Ma campagne de mai 1940 de Julien Herman
Écrit par Julien Herman   
Mardi, 05 Septembre 2006 00:26

Julien HERMAN né en 1929, secrétaire communal honoraire de Nessonvaux, vous livre quelques-uns de ses souvenirs 1940 – 1945   

J'avais alors onze ans et trois mois et j’habitais rue de Battice à Petit-Rechain, exactement en face du garage des autobus « Le Perron » .

Cette nuit-là, celle du 9 au 10 mai 1940, mon sommeil, profond et paisible comme celui de tous les gosses, s'achevait sur un rêve. Ma mère, penchée sur moi, me disait...

J'ouvris les yeux. Non, ce n'était pas un rêve ! Un intense vrombissement, bien réel, emplissait l'air, faisant vibrer la maison. Au clocher de l'église, les sirènes hurlaient lugubrement. Penchée au-dessus de mon lit, ma mère me disait d'une voix toute tremblante: "Lève-toi m'fi, c'est la guerre !"

J'avais alors onze ans et trois mois et j’habitais rue de Battice à Petit-Rechain, exactement en face du garage des autobus « Le Perron » .

Cette nuit-là, celle du 9 au 10 mai 1940, mon sommeil, profond et paisible comme celui de tous les gosses, s'achevait sur un rêve. Ma mère, penchée sur moi, me disait...

J'ouvris les yeux. Non, ce n'était pas un rêve ! Un intense vrombissement, bien réel, emplissait l'air, faisant vibrer la maison. Au clocher de l'église, les sirènes hurlaient lugubrement. Penchée au-dessus de mon lit, ma mère me disait d'une voix toute tremblante: "Lève-toi m'fi, c'est la guerre !"

La guerre ???!  Pour moi, la guerre, c'était autre chose que ce qu'elle semblait être depuis le 3 septembre l939:  quelques escarmouches entre patrouilles françaises et allemandes en avant de la Ligne Maginot; cent mètres de terrain conquis puis abandonné; quelques images du "front", dont je me délectais lorsque ma grande soeur Berthe (21 ans),  rentrant de son travail à Verviers, rapportait l'hebdomadaire "Match".

Pour moi, la guerre, c'étaient les crimes abominables des soldats allemands en l9l4, les odieux massacres perpétrés par eux à Herve et en cent autres lieux, la longue nuit de quatre années d'occupation, avec ses restrictions alimentaires, ses  contrôles, ses vexations, ses arrestations, ses fusillades. Car, maintes fois, j'avais entendu déjà, le récit de toutes ces horreurs: alors que, âgé de quelque quatre ans, sagement assis sur un "passet" dans un coin du salon de coiffure de mon père, rue Moreau, 58, à Herve, j'écoutais la conversation des "grands", témoins ou presque victimes, vingt ans plus tôt, de la Furor Teutonicus retardée "nach Paris" par l'artillerie du fort de Fléron.

J'ouvre donc d’abord ci-après une longue parenthèse pour relater les événements

vécus par mon père au début de la première guerre mondiale.          

Ainsi, le samedi 8 août l9l4 dans la matinée, une importante colonne allemande (du 39e régiment d'infanterie de réserve) avait fait halte au "Malakoff", partie haute de Herve. La chaleur était accablante. Sciemment excitée par la légende de prétendus civils francs-tireurs, effrayée par la mortelle précision des canons du fort de Fléron, la soldatesque prussienne (au ceinturon marqué de "Gott mit uns": avec l'aide de Dieu, donc...) n'avait pas tardé à s'égailler un peu partout dans la ville et à y faire la démonstration de ses criminelles aptitudes. D'abord curieux - puisqu'on ne connaissait des Allemands  que leur participation déterminante à la catastrophe du l8 juin l8l5 à Waterloo (pour le malheur éternel de la Wallonie) - les gens rentrèrent précipitamment dans leurs demeures dès les premiers coups de feu, et l'inquiétude croissait au rythme du crépitement des premiers incendies. L'auteur de mes jours, Arthur HERMAN, alors célibataire et âgé de 25 ans, habitait à l'angle même (côté Battice), de la rue Moreau et de l'avenue Dewandre, et exploitait là un salon de coiffure pour hommes. Avec lui vivaient: Aimé-Joseph HERMAN, mon grand-père (depuis quelques années abandonné par ma grand'mère); mon oncle Alfred; ma tante Francisca, mon oncle Constant; et ma tante Mariette, cadette de la famille et âgée de seulement l4 ans.

 

Suivi de deux soldats, un officier allemand entra et, par signes, fit comprendre qu'il désirait se faire raser. Durant toute l'opération, les deux soldats, révolver au poing, tenaient mon père en joue. Au dehors, claquaient des coups de feu sans cesse plus nombreux; les ordres gutturaux des soldats se mêlaient à des cris d'épouvante ou de douleur. De plus en plus inquiet, mon père demanda à l'officier s'il y avait du danger. "Non, Mocheu, il n'y ba te danzé". Risquant néanmoins un coup d'oeil à l'extérieur en reconduisant ses trois indésirables visiteurs, mon père vit des soldats occupés à lancer des engins incendiaires dans la corniche de la maison ! Plusieurs cadavres de civils jonchaient la rue, où plusieurs immeubles flambaient comme des torches. Arthur HERMAN eut tout juste le temps d'entraîner ses proches dans la cave....

