Le carnet de Loreta : novembre 2012, treizième volet
Écrit par Loreta Mander   
Vendredi, 30 Novembre 2012 16:46
 

Loreta, nous partage sans fausse pudeur, avec simplicité, coeur et passion, son carnet de bord, celui d'une femme sur le chemin, là où la montagne se dresse. Son huitième volet est à lire absolument, comme les autres lettres qui ont précédé ! 

Comme un cri, elle nous disait : "Il ne faut pas attendre le pire pour s'arrêter et réfléchir un peu à soi.  Je ne suis pas plus forte qu’une autre, mais une espèce d’instinct animal me pousse à me battre de plus en plus hargneusement et ça je ne peux l’expliquer

Lors de son premier échange Loreta se présentait ainsi : "La maladie est pour moi une forme de chance, comme un rappel à la vie".

Tout allait pour le mieux pour moi : j’ai rencontré mon cœur jumeau, je reconstruis ma vie et je suis tout simplement heureuse.
J’ai 2 enfants. Il a 2 enfants. Nous voici famille recomposée de 4 enfants, qui s’entendent très bien.
Je suis née à Verviers et y ai vécu jusqu’en 2000. Pour des raisons professionnelles et amoureuses, j’ai migré vers la périphérie bruxelloise, où je réside encore à l’heure actuelle".

Voici son carnet de bord, treizième volet

Lundi 5 novembre 2012
J’ai envie de commencer cette 13ème édition en vous faisant partager le résumé d’un livre que chacun devrait posséder et feuilleter en cas de besoin.
« Les accords Toltèques » de Miguel Ruiz. Je vous le conseille. Quelques règles à respecter pour ne plus se faire du mal, faire du mal à autrui et être en paix avec soi-même.

-    Que ta parole soit impeccable : parles avec intégrité, ne dis que ce que tu penses. N’utilises pas la parole contre toi-même ni pour médire sur autrui.
-    N’en faites jamais une affaire personnelle : ce que les autres disent et font n’est qu’une projection de leur propre réalité. Lorsque vous êtes immunisé contre cela, vous n’êtes plus victime de souffrances inutiles. 
-    Ne faites aucune supposition : Ayez le courage de poser des questions et d’exprimer vos vrais désirs. Communiquez clairement avec les autres pour éviter tristesse, malentendus et drames.
-    Faites toujours de votre mieux : Votre “mieux” change d’instant en instant. Quelles que soient les circonstances, faites simplement de votre mieux et vous éviterez de vous juger.
-    Apprendre à écouter signifie apprendre à communiquer. Grâce à l’écoute, on saura ce que les autres vivent dans leur monde, ce qu’ils souhaitent, ce qu’ils veulent. Et par rapport à ce qu’ils veulent, cela ne signifie pas qu’il faille leur donner nécessairement !

Ces affirmations paraissent tellement évidentes. On se rend compte que, peut-être parce que c’est trop simple, on ne pense pas à les appliquer. Les autres n’ont qu’à faire avec ce que je suis. On ne me changera plus. Telles sont les phrases qu’on entend souvent. Et pourtant, si on essayait de pousser notre curiosité et creuser un peu pour  comprendre d’où viennent nos malaises ou nos mélancolies, on se rendrait compte qu’on veut imposer notre façon d’être aux autres. Or, c’est impossible, vu que chaque être humain a sa propre éducation, son vécu et vit en fonction de ce que la vie lui a appris.

 

Quand je vous parle, je suis responsable de ce que je dis, mais pas du tout responsable de ce que vous comprenez. On n’ose pas dire qu’on n’a pas compris une attitude ou une parole de peur de blesser l’autre, alors qu’il serait cent fois plus simple de demander pourquoi. Le dialogue est impératif. Mais celui-ci implique aussi l’écoute, ce que nous ne prenons plus le temps de faire. Si on écoutait au lieu d’entendre ce que les autres ont à nous dire, on élargirait notre compréhension et on se poserait moins de questions. L’acceptation des événements fait partie de sa compréhension. Si on sait pourquoi on est triste, on peut y remédier. Non pas avoir des regrets et ressasser le problème en culpabilisant ou en tenant les autres pour responsables, mais simplement comprendre. Le problème est alors clos. On en parle, on dit ce qu’on a à dire sans animosité ou agressivité et nous voilà à nouveau propres de tout malaise.


Au début de la maladie, ma première réaction a été : pourquoi moi ?  Qu’avais-je donc fait pour mériter tout cela ? Où avais-je merdé ? Si j’avais continué dans cet état d’esprit, je n’aurais jamais eu de réponse et je ne serais plus là aujourd’hui pour en disserter avec vous.  Mais je me suis posée à un tournant de ma vie. J’avais du temps pour réfléchir, je l’ai donc utilisé à essayer de comprendre pourquoi j’en étais à ce stade du malaise. Ca m’a pris beaucoup de temps.

