Un jumelage, c'est devenir l'autre
Écrit par Viviane Bourdon   
Jeudi, 19 Avril 2012 14:49
La Grande Bleue, berceau de civilisations, j’ai fait sa connaissance voici plus de soixante ans. Mais, ce n’est que depuis une dizaine d’années que je puis me dire intégrée à cet autre monde, le Sud et ce grâce au jumelage Verviers-Arles. Il fête du 22 au 27 avril prochain ses 45 ans.
Souvenir, souvenir et programme d’une rencontre annoncée.

Il était une fois une famille verviétoise adepte des bains de soleil et de la plage. Et quand en Belgique, les hivers cessèrent d’être des hivers et les étés, des étés, elle décida de migrer vers le Sud de la France pour jouir pleinement de ses vacances. C’est ainsi que non loin de Nice, je pus pousser un orteil dubitatif dans l’eau. Bonheur, elle était tiède !

 


Peu après, je m’initiais aux joies du cabanon, de la sieste bercée par les cigales et de douces nuits à la lumière d’étoiles bienveillantes. Plus de sable ou des ajoncs sur la plage mais des galets, des palmiers, des bougainvillées et des buissons d’hibiscus. De l’ail dans tous les plats accommodés à l’huile d’olive. Acheter du beurre était aux yeux des Provençaux d’alors totalement incongru. Nous parlions la même langue cependant nous ne comprenions pas toujours ce que l’on nous disait avè l’assent. En ce temps-là, il n’y avait pas d’autoroutes mais la «nationale 7» où les marchés de Provence rivalisaient de senteurs, de couleurs et d’amoncellements de légumes et de fruits d’une tout autre saveur. Ah ! ces cageots de pêches qui embaumaient tout l’habitacle de la voiture quand on les ramenait.


D’une année à l’autre, il y eut tout autour de Mare Nostrum de semblables découvertes. Mais, nous restions des touristes et rien que des touristes. Privilégiés au niveau du confort certes mais surtout bien à l’écart de toute vie réelle. Installés dans véritable cocon, nous n’étions  pour les autochtones que des gens de passage avec qui on ne se liait pas.


Et puis un jour, ce fut le déclic. Le Comité de Jumelage Verviers-Arles préparait un séjour en Arles avec en vedette la passation de pouvoir d’une Reine à l’autre.

Un jumelage ?

Donc une possibilité de voir les choses sous un angle différent. Car un jumelage n’est-ce pas vivre chez l’autre, avec l’autre comme l’autre ?

Et c’est ainsi que tout commença.

 

Pour cette première visite et quelque suivantes, je fus «attribuée» à Joséphine dite Finou.

Que Dieu la bénisse, elle vint nous accueillir avec un frigo plein de bières. Le gymnase, lieu de rendez-vous attitré, présente boulangerie, pâtisserie et pharmacie mais pas de bistros.

 

 

Et comme le Comité est toujours en avance sur l’horaire, fait soif ! les provisions de route ayant été depuis belle lurette achevées !


Mon adaptation commença par les recommandations d’usage : fermer volets et tentures le matin avant de partir, baisser les moustiquaires le soir etc. Je m’exécutai parfaitement. Dès lors, Finou n’hésita pas à me confier les rennes de la baraque en son absence et j’eus à régler pour elle des problèmes domestiques non sans avoir quelque démêlés avec ses clefs.

Un soir, j’égarai celles de la grille d’entrée. Je dus faire le mur pour sortir. Lêêês voisins ! Pourvu qu’à mon retour tardif, ils ne crient pas au voleur ! Parce que les voisins en Arles, c’est l’extinction des feux et silence, on dort ! dès 22 heures. Quand Raymonde reçoit sous son noyer notre joyeuse compagnie, tous les environs jusqu’à la roubine, sont mis en alerte.

Des Belges mâtinés de Provençaux, cela crée un brin de remue-ménage nocturne. Pourtant, pas une âme dans les jardins, pas seulement parce qu’on se couche tôt et lever de même, mais aussi parce que les moustiques sont toujours très en forme à la nuit tombante.  De surcroît, ils adorent tâter de la chair fraîche : la nôtre.


