les vieilles pierres... Je suis collectionneur, en quelque sorte et voilà...

Je le fixai, ahurie avant de balbutier :
― Alors, ces grands écrans de toile...
― C'était pour dissimuler notre véritable travail... Maintenant tout est terminé. Je faisais juste un dernier tour... pour vérifier quelques petits détails. C'est vraiment un hasard que me soyez tombée dessus cette nuit...
― Pourquoi me racontez‑vous tout cela ? Il me semble que...

Il haussa les épaules et grogna :
― L'envie que quelqu'un le sache, peut-être... Cela a été un travail extraordinaire et qui m'a coûté une fortune. Vous ne pouvez pas savoir ce que m'a coûté le silence des ouvriers... Le dernier a d’ailleurs disparu cette après-midi...
J'eus un mouvement de recul mais il rit et ajouta :
« Ne vous inquiétez pas... Quand je dis qu'il a disparu, il est retourné dans son pays avec notre secret... »

Nous avions atteint la petite porte et il me poussa dehors.
― Vous n'avez pas peur que je parle ? Que je trahisse votre secret ?

Cette fois, il rit franchement :
― Qui vous croirait ? Allez, petite fille, rentrez gentiment chez vous... Vous ne me verrez plus. Je disparais aussi ce soir...

Quand la petite porte se referma et que je me retrouvai seule, dans la neige, j'eus l'impression d'avoir rêvé. Aujourd'hui, encore, quand je passe devant l'Hôtel de Ville, je ne peux pas m'empêcher de me poser la question. Mais à part lui qui pourrait me répondre ?

Mona Korak


Malgré la saison,   aux  éditions Noctambules en  2009
Juste avant le brouillard,  aux  éditions Noctambules en 2011

 

 

Hôtel de ville new : Photo Jacques Clérin

 

 

Mise à jour le Samedi, 01 Octobre 2011 08:16