Les balades philosophiques d'Elzéar : Straimont
Écrit par Best of Verviers   
Mardi, 07 Décembre 2010 19:53

« Les sages et beaux paysages font-ils les hommes sages aussi ? »

 


Il venait tout juste de se mettre en route,...

plaçant machinalement ses pas les uns à la suite des autres.

L'éloge de la marche ou de l'énergie vagabonde, L'Homme qui marche,  Le grand chemin de Compostelle, Le labyrinthe du pèlerin, Le marchant  de bonheur,.... Chacun de ces ouvrages, trônant en bonne place dans sa bibliothèque, nous révélaient-ils que l'homme qui marche en devient libre?

Elzéar, marcheur solitaire, avait quitté sa région natale au petit matin, par grand vent. Une pluie constante l'accompagna durant tout son voyage.
Sa visite dans le petit village ardennais de Straimont, tout au sud de la Belgique, n'était pas due au hasard. Encore un signe placé sur son chemin auquel il avait répondu ! Il s'était donc réjoui de  passer quelques jours dans cette région qu'il avait découverte autrefois en parcourant, avec quelques amis, le GR 16 appelé également le sentier de la Semois. Certainement l'un des itinéraires les plus beaux mais aussi des plus exigeants  qu'un randonneur puisse parcourir en Belgique !

 

Ses souvenirs restaient suffisamment précis malgré la distance du temps et des événements.
C'était une époque où il courait plus qu'il ne marchait, juste avant d'arriver là où la montagne se dresse. Une terrible épreuve qu'Elzéar avait eu la chance de surmonter, non sans mal, puisqu'il avait dû franchir ces hauts sommets enneigés, balayés par des vents redoutables. Là-haut, les conditions extrêmes rendaient la vie incertaine, ne tenant parfois plus qu'à un fil. Petit à petit, il s'était senti redescendre dans la vallée. Sa vie était bien différente aujourd'hui ! Elzéar vivait plus lentement, essayait de prendre son quotidien avec recul,  au rythme de son corps, celui de la marche !

Il se souvenait du GR 16 et de son parcours balisé  « blanc-rouge ». Ce sentier longe la rivière et ne cesse lui aussi de gravir l'un ou l'autre versant afin de permettre au marcheur de pouvoir contempler la région du haut de ses nombreux belvédères aériens : la roche de l'Écureuil, celle de Pinco, le tombeau du Chevalier, le magnifique point de vue sur Frahan depuis le village perché de Rochehaut, le parcours des échelles et surtout le tombeau du Géant puisqu'il y avait logé avec ses amis.
Outre ces souvenirs liés à la beauté des lieux et à la difficulté du parcours, un événement, bien anodin sans doute, se rappelait à lui lorsqu'il pensait à ce GR.


Pierre, un des membres du petit groupe de randonneurs qui portait d'ailleurs bien son nom, avait placé incognito au moment du départ, dans le sac à dos de son ami Dominique, les trois gros galets qui ornaient de leur présence le hall d'entrée de la maison de ce dernier.  Personne n'avait remarqué quoi que ce soit ! L'euphorie du départ sans doute ?
Lors de la première halte de la journée au moment du repas de midi, alors que le groupe était parti pour trois jours en autonomie, tous avaient éclaté de rire en voyant la tête du  pauvre garçon qui sortit un à un les trois gros galets déposés de manière facétieuse dans son sac par un Pierre hilare.
Elzéar ne savait plus ce qui était advenu de ces beaux gros galets corses. Etaient-ils restés dans ce bois au cœur de cette sombre forêt de conifères, en plein hiver ? Il se souvenait avoir pensé qu'à ce moment de leur longue vie de pierre, ils n'avaient pas gagné au change.
L'endroit de leur déportation n'avait rien à envier à leur Fangu natal, ce petit cours d'eau suffisamment chaud pour s'y baigner l'été, qui prend naissance à  environ 2000 mètres d'altitude dans la montagne du Tafonato près de Calvi et se jette dans le golfe sauvage de Galéria, non loin de la réserve de Scandola,  inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco.
Que sont-ils devenus aujourd'hui ?


C'est une bourrasque subite qui le ramena à la réalité. Un temps à ne pas mettre un chien dehors, se dit-il !
Il débarqua enfin dans le petit village de Straimont. Les indications fournies étaient simples : « Passer la Vierre par le premier pont, la maison se trouve juste avant le crucifix en entrant dans le village ».  Le village semblait sans vie, mis à part quelques automobiles stationnées ci et là.
Pas moyen de se tromper !
Il s'agissait d'une maison de famille, typiquement ardennaise, un peu désuète à son goût. Austère comme le sont ces demeures sans doute construites fin du XIX siècle. La gouttière laissait échapper un  torrent d'eau qui tombait contre le bas du mur de l'habitation, probablement des feuilles mortes qui auraient dû être enlevées par les voisins en cette fin d'automne, pensa-t-il. Il faut dire que cela faisait deux jours qu'il pleuvait sans arrêt. Marie-Pierre Mouligneau, madame météo, n'avait-elle pas annoncé autant de pluie sur ces deux jours que sur la moyenne d'un mois de novembre ?