Finou était adorable mais elle vivait dans un désordre fou et surtout, était toujours en retard. Il me souvient de l’avoir trouvée en train de préparer l’anchoïade, des déchets de petits poissons jusqu’aux coudes au lieu d’être fin prête. Ce soir-là était justement celui du dîner d’adieu, où à nous attendre, on eût plutôt la dent. Une autre fois que nous déjeunions au Club des jumelages, elle surgit, le sac à dos plein de fort attendues baguettes avec deux heures de retard, sous les applaudissements et les rires. Elle prétendit d’ailleurs que selon le cadran solaire, elle était dans les temps. Elle fit mieux par après. Devant prendre le TGV à Nîmes, j’avançais l’horloge d’une heure. Et je fis bien !


J’ai beaucoup aimé Finou et profondément regretté qu’elle se soit retirée du jumelage. Elle avait le coeur sur la main et en l’accompagnant dans ses visites, j’ai entr’aperçu une Provence bien loin d’un décor rêvé. La Provence est un pays dur, rongé qu’il est par le soleil. Quand il luit, tout le monde rentre et vit à la lumière électrique. J’appris aussi en cette occasion que pour les Arlésiens, il existait un Sud du Sud. Ben voyons ! Joséphine était née à Oran.


J’ai assisté depuis à d’autres changements de règnes voire à des élections de nouvelles Reines mais en les regardant avec de tout autres yeux qu’en cette première fois. Car la Fête du Costume, le Corso et les courses dans les arènes ne sont en rien du folklore. Ils sont l’expression d’une tradition doublée d’un conservatoire de la langue et de la culture sauvées, à la fin du XIXe siècle, par Mistral et ses amis du Félibrige, d’une probable disparition.


En Arles, le passé pèse très lourd sur toutes les épaules. Mais cette charge est librement acceptée et c’est un honneur d’être admis à la supporter. Ce que tous ne peuvent car les conditions en la matière sont assez contraignantes. Chez nous, Jacqueline la noire qui endosse la tenue de Mireille, avec l’accord des gens de là-bas, en sait quelque chose.

 

 

Personnellement je n’apprécie pas le sang dans les arènes et ne voit point la nécessité de l’y faire couler.

Question de sensibilité. Mais un jumelage conduit au respect de l’autre et à l’acceptation de sa différence.

 


 En Arles, tout commence dès l’enfance : bébé porte le béguin, puis la coiffe d’une Mireille avant d’être autorisée à maintenir son chignon par un ruban, le nec plus ultra de la tenue d’Arlésienne.

Bébé encore joue à imiter le biou, le taureau qu’il affrontera plus tard dans l’arène, muni non d’une épée mais d’un peigne pour lui «razer» sa cocarde.

Et voir le taureau poursuivre les razeteurs, les obliger à s’accrocher, en les heurtant violemment, aux palissades n’a rien d’une plaisanterie.

 

Les jeux de la course camarguaise sont toujours à haut risque de fracture ou de contusion. Bref, l’homme y participe pour récolter avec une gloire possible maints horions. Le taureau, lui, s’amuse beaucoup de la joute.

Et quand il en a marre, il gagne le milieu de l’arène, fait face à l’orchestre et après entendu le leitmotiv de fin, il rentre tranquillement au bercail.



Pour en terminer, il est un personnage que je me dois d’évoquer et qui sera hélas absent du 45ème. Appelé avec respect par les Arlésiens : M. Houchot, plus familièrement le papé par les Verviétois, il est le doyen d’âge de nos deux comités. Il répond toujours présent à la corvée patates lors de la soirée frites des Belges, participe à tous nos repas. Pour ses 95 ans, il a reçu une mascotte à son effigie. Daniel, notre menuisier, en est l’auteur. Du coup, le papé a offert à tout le monde le champagne. Nos papé se rapproche de ses cent ans.

Dès lors, nous croisons les doigts pour qu’il franchisse ce cap aussi allègrement qu’il remontait l’an dernier encore la rue des Arènes dont le raidillon me laisse souvent sans jambes.

Mise à jour le Vendredi, 20 Avril 2012 18:45