Les balades philosophiques d'Elzéar : Fouron-le Comte
Écrit par Elzéar   
Dimanche, 07 Novembre 2010 09:09

Les sages et beaux paysages font-ils  les hommes sages aussi ?


Il venait tout juste de se mettre en route, ...

plaçant machinalement ses pas les uns à la suite des autres. Marcher....L'homme qui marche est  libre, Elzear l'était aussi !  

Parti de Moulan sous la pluie, il ne lui fallait que peu de temps pour que son esprit se mette à vagabonder au rythme de ses pas. Un champ retourné côté droit, une terre bien grasse, vous savez, une de celle qui colle aux mains quand on la prend,  quelques pommes de terre laissées pour compte, trop petites sans doute pour être vendues et cette pluie qui n'en finissait pas de tomber.


Le bruit de ses pas et celui des gouttes tombant sur son manteau opéraient comme par enchantement.  Une certaine sérénité émanait maintenant de lui. Son esprit se libérait peu à peu du quotidien.
Il sourit en pensant que son travail consistait justement à ouvrir l'esprit, promouvoir la confiance en soi, faire progresser l'enfant sur le chemin de la connaissance, un bonheur qui enrichit son parcours comme disait Jacquard, insister sur le sens de l'effort, le goût du beau, cultiver ses talents, entrer en relation, tisser des liens, grandir... Il était en quelque sorte, éveilleur d'homme. « Quel autre plus beau métier que celui-là », se dit-il ?
Sur le chemin, personne ou presque en cette journée pluvieuse. Pourtant, Elzéar attachait  dans sa vie une grande importance aux rencontres, coincidences,  hasards du chemin !  Qui se placerait sur sa route, cette fois ?
L'homme qui marche est un sage en devenir.  Elzéar l'était moins, bien sûr, mais s'y appliquait. La marche agissait sur lui, de par son action mécanique et répétitive comme un remède efficace, distillé à doses homéopathiques, contre la course effrénée du quotidien, celle qui embrume rapidement l'esprit.
Cela faisait bientôt plus d'une heure déjà qu'il marchait, solitaire.


Le chemin se fit plus étroit, paysage fermé, vue au loin obstruée par un écran naturel fait de hautes tiges jaunies . Ces champs de maïs lui rappelaient des moments d'enfance, heureux. Ses petites mains qu'il plongeait avec émerveillement dans ce vieux tonneau rempli de grains, semblables à des pépites. Ces grains qu'il jetait ensuite aux poules, juste deux poignées, pas plus lui disait sa tante. Il aimait regarder les marans, ces poules aux oeufs extra-roux , picorer et lever la tête de temps à autre avec une espèce d'étonnement puis retourner au royal festin servi à même le sol.


A la sortie d'un tournant,  un carrefour de chemins agricoles se présenta à lui. Un doux paysage apparut avec ses champs, bois, prés, collines, ruisseau,....
Scrutant l'horizon, il se demanda si quelqu'un avait bien pu habiter cet endroit qu'il trouvait paisible, sur cette terre fertile au milieu des champs ? Depuis quand la cultivait-on ?  
Une petite chapelle trônait là, discrète.


Lorsqu'il pénétra à l'intérieur, un détecteur de mouvements enclencha une musique discrète. Tendant l'oreille, il entendit « l'Ave Maria » de Schubert chanté par Maria Callas. Sous le charme de sa voix, Elzéar était subitement hors du temps. Il s'assit, écouta et chercha du regard les éléments de beauté du lieu.
C'est ensuite qu'il trouva en partie réponse à ses questions en lisant le panneau didactique placé à côté de ce petit édifice religieux:

« La Chapelle de Steenbos a été construite en 1846 à partir des vestiges d'une villa romaine, qui se trouvait sur les champs avoisinants entre 14 et environ 275 après Jésus Christ. C'est entre 1840 et 1945 que les fondations de la villa et des établissements de bains furent partiellement mises à jour ... La villa romaine, une très grande ferme de maître pourvue de deux établissements de bains chauffés, fut détruite par un incendie.
Au 8ème siècle, une ferme royale carolingienne fut construite dans les environs et le Traité de Fouron ("in loco qui vocatur Furonis") y fut signé. En 881, les Normands traversèrent la région tout en pillant et en incendiant. C'est à ce moment-là que la ferme royale fut détruite. La Chapelle de Steenbos est construite à l'endroit où le temple païen de la villa romaine était dressé. »

 