Lorsqu'il pénétra dans la demeure, il fut heureux de s'y sentir au sec. Il ferma la porte pour empêcher le vent et la pluie de s'y inviter, retira sa gabardine, salua Véronique et sentit rapidement la chaleur de l'habitation. Il s'y sentit bien ! Traversant la salle à manger, une petite pièce tout en longueur, assez étroite et sobrement meublée, il se dirigea droit devant lui vers la cuisine où il s'assit silencieusement.
Une vieille porte sur la gauche menait vers l'immense grange, toujours identique à ce qu'elle avait été à son origine ; elle fermait uniquement grâce au frottement sur le sol. Pas d'isolation, des tuiles laissant parfois découvrir l'un ou l'autre jour. Il y faisait frais et cette différence de température tranchait avec l'intérieur des pièces habitables de la maison. La famille y entreposait du bois, divers outils, quelques objets variés et quelques aliments à garder au frais. Enfin, plusieurs vieux meubles, dont l'un peint en orange  aurait bien fait son effet dans un loft d'aujourd'hui.

L'hôtesse avait préparé du thé. Un parfum qui lui était commun s'échappa de sa tasse. Probablement du thé Hammam, un de ces délicieux « Thés du monde » qu'il achetait à la capitale. Son regard parcourut le lieu. Celui-ci n'avait pas changé depuis quelques décennies. Tout était en ordre.  Accroché au mur, un porte-pipes exhibait fièrement trois petits modèles fabriqués de manière artisanale ; chacun avait déjà bien vécu, les embouts étant légèrement mais distinctement mâchouillés.
Une pensée philosophique rehaussait de sa présence ce petit présentoir : « Fumer une bonne pipe rend les idées claires».  Il rit intérieurement de cette vérité ainsi assénée.  « Dans ma vie, tout évolue, tout change, mes idées aussi » pensa-t-il. Il admit intérieurement avoir des croyances mais plus de certitudes hormis celle qu'un jour, comme tous les hommes, il lui faudrait mourir.
Elzéar se souvenait avoir lu que le tabac de la Semois était jugé comme étant de qualité exceptionnelle. Qualité disait-on, liée aux conditions climatiques particulières de cette belle région puisque l'ensoleillement, l'humidité du sol et de l'air étaient des facteurs ayant une action positive tant sur la croissance que sur la qualité des feuilles.  Pour l'humidité, il était servi !
Il sortit une pipe de son reposoir, essuya la poussière et chercha à découvrir tout ce qu'elle aurait bien pu lui raconter. A cet instant, ses yeux se posèrent sur une photo noir et blanc accrochée au mur, datée de 1909 et montrant le village, tel qu'il était à l'époque. Quelques enfants prenant la pose… Rien à voir avec un village bucolique que les vacanciers espèrent trouver de nos jours. Un village où l'on y vivait à la force du travail. Il pensa au caractère bien trempé des Ardennais. Il ajusta son regard et découvrit, légèrement flou,  sur la ligne de fond de l'image,  un homme qui lui parut vieux. Il lui sembla deviner qu'il tenait en main, une pipe. Cette pipe qu'il caressait aujourd'hui ? Les gens passent, la vie continue, immuable. Dire que l'on n'est que de passage, voyageurs solitaires !

Le poêle ronronnait, apaisant.  Il aimait ce bruit familier qu'il avait entendu alors enfant, chez son Louis, son oncle, ouvrier forestier habitant avec sa famille au cœur des forêts du barrage d'Eupen à Mospert. Un homme sage aussi !

Cette maison, lui dit l’hôtesse qui exerçait avec passion son métier d'institutrice, nous allons la vendre, c'est en fait ma dernière visite. J'y ai vécu toutes mes vacances d'enfance. Ma maman et sa famille ont habité ici et cela depuis plusieurs générations. Aujourd'hui, avec mes frères, nous vivons tous ailleurs, nos vies sont bien remplies. Nous n'avons plus le temps ou la force  d'entretenir cette vieille bâtisse qui reste malgré tout chère à notre cœur. Nous espérons qu'elle fera le bonheur d'une famille qui saura lui rendre vie, joie et cris d’enfants.

Elzéar acquiesça, remercia son amie et se mit en route pour une longue marche solitaire sur les hauteurs, balayées par le vent et la pluie.
 
