Le carnet de Loreta : mars-avril 2012
Écrit par Loreta Mander   
Mercredi, 04 Avril 2012 17:00

Loreta, nous partage sans fausse pudeur, avec simplicité, coeur et passion, son carnet de bord, celui d'une femme sur le chemin, là où la montagne se dresse

Comme un cri, elle nous disait : "Il ne faut pas attendre le pire pour s'arrêter et réfléchir un peu à soi.  Je ne suis pas plus forte qu’une autre, mais une espèce d’instinct animal me pousse à me battre de plus en plus hargneusement et ça je ne peux l’expliquer.

Lors de son premier échange Loreta se présentait ainsi : "La maladie est pour moi une forme de chance, comme un rappel à la vie.

Tout allait pour le mieux pour moi : j’ai rencontré mon cœur jumeau, je reconstruis ma vie et je suis tout simplement heureuse.
J’ai 2 enfants. Il a 2 enfants. Nous voici famille recomposée de 4 enfants, qui s’entendent très bien.
Je suis née à Verviers et y ai vécu jusqu’en 2000. Pour des raisons professionnelles et amoureuses, j’ai migré vers la périphérie bruxelloise, où je réside encore à l’heure actuelle".

 

Loreta et Jean-Marie

Voici son carnet de bord, sixième volet

Mercredi 13 mars 2012
Je reprends la plume pour continuer mon carnet de bord. Tant de choses se sont bousculées depuis la dernière édition, que je n’ai pas trouvé le temps d’écrire.

Tout d’abord, des nouvelles de Maud, ma fille. Après 6 opérations assez délicates, les chirurgiens ont décidé d’amputer 4 orteils, car on ne pouvait plus rien pour eux. Une reconstitution en microchirurgie a été faite, mais un problème d’infection non résolu rend le verdict délicat. Des antibiotiques à hautes doses pour en venir à bout. Croisons les doigts pour ne pas envisager d’autres solutions. Elle a un bon moral et se bat comme une lionne afin de sortir de l’hôpital au plus vite, de mieux profiter de son conjoint et de sa fille…. Bref, de retrouver une vie « normale ».  Je lui envoie un maximum d’énergie, mais je dois aussi en garder un peu pour moi.

J’ai passé hier ma 6ème séance de chimio. Je suis très fatiguée, mais c’est peanuts à côté de ce que d’autres subissent. Le soleil est de la partie et me donne encore plus d’espoir.

 

Samedi 17 mars 2012
Après 2 jours de soleil et de température agréable, voilà qu’il pleut, mais dans le cœur, il y a toujours du soleil. Dieu que l’imagination doit rester fertile en Belgique !

Je ne reviendrai pas sur l’accident d’autocar qui a coûté la vie à plusieurs enfants belges, mais juste sur l’attitude de certains médias vis-à-vis de cet événements. 3 jours d’éditions spéciales, de JT complets sur le sujet, de reporters sur place qui n’ont rien à dire (et parfois que des imbécilités), une indécence qui dépasse l’entendement. J’ai été étonnée que certaines chaînes, qui habituellement, ne sombre pas dans le voyeurisme avec moultes détails, ont aussi sacrifié au dieu audimat. Racoleurs, indécents….

Rien à voir avec l’information. J’ose espérer que le public n’attend pas cela d’un média ou alors,  je désespère de la connerie de l’être humain. La minute de silence est la seule chose pertinente dans toute cette affaire. Les belges tous réunis face à la cruauté du destin. Une nation qui se dit que ça peut arriver n’importe où, à n’importe qui. Mais laissons vivre leur deuil à ces familles.


Un ami photographe vient de perdre son jeune fils inopinément. J’ai une grosse pensée pour lui. Il lui faudra beaucoup de courage pour surmonter cette injustice. Quand une femme perd son mari, on dit qu’elle est veuve. Quand un homme perd sa femme, on dit qu’il est veuf.

Quand un enfant perd ses parents, on dit qu’il est orphelin, mais il n’y a aucun mot pour un parent qui perd son enfant, à part injustice !

 

Vendredi 23 mars 2012
Hier, j’ai cru que la valse des emmerdements allait encore continuer. Vers 15h30, j’ai été prise de tremblements et une grande sensation de froid. 39,7° de température. C’est quand même un peu beaucoup, surtout quand ça ne bouge pas après un Daffalgan 1mg ! 

Faut se résoudre : j’appelle les urgences oncologiques, je dois m’y rendre immédiatement. Aux environs du 10ème jour après la chimio, le taux des globules blancs et rouges est au plus bas. Ca signifie que la moindre mouchette enrhumée qui te frôle, te refile directement ses virus et ton corps dit : « Oui, oui, entrez, je vous en prie ! ». Après deux prises de sang et autres examens, j’ai pu pousser un soupir de soulagement : pas d’infection. Je suis donc rentrée dormir à la maison, alors que l’urgentiste voulait m’hospitaliser pour minimum 48heures. Qu’est-ce que j’ai bien savouré ma nuit, la tête engoncée dans mon oreiller près de mon cœur jumeau.