J’ai eu des doutes, j’ai analysé pas mal de situations et je me suis rendu compte que le manque de dialogue, le manque de confiance en moi et surtout mon mode d’éducation, où on ne discute pas les ordres étaient probablement des bribes de réponses.

Alors j’ai pris le temps de regarder la nature d’abord. Elle nous apprend énormément de choses. Elle a un rituel immuable. Elle sait ce qui lui fait du bien et comment se protéger des mauvais vents. La nature a aussi compris que les attaques les plus violentes viennent souvent de l’extérieur, de la bêtise des hommes à la polluer, à la faire disparaître pour faire place au béton. Si on lève les yeux au ciel, on voit le soleil qui se lève tous les matins, quoiqu’il arrive et la lune qui se lève tous les soirs. Parfois, des nuages viennent les voiler, mais ces astres sont toujours présents. La pluie arrose pour le bien de la terre.

Tout arrive à propos. Je me suis aperçue que je n’avais plus ce sens des réalités, que la vie active m’avait détourné des choses simples. Toujours aller plus haut, plus loin, avoir plus et puis ? Rien ! Parce que ces travers ont détourné mon esprit de la vraie valeur des choses. J’ai appris à relativiser, à ne plus me plaindre car il y a toujours pire que moi, à regarder en bas plutôt que plus haut pour ne plus avoir d’envie ou de jalousie, à m’accepter telle que je suis, et surtout à apprendre à m’aimer, à aimer ce corps qui ne sera plus jamais comme avant.

A me voir brute et sans artifices. C’est à partir de ce moment que j’ai pu emprunter le chemin vers la sérénité.

 


 

Jeudi 8 novembre 2012
Ce qui devait être « ma » journée et bien…. tintin. J’avais prévu d’aller rendre une petite visite à mes petits soleils, Maud et Mila. Au saut du lit, pas guillerette du tout ! De la fièvre, les jambes et les muscles sont douleureux, c’est « le » jour. Il fallait évidemment bien que ça tombe aujourd’hui. Hier, j’étais en pleine forme. J’ai fait des cupcakes pour Mila, j’ai tout préparé et voilà, ça tombe à l’eau, il faut reporter la date.

Une preuve supplémentaire qu’il ne faut jamais tirer des plans sur la comète et vivre le moment présent. A force de se focaliser sur le futur, qui ne sera peut-être pas celui que nous avions prévu, nous ne profitons pas du moment présent. Un peu comme dans la vie : quand on sera pensionnés, on partira au soleil. Il ne faut pas attendre. Faites-le au moment où vous y pensez, parce qu’après n’arrivera peut-être pas dans les conditions prévues. Ca m’apprendra à ne pas toujours être en phase avec ma philosophie. Résultat des courses : je suis restée au lit, quasi toute la journée, à dormir.

Et pourtant, je sais que ce jour arrive entre deux chimios. Allez, oublions ce mauvais moment et reportons la date.

 

Samedi 10 novembre 2012
En route pour Douai pour le shooting du Tribute Festival. Une première édition pour un public qui n’a pas l’air très connaisseur du genre. La salle est spacieuse, la scène est grande et bien équipée (on reconnaît la patte de l’équipe du Spa Tribute et des Francos), il n’y a plus qu’à attendre et envoyer la sauce.

Malheureusement, le public n’a pas vraiment répondu présent et c’est dommage pour lui et les organisateurs, qui avaient vraiment mis les petits plats dans les grands. On retrouve les artistes belges, français et italiens que nous connaissons déjà. Parfois, je me demande juste si les « lighteux » (pour les profanes, les ingénieurs qui s’occupent des lumières) n’ont pas la cataracte.

Eclairage plus que faible, pas de poursuite, bref la pénombre. T’as beau avoir du bon matos, quand il n’y a pas de lumière, il n’y a rien à photographier. On s’en sort plutôt bien en jonglant un peu sur le rythme des lumières. Les groupes ont assuré grave. Je suis un peu crevée, surtout à cause de mes pieds qui s’engourdissent tout le temps. Je ne sens pas le sol et je trébuche. Ca commence vraiment à devenir gênant.

Il faudra qu’on en débatte avec l’oncologue, parce que ça me handicape vraiment. Déjà que les mains engourdies ne me facilitent pas la vie, alors si les pieds s’en mêlent ou s’emmêlent (au choix), je vais devoir atteler des skates…..

 

Mardi 13 novembre 2012
Enfin, le jour J est arrivé. Je prends ma petite auto, mes petites affaires, en route vers mes soleils. Mila est contente de me voir et me raconte ses petites histoires : l’école, ses amies, ses jeux, ….  Elle parle bien maintenant.