Dominant le village, l’église Saint-Nicolas se trouvait au milieu des champs, sur les hauteurs. La route qui y menait était bordée de vieux arbres. La pluie redoubla ! Le chemin de crête qu'il allait devoir emprunter s'ouvrait enfin à Elzéar. De là, il pouvait apercevoir les méandres de la Vierre, ce cours d'eau sinueux qui se jetait dans la Semois. Les prairies la bordant se gorgeaient déjà d'eau !
 De ce point de vue, le petit village ardennais de Straimont respirait la quiétude et la douceur de vivre.
Elzéar s'engagea là où la pluie et le vent redoublaient.
Son parapluie lui fut inutile, son poncho prit les directions des 4 points cardinaux et se souleva tant et si bien qu'il fut trempé au bout de quelques minutes. Il décida de rentrer et d'écourter sa balade.
Goûter, repas du soir avec quelques amis, nuit paisible et départ dès le matin en direction de Martilly.

 



Le temps s'était assagi, cependant, chacun pouvait constater que la Vierre serpentait avec force parmi les prairies, traçant des courbes sinueuses qui contrastaient avec le vert des prés.
Elle menaçait à tout moment, elle qui avait paressé tout l'été, de sortir de son lit.  
Sur les petits chemins de terre, la boue collait aux semelles des marcheurs. Un village apparut, le chemin  était devenu petite route de campagne.
Soudain, un envol d’oiseau, un échassier.... était-ce un héron ? Il n'eut pas besoin de chercher plus longtemps la réponse.
Un passant vêtu d'un chapeau, très chic  expliqua tout en continuant sa marche qu'il s'agissait d'une aigrette. Elzéar le salua étonné, puis le regarda poursuivre son chemin. L'oiseau était d'un blanc qui contrastait avec le vert des prés et le gris du ciel. Il se posa non loin, dans un des méandres de la Vierre.

 


Le village de Martilly invitait à un retour dans le passé. « Calme, nature, authenticité, ruralité.. » se dit Elzéar.
Sur la gauche, il s'étonna de découvrir une cabine téléphonique, un modèle des années 70, comme on n'en trouve plus dans aucune ville ou village de sa région, toutes ayant été vandalisées. Ici, elles semblent  résister. C'était la seconde qu'il voyait. Cette idée qui impliquait le respect des biens et des choses plut à Elzéar qui y vit un signe de bon équilibre social.

 

Toujours sur la gauche se trouvait une très vieille grange en bois. Accablée par le poids des années et les affres du temps, elle s'inclinait, penchait, tombait imperceptiblement, presque au ralenti.
Elle menaçait à tout moment de s’écrouler. Son équilibre était précaire. Seule une poutre plantée dans le sol et lui servant de béquille tentait de retarder l'échéance. Il aima l'idée que des hommes donnent encore aux choses le temps de s'effacer, lentement, avec respect. Il se dit que les hommes et les femmes de ce pays devaient cultiver la tranquillité.



A la sortie du village, il rencontra une dame et son fils. Ils échangèrent quelques mots, parlèrent de la vie, des enfants... La dame qui provenait d'une région bien éloignée de chez nous lui dit qu'elle aimait vraiment son pays d'adoption. Elle s'y sentait bien avec sa famille.
« Dans votre pays, les gens sont accueillants.
Nous avons rapidement voulu apprendre votre langue. Nos enfants vont à l'école et s’y plaisent bien. Vous savez, nous avons dû fuir notre pays au moment de la guerre.
Mon mari était un physicien reconnu, j'étais moi-même universitaire. Nous pensions trouver refuge à M........, mais là aussi nous étions en grand danger.
Après un long périple, nous sommes arrivés chez vous. Aujourd'hui, nous avons régularisé notre situation. Tant mon mari que moi avons perdu tout ce que nous possédions nos racines, nos biens, nos titres universitaires pour travailler, nos métiers... mais c'est sans importance.
Aujourd'hui, même si je fais un petit travail au service des gens, je me dis que c'est bien !
Nous nous contentons de peu de choses.
Là n'est pas l'essentiel.
Vous savez, Monsieur, lorsqu'on croit avoir tout perdu tout dans sa vie, on se rend compte qu'on a conservé l'essentiel : l'amour et le bonheur d'être ensemble.... dans un pays en paix qui nous a si merveilleusement accueillis. »
La dame prit les mains d'Elzéar, les serra dans les siennes et sourit avec les yeux du cœur.

Elzéar salua la dame et son fils avant de reprendre son chemin, touché par ces propos qu'il estima plein de sagesse.

 Voilà une rencontre qui une fois de plus s'était invitée de manière inattendue sur son chemin de vie.
Le ciel se dégagea et pour la première fois de la journée, un rayon de soleil perça les nuages.


 

PS : A Dominique, mon ami, un homme sage aussi

Mise à jour le Mercredi, 15 Décembre 2010 06:49