Les urgences sont toujours une terreur pour moi….. souvenir de mes derniers séjours. On est quand même mieux chez soi.
Et ce matin, plus rien !!!! et c’est tant mieux. Encore une preuve qu’il faut profiter à fond de la vie tant qu’on peut. Un grain de sable dans l’engrenage et tu te retrouves dépendant à regretter de ne pas avoir fait les choses quand tu pouvais encore les faire.

Maud se remet tout doucement. L’infection est en passe d’être enrayée. Prochaine étape : la greffe de peau et puis retour à la maison.

 

Samedi 24 mars 2012
Ce matin, je me sens fatiguée, mais à peu près bien. En route pour le Belzik Festival à Herve. Contente de revoir mes potes photographes, les bénévoles des Francos, Charles, Chaton, Nadine, Marc, Pierre, Pol et les autres…. Un petit détour par le CHU pour faire un gros bisou à ma petite Maud, qui a l’air de tenir le cap.

Accueil exceptionnel à Herve. La bise à tout le monde. Regarder des chouettes concerts et faire quelques photos. Sur ce coup-là, mon double a bien assuré. J’étais trop fatiguée pour me jeter dans le frontstage. Mes bras ont du mal à tenir l’appareil photo mais dans quelques jours, on n’y verra plus que du feu. Quelle rude bataille les amis. Il y a des moments où on doute de sa force, mais toujours garder le cap pour avoir cette fameuse confiance en soi qu’on est capable d’enrayer le mal, même si quelques fois, on se sent tout petit et si faible (comme disait le poussin à l’œuf sur la tête), qu’on a quelques doutes. Les mots d’encouragement font du bien.

Et puis, quand on me demande si ça va, je préfère dire que oui, parce que j’ai peur de saoûler les autres avec le petit crabe. C’est le propre des maladies chroniques. Au début, tout le monde veut savoir et, ensuite, on a peur d’entrer dans les détails.

C'est aussi parce que la perte et la peur sont devenues notre quotidien que nous aimons autant la vie.

Une délicate attention de Mario Gucci, le chanteur de Machiavel qui m’a dédicacé cette chanson que j’aime tant « Feel the Sun ». Elle me correspond si bien. Merci Mario !

Derrière la carapace des rockers, se cache toujours un cœur tendre et plein de tendresse. Et oui, j’ai mes petits préférés.

Un super concert de Vegas, de Machiavel bien entendu, de Charlie Winston et une étonnante découverte que Brigitte, bien que ça ne soit pas ma tasse de thé.

En fait, nous sommes toujours en vie, c’est le principal. Donner la meilleure qualité possible à celle-ci, même si c’est une vie fragile, parfois suspendue au fil de traîtements chimiques, aux mains d’un médecin qu’on espère compétent.

Un vie remise, malgré nous, à la sagacité, à la technique d’un autre. En somme, une vie « confiée ». C'est aussi parce que la perte et la peur sont devenues notre quotidien que nous aimons autant la vie.


Retour casa avec des souvenirs plein la tête, les prémices des Francos et autres festivals. Les photos sont très chouettes.

"Mario Gucci, le chanteur de Machiavel qui m’a dédicacé cette chanson que j’aime tant « Feel the Sun » "

Photo de Laurence Demeulemeester

 

Mercredi 28 mars 2012
Lundi, j’ai passé ma journée au lit. Au réveil, impossible de me lever, comme si mes membres ne m’appartenaient plus. Mes jambes ne me tiennent plus debout. Je vacille et j’enrage.

Je suis fâchée contre moi, contre les médicaments, contre mon impatience à guérir, bref j’en veux à la terre entière …. sans jamais viser personne ! Il y a longtemps que ça ne m’était plus arrivé. Sensation d’immense vide intérieur. L’énergie est au plus bas, je me traîne, alors autant dormir. En plus, la migraine et la nausée. Il faut que je me ressaisisse. Si je continue ainsi, je ne vais plus positiver et ça…. pas bon pour le combat. Alors, comme chaque jour, je vais me relever, me battre et gagner, mais nondidju que c’est difficile ! Par contre, ce matin, le malaise était passé. Mon état de lundi et d’hier est dû au taux très bas de globules blancs et rouges.