On fait des puzzles, on se fait quelques comptines, on rit beaucoup et ça fait un bien fou. Maud tient le coup, malgré la douleur de sa plaie. Elle est forte et ça lui permet d’aller de l’avant. Je suis fière d’elle. Pour la première fois, j’ai vu sa plaie. J’ai eu très mal pour elle. Comment peut-on supporter une telle douleur ?

Il faudra beaucoup de temps pour cicatriser, mais elle est confiante. Attendons encore un peu et peut-être qu’une greffe fera l’affaire plus tard.



Mercredi 14 novembre 2012
Il y a des jours où on ferait mieux de rester au lit. Je sais que je peux devenir très distraite et maladroite quand je suis trop cool, mais pourquoi toujours me punir ? J’ai commencé une petite collection de plaques émaillées. En manipulant une enveloppe qui en contenait 4 (ça fait son petit poids quand même), elle a glissé en ligne droite sur mon gros orteil. Je ne te dis pas la douleur.

Heureusement, c’est le pied droit qui est bien engourdi, donc ça a atténué la sensation. Il est tout gonflé (merci Vahiné), tout bleu (merci Peyo) et il est douloureux (là, je ne sais pas qui remercier). Verdict : gros orteil cassé. Ca manquait à mon palmarès, tiens ! Je pense qu’en 59 ans, c’est la première fois que je me casse un os. Il faut bien commencer un jour et il n’est jamais trop tard. Mais, je m’en serais bien passée.

Comme il n’y a rien à faire, que laisser faire la nature, le repos est la seule possibilité. Crotte, crotte et re-crotte. Ca ira mieux demain.

 



Vendredi 16 novembre 2012
Ce soir, petit souper sympa chez des amis. Les membres de Djinn Saout, qui, j’espère, auront un jour le succès qu’ils méritent et que nous soutenons depuis le début. On a bien rigolé autour d’une raclette (enfin légère pour moi mais le principal est d’être en bonne compagnie).

 

Super moment de détente. On a vraiment besoin de moments uniques comme ceux-là. On les apprécie, que dis-je, on les savoure ! Si chacun, en se levant le matin, prenait le temps d’écrire sur un bout de papier ce qui ferait son bonheur pour cette journée à venir ? 

Cherchez bien, vous trouverez toujours un petit quelque chose qui vous fera rire ou sourire, qui vous fera du bien, que vous aimeriez partager, que vous souhaiteriez à quelqu’un, …. Juste une petite pensée !  Ca donne un but à la journée, c’est moins long que les résolutions de nouvel-an, qu’on ne tient de toute façon jamais.



Mardi 20 novembre 2012
9h30…. Rendez-vous à l’hosto pour ma 18ème séance de chimio. Quand Hilde, la responsable du test clinique, m’a donné ce chiffre, j’ai trouvé ça bien long. Je ne m’en rends même plus compte. Ca n’est pas comme pour les autres chimios. Je savais à l’avance que je partais pour 8, 10 ou 12 séances. Ici, c’est l’inconnu, le brouillard…. Tant que mon corps le supporte !  Il est fort celui-là (soyez correct).

Un corps en béton armé (je ne parle pas de la musculature, mais de la résistance). On fêtera la 20ème séance. Chiche ? Je dis vraiment n’importe quoi, parce que franchement, ça commence à devenir long, très long, mais c’est mieux long en vie que limité au ciel. Ha ha !  Notre nature n’est pas toujours mal faite, au fond. On s’habitue à tout, on s’accommode de tout, même des choses les plus insupportables.

Rose Magazine, un magazine français qui regroupe des témoignages de malades, de médecins qui jouent dans la cour du cancer du sein (si je peux me permettre) a publié une partie de mon carnet de bord. Je le parcours quelque fois et donne un petit coup d’espoir à une patiente qui se décourage, des trucs ça et là (par exemple, comment transformer de la lingerie ordinaire en lingerie pour prothèse – vous n’imaginez même pas les trucs moches qu’on est obligées d’acheter, car les fabricants, alors qu’il y a un réel potentiel, n’ont pas compris qu’il y avait là une vraie niche à prendre et des milliers de clientes potentielles – alors c’est bien d’arborer le ruban rose, mais ça serait mieux de réaliser des choses concrètes). Je reviens à mon site Rose Magazine : ne voilà-t’ il pas que je découvre deux messages de personnes étriquées qui critiquent et qui se moquent un peu. Que peut comprendre quelqu’un qui n’est pas passé par là et qui peux juger de la réaction face à la maladie ?