Des milliers de pas avaient donc déjà marqué eux aussi de leur empreinte ce même chemin qu'il arpentait en cet après-midi de début novembre.
Et aujourd'hui, se demanda-t-il, à Fouron-le Comte qui fait partie des Fourons cette commune néerlandophone à facilités  située dans la province de Limbourg  en Région flamande qui étaient ces gens, quelle était leur vie. Qu'en était-il de leurs valeurs, de leurs croyances, de leurs appartenances, de leur identité... ?
 Le hasard voulut qu'il rencontra à cet endroit un professeur d'histoire qui lui expliqua que la Belgique restait une entité bien complexe ! Fouron dispose du statut de commune à facilités pour sa population francophone, lui dit-il, comme c'est le cas pour trente autres communes belges.
Il reprit : « Bien que faisant partie de la province du Limbourg, Fouron et ses patelins environnants sont enclavés en Région wallonne puisque se trouvant sur la rive droite de la Meuse. En fait, les Fourons  ont été rattachés en 1963 à la province flamande du Limbourg, suite à la fixation définitive de la frontière linguistique en Belgique. Ceci contre la volonté manifeste de la majorité de ses habitants qui désiraient rester dans la province de Liège » conclut-il.
Elzéar remercia l'homme et poursuivit son chemin. Il pensa que dans la vie, le repli sur soi, le communautarisme fermé étaient signes de danger principalement pour les minorités.   Ce repli  induisait à terme la peur de l'autre, cet inconnu. S'ouvrir à d'autres cultures, d'autres habitudes, traditions, langues, ... permettait selon lui, cette meilleure compréhension de l'autre.

Le soleil était revenu. Un nouveau paysage se présenta sur son chemin, magique de par ses lignes et ses couleurs. Celles de la terre sous l'effet conjugué de la pluie récente et du soleil offraient une palette dans la gamme des bruns qui se conjuguait avec un dégradé de verts qu'offraient ces arbres en lisière de ce pré dans lequel on décelait encore, malgré la saison, quelques touches de jaune. Et puis ce ciel, s'ouvrant vers cet espace infini qui nous rendait insignifiant si l'on s'imaginait, être vivant, minuscule à l'échelle de l'univers.  Le parcours touchait à sa fin !

 

 

Entrant dans un petit village, Elzear salua une vieille dame qui  marchait encore d'un pas alerte, élégamment vêtue d'un long manteau classique, en feutre bleu  une écharpe orange nouée autour du cou et un petit chapeau.  Elle le salua, elle aussi et s'arrêta en lui demandant avec étonnement : «Vous me connaissez ? »
Elzear parut étonné de cette interrogation, lui qui venait d'une région distante d'une vingtaine de kilomètres, dans le pays de Vesdre. La dame se méprenait, il le savait. Comment aurait-il pu la connaître, lui qui n'était venu qu'il y a bien longtemps à l'une ou l'autre reprise seulement dans cette belle région. La discussion s'anima, joviale, franche, vive, comme cette dame, se dit-il !  
Après quelques instants, elle  lui expliqua avec émotions et une certaine tristesse dans la voix qu'elle souffrait d'une maladie dégénérative des yeux. Elle ne voyait presque plus, que des ombres ! Sa vue ne lui permettait plus de lire ou de regarder la télévision, malgré les traitements nécessaires et douloureux suivis il y a quelques années à la Citadelle à Liège. « Une drame, vous savez-monsieur », lui dit-elle encore.
« J'ai résilié il y a quelques mois, mon abonnement à mon quotidien, Le Jour. Pourtant je m'intéressait encore à l'actualité, même au sport et particulièrement au football. Je suis supporter du Standard de Liège » lui dit-elle fièrement.  Elzear sourit.
« Quelle âge me donnez-vous » lui demanda-t-elle enfin?   
Il ne put répondre, et pensa qu'elle devait avoir la septentaine. Elzéar décida de s'en sortit par une pirouette, une boutade. « Vous devez avoir 58 ans ! » lui dit-il tout sourire !
La dame quelque peu offusquée lui répondit avec sérieux : «Ce n'est pas bien de se moquer des personnes âgées ». Elzéar bafouilla quelques incohérences, mots, excuses,... elle n'y prêta pas attention.
« J'ai 92 ans » lui dit-elle.
Un groupe de promeneurs qui s'était arrêté au même endroit avait pris part à la conversation. L'un d'eux lui dit : « N'est-ce pas dangereux à votre âge de vous promener toute seule. S'il vous arrivait quelque chose ? »
Elle le regarda fixement puis répondit simplement, « Vous savez, tout le monde me connaît ici, et marcher, reste la seule chose que je puisse faire encore et qui me donne du bonheur».
Elzear salua la dame, le groupe de promeneurs et reprit son chemin, touché par ces propos qu'il estima plein de sagesse. 

S'en allant tout en chantonnant, Elzéar conclut : « Les sages et beaux paysages font les femmes sages aussi.»


 

 

PS : Texte dédié à Jean-Pierre, l'homme sage aussi !

Mise à jour le Dimanche, 28 Novembre 2010 08:41