Les globules blancs sont nécessaires à notre immunité et les globules rouges trop bas provoquent un état d’anémie totale. D’où cet état de faiblesse générale. J’en suis à ma 6ème séance de chimio et je pense que mon corps commence à saturer. Je récupère de plus en plus difficilement. Et puis la lune était mauvaise jusqu’à aujourd’hui, donc croisons les doigts. Ca ira mieux demain comme disait ma copine Annie.

 

 

Samedi 28 mars 2012
Que dire de ce qu’il se passe dans ma tête pour le moment ? Je pense que trop de choses se sont passées en quelques semaines.

Choses auxquelles j’ai voulu résister et rester forte. Mais je me sens comme assise à la place du conducteur, personne au volant, pas la force d’actionner la pédale de frein, bref laisser aller la machine en supposant qu’elle gardera le cap. Ca n’est pas bon ça. Normalement, j’arrive à écouter mon corps, à le suivre ou à le rediriger quand c’est nécessaire. Ici, je suis sans énergie. L’eau bout et le couvercle va exploser. C’est bien de se montrer fort, encore faut-il l’être !!! Il faut que je me recentre sur moi-même. Mardi, j’ai mon prochain scanner et il faut qu’il soit bon, qu’on interrompe la chimio et que je reprenne ma route normalement. Pas simple hein tout ça ????? 

On est spectateur de son propre corps.

Mon cœur jumeau essaye de me remettre sur les rails, mais il commence aussi à s’épuiser. On parle beaucoup, mais ça ne suffit pas. Il faut agir…. Et très vite ! Mon temps est compté, je n’ai pas droit à l’erreur.

Quelle expérience d’être malade !  On se perd, on se retrouve, on se détruit, on se reconstruit et tout ça en peu de temps. Ca forge le caractère mais ça détruit aussi. On se relève plus fort, mais dieu que c’est dur de se relever.

Je pense que mon corps est saturé de tous ces produits de chimiothérapie, je pense qu’il voudrait respirer. La perte d’énergie rend moins positif, on se sent diminué, on est au bord de la déprime, et on ne peut pas réagir.

On est spectateur de son propre corps. C’est insupportable.

Il faut me ressaisir et très très vite, sinon c’est le plongeon. Et ça n’est pas encore l’heure. C’est juste un doute qui m’envahit, qui me poursuit et auquel je dois résister. Croisons les doigts pour les résultats de mardi. En attendant, je tiens le coup.

 

Vas-y Pepette, tu vas y arriver, tu es la meilleure dans cet exercice. Crois en toi, réveilles-toi. La vie est trop belle et encore tant de choses à vivre.

 

Mardi 3 avril 2012

Aujourd’hui, le verdict. J’ai été tellement mal ces derniers jours, un peu dépressive, énergie absente, positivité partie….. Quels que soient les résultats, je suis bien décidée à demander une pause de quelques semaines au doc. Juste le temps de reprendre mon souffle. Echo du cœur, scanner et attente interminable. Il m’appelle, mon cœur commence à battre très fort. Comme à mon habitude, je m’attends à un résultat négatif pour ne pa

s être déçue si c’est le cas et pour me faire une fête s'ils sont positifs. J’ai toujours fonctionné ainsi. Il commence sa phrase : étonnant, les métastases sont invisibles et les marqueurs tumoraux sont en nette baisse. Yesss….

Encore une petite victoire ! Je lui fais part de mon intention et là, ça se corse. Comme je suis inscrite dans un test clinique, si je le quitte ou fais une pause, je ne peux plus y adhérer. Donc, il faut continuer ou abandonner. La balance oscille.

Si je continue, je participe au développement d’un produit hyper prometteur, qui sera sur le marché d’ici 2 à 3 ans. De plus, il fonctionne, et bien. 

Ca veut dire aussi que si j’abandonne le test, ce qui est ma liberté à tout moment, je pourrai en bénéficier quand il sera commercialisé, càd dans quelques années. Aurais-je encore le temps ? Des tas de malades se damneraient pour bénéficier d’un traîtement sans trop d’effets secondaires et qui fonctionne. Vu comme ça, il a raison.

Ca signifie que je recevrai ce traîtement aussi longtemps qu’il fonctionne. Les effets secondaires que j’ai subis ces dernières semaines sont probablement dûs à une succession d’emmerdes de toutes sortes, que j’ai contenues, que je n’ai pas digérées et qui sont sorties comme un geyser. Si je ne continue pas le traîtement, quelles sont les alternatives ?

Des chimios traditionnelles avec leur cortège d’effets secondaires réels. Il n’y a pas photo. En espérant que j’ai fait le choix le meilleur pour moi et ma qualité de vie…. Et la vie va, elle continue…..

Merci d’être là pour me soutenir, merci pour vos messages, vos manifestations sympathiques … tout ça m’est très précieux !

Mise à jour le Jeudi, 05 Avril 2012 08:26