Conte de Noël : La musique est dans l'escalier
Écrit par Albert Moxhet   
Jeudi, 03 Décembre 2009 10:25

Conte de Noël LA MUSIQUE EST DANS L’ESCALIER En réfléchissant un peu, il se rendait compte qu’il y avait eu beaucoup d’escaliers dans sa vie. Tout gosse, sa chambre était au second étage et, pour descendre – c’est le mot – en ville, il y avait deux fois des escaliers monumentaux, que ce soit pour aller à l’école, au cinéma ou dans les grands magasins.

Plus tard, lorsqu’il était étudiant, s’y ajoutèrent ceux de la gare et ceux de l’Univ. Ces derniers avaient cependant parfois un côté plaisant, car il avait remarqué qu’au premier étage, un prof laissait souvent ouverte la porte, donnant sur le palier, du local où il faisait cours. Les marches étaient de marbre et le palier carrelé : lâcher une poignée de billes dans la cage d’escalier depuis le troisième étage ne pouvait qu’engendrer une cascade de sons cristallins du meilleur effet pour distraire l’attention des étudiants et de leur maître.

Marié, père de famille, il habitait une maison qui n’avait rien d’un bungalow. Il l’aménagea d’ailleurs avec une volée sur angle rachetée à un entrepreneur qui démolissait une chapelle désaffectée. Mais ces marches qu’il grimpait ou dévalait prestement – avant que n’apparaisse l’arthrose – c’était le quotidien, l’ordinaire de chaque journée.

Cependant, d’autres escaliers lui laissaient un souvenir particulier. Par exemple, il se rappelait toujours avec une certaine émotion les conversations qu’une de ses tantes, âgée et vivant en solitaire au premier étage d’une grande maison devenue déserte, prolongeait par-dessus la rampe jusqu’au moment où il refermait la porte de la rue. 

Peut-on parler d’escalier à musique ? Toujours est-il que, lorsqu’il allait rendre visite à un ami vivant sous les toits, à chaque étage, il entendait une musique différente. La dame du rez-de-chaussée avait un faible pour Adamo et les crooners à la voix de velours. Au premier étage, le locataire était un fan de rock and roll et faisait partager sa passion à toute personne traversant le palier. Le couple du second était plutôt branché « musiques du monde », on pouvait donc percevoir au passage la délicatesse d’une harpe celtique, la respiration étouffée d’un didgeridoo australien ou l’envol des flûtes andines.

Au troisième, vivait une dame dont l’obscure carrière d’employée avait été illuminée par ses prestations de choriste à l’Opéra, elle en avait gardé un penchant affirmé pour les grands classiques. Enfin, le copain du grenier, lui, grattait la guitare avec un bonheur certain qui se déclinait parfois en compositions originales.  Un jour d’hiver, à la nuit tombante, comme ledit copain, victime d’un refroidissement, ne pouvait sortir, il lui avait apporté des provisions et quelques citrons : « Les vitamines C, c’est l’idéal dans ton cas. »

En descendant l’escalier, il fut enveloppé par la sérénité d’un chœur grégorien. « Montserrat ou Santo Domingo de Silos ? », se demanda-t-il avant de descendre quelques marches et de percevoir les sonorités d’instruments anciens accompagnant la voix d’un « messager / Qui leur a dit mettez-vous en campagne / Qui leur a dit Noël est arrivé ».

Surpris, il hésita un moment et l’image du bel album 33 tours Almanach de Malicorne lui revint à l’esprit. Étonnement encore lorsque, arrivant sur le palier du premier étage, il entendit la voix grave et profonde de Mahalia Jackson entonner « Si-ilent night, Ho-oly night » : « Tiens, se dit-il, il aime aussi le gospel ! »


Dans le corridor, instinctivement, il régla son pas sur le pa ra pam pam pam par lequel Nana Mouskouri donnait délicatement la cadence à l’enfant au tambour. Au moment d’entrer dans sa voiture, il leva les yeux vers la lucarne éclairée sous le toit. Bien plus haut, brillait une étoile.

                                                                                                 

Albert Moxhet Dessins : Anne Liégeois       (Extrait du Pays de Franchimont de décembre 2009)

Mise à jour le Samedi, 19 Décembre 2009 11:43