 

Bientôt, les assassins/pillards/incendiaires envahissaient la maison où on les entendait vociférant et saccageant le mobilier à grands coups de baïonnette, avant de céder les lieux aux flammes. Les voisins immédiats allaient être, soit abattus sur place, soit poussés, comme du bétail, jusqu'au-devant de Mélen, lieu-dit "Labouxhe", pour être massacrés au bord d'une tombe qu'ils avaient été contraints de creuser eux-mêmes ! Parmi eux, des "francs-tireurs" (!) âgés de l3 ans à peine. Pourquoi la famille HERMAN, quant à elle, n'avait-elle pas connu, elle aussi, ce sort funeste ?  La réponse à cette question  relève du domaine des hypothèses. On sait que jadis, la porte de cave n'était, fort souvent, constituée que de quelques planches tapissées comme le mur où elle s'attachait; on est dès lors amené à supposer que dans leur folie destructrice, peut-être, de surcroît, embuée de vapeurs d'alcool, les tortionnaires Huns ne l'ont pas remarquée...     On ne le saura jamais.

 

Glacée d'effroi derrière ce frêle rempart, la famille HERMAN voyait approcher la phase finale. L'incendie faisait rage et la fumée commençait à s'infiltrer dans la cave. "Bijou, taisez-vous, n'est-ce pas !" commandait mon père à son chien, un petit bâtard très intelligent, d'habitude fort bruyant, mais qui, paraissant conscient de la gravité de l'heure, cette fois ne bronchait pas...

Tout à coup, dans un fracas sinistre, la maison s'effondrait, précipitant des éboulis et de la poussière sur les escaliers de la cave, dont la voûte, toutefois, tenait bon. Néanmoins, l'atmosphère devenant irrespirable, mon grand-père dit: "Récitez votre acte de contrition, mes enfants, nous allons mourir » !".    Mais puisqu'il fallait mourir, chacun fut d'avis que mieux valait tenter une sortie et mourir ensuite à l'air libre . A coups de hache, mon père trancha la traverse en bois qui barrait le soupirail et risqua un regard dans la rue: elle était déserte. Prudemment, tous se hissèrent hors de la cave et s'éloignèrent en hâte de ce qui avait été leur foyer. Avec pour seule richesse les vêtements qu'ils portaient sur eux, les pitoyables sinistrés gagnèrent le bas de la ville, où les incendies faisaient toujours rage. De là, par Elvaux et Manaihant, ils parvinrent à Petit-Rechain, puis furent accueillis par les autorités communales de Dison et provisoirement installés dans une maison de la rue de Rechain.

Ces atrocités allemandes de l9l4 traversèrent mon esprit tel un éclair fulgurant, cependant que je bondissais de mon lit, en cette aube radieuse du 10 mai 1940. Enfilant en vitesse mes vêtements, je courus  à la fenêtre, où m'attendait un spectacle tout nouveau pour moi: des dizaines d'avions passaient à haute altitude, volant plein Ouest et laissant, sur l'azur du ciel, de longues traînées blanches de condensation. A travers leur intense bourdonnement, je perçus tout d'abord les voix familières des voisins, eux aussi réveillés et scrutant le ciel. "Regardez un peu ici !"  "Regardez un peu là-bas !"  Toute la maison était d'ailleurs en émoi. Mon frère Joseph dévalait de la mansarde où il couchait. Ma soeur Berthe quittait tout juste la chambre qu'elle partageait avec ma grand'mère maternelle, tandis que ma mère s'efforçait, tout en l'habillant, de rassurer mon petit frère Henri, infirme de 4 ans et demi, incapable de se lever sans aide, et dès lors plus traumatisé que quiconque par ce remue-ménage inquiétant. Je fus bientôt dans la rue, où mon père s'était joint aux nombreux badauds intrigués. Il était, je pense, environ 5 heures du matin. Les escadrilles continuaient à passer imperturbablement. De temps à autre, comme pour rectifier son alignement dans la formation, un avion virait en miaulant, puis le ronronnement reprenait son rythme régulier, menaçant...

 

Le temps passait vite, tandis que la nouvelle courait de bouche en bouche: "C'est la guerre !"  Une nouvelle dont nul ne connaissait l'origine. Mais qui donc prétendait que c'était la guerre ?  Car, quelle était la nationalité de tous ces avions ? Où allaient-ils ? D'où venaient-ils ? Du reste, Adolf Hitler, Fûhrer de l'Allemagne, ne venait-il pas encore de garantir, de la manière la plus formelle, la neutralité de la Belgique ? Si bien que la veille, le jeudi 9 mai, toutes les permissions et congés avaient été rétablis dans les casernes belges. Et, dans une atmosphère dès lors plus sereine, André BASTAGNE, fiancé de ma soeur, soldat-milicien de la classe l939, avait regagné la caserne du fort de Battice après nous avoir dit - on l'évoquerait plus tard comme une sorte de prémonition - : "Jusqu'à demain...ou après...ou après...ou après...". De toute manière, dimanche ce serait la Pentecôte, une fête de deux jours que la température véritablement estivale rendait pleine de promesses.

 

On se rappela subitement - mon futur-beau-frère l'avait déclaré maintes fois - que l'incendie des baraquements/caserne abritant la garnison de Battice serait le signe confirmant avec certitude l'état de guerre. Je courus aussitôt sur la chaussée de Battice, jusqu'à l'endroit dénommé "Pont d'Arcole", près du château d'eau de Petit-Rechain. De ce lieu situé