Chacun réagit avec son vécu, sa nature. Je sais ce qui me fait le plus grand bien. Ecrire est une façon pour moi d’exulter mon vécu et, en même temps, de le partager. Je me demande même pourquoi ça arrive encore à m’énerver. Ca ne sont que des réponses « de comptoir », des formules toutes faites, émises par des crétins qui n’imaginent même pas les souffrances morale et physique. Ahoummmmm….. je me calme. Voilà, je suis de nouveau à vous, sereine et calme. Pour en revenir à l’hôpital, rendez-vous tôt le matin pour en ressortir vers 17h. Ils avaient oublié de commander ma chimio et j’ai attendu 4 heures entre la visite du médecin et la chimio. Je constate aussi qu’il y a de plus en plus de patients dans le service, au point où il y en a partout : dans les chambres, les couloirs.

Est-ce vraiment normal ? Pas assez de personnel, pas assez de place…. Hé, vous, Madame la ministre de la santé publique. Oui, c’est à vous que je m’adresse. Au lieu de palabrer, vous ne feriez pas quelque chose pour que le personnel et les patients soient mieux logés ? Autant pisser dans un violon. A partir du moment, où on laisse des gens dormir dans la rue, on nous dira qu’on doit déjà être bien contents d’avoir un toit.



Dimanche 25 novembre 2012

Alors que ça devait être un week-end « plaisant », une bronchite, état grippal, rhume, bouton de fièvre et totalement raplapla. J’ai tout le temps froid. Samedi, on a dû quitter une fête d’anniversaire, parce que j’étais congelée alors qu’ils étaient tous en tee shirt. Quand vais-je avoir un peu de répit ? SVP, là-haut….  Y a quelqu’un ???? Vous pouvez passer au suivant, j’ai déjà donné !!!! On emploie les moyens naturels, un peu d’huile essentielle et au pieu.



Lundi 26 novembre 2012
4 heures du mat…. Seulement ? J’ai l’impression d’avoir hiberné un hiver entier. Mais quand j’ai essayé de me lever, ça tourne. Re-lit jusqu’à midi.
Il y a 16 ans aujourd’hui, que maman (nonnina comme l’appelaient les enfants) est partie rejoindre les étoiles. C’est toujours un jour un peu difficile à passer. Elle me manque toujours autant et me manquera toujours. Une fée, la bonté en personne, qui n’a pas mérité la dureté de sa vie ni celle de sa mort. Coucou maman, tu me vois ? je suis là au milieu des milliards d’humains.

C’est vrai que de là-haut, ça ressemble plutôt à google earth, alors vas-y retrouver ton enfant là-dedans !
Le moral n’est pas trop top non plus.

Je dois me ressaisir. Rassurant de me sentir quand même humaine, mais je n’aime pas ces instants où je me sens dépendante des autres. Dieu sait si Msieur Cœur Jumeau se couperait en quatre pour moi, mais je n’aime pas cela. L’orteil cassé, la bronchite….

Rien que des petits bobos, mais qui s’ajoutent au reste et qui commencent un peu à me les casser, je dois bien avouer.

 



Mardi 27 novembre 2012

J’ai eu l’idée de faire un point sur la maladie. C’est bizarre comment analyser les faits, les rend encore plus énormes. Ca sera d’ailleurs la seule fois que je ferai cet exercice.

-    3192 jours de lutte journalière contre le crabe
-    8 jours à se demander pourquoi moi ?
-    1 jour pour décider de basculer vers le côté positif
-    82 sessions de chimiothérapie (intraveineuses, orales ou via artère hépatique)
-    8 produits différents de chimio (Taxotère, Taxol, Xeloda, TDM1, FEC,….)
-    30 séances journalières de radiothérapie (rayons)
-    90 séances de kiné post-opératoire
-    des centaines de visites médicales
-    autant de prises de sang
-    1 sein et une chaîne ganglionnaire en moins
-    32 jours d’hospitalisation pour chimio ou problèmes inhérents au crabe
-    105 séances d’Herceptine
-    187 hospitalisations de jour
-    19 séances de test clinique (toujours en cours)
-    3 hôpitaux différents (Cavell, Brugmann et enfin UZ Leuven)
-     des nouveaux cheveux tout blancs
-    un portakad depuis 2700 jours
-    des dizaines de visites chez le médecin-conseil
-    5 visites chez le médecin des assurances
-    des centaines des scanners, résonances magnétiques et autres échographies
-    3192 jours que je suis née à nouveau, ce qui me permet d’encore regarder le monde avec les yeux d’un enfant de 8 ans
-    et malgré cela 3192 jours que j’apprends à m’apprivoiser, à me connaître, à m’aimer et à surtout sourire à la vie. Comme quoi, on ne fait pas tout ça pour rien…. enfin, j’espère.

Un mois de plus qui se termine est un mois de gagné sur la vie. Et pour le reste, vous savez bien…. TAKE THE BEST, FUCK THE REST !

 

Mise à jour le Vendredi, 30 Novembre 2012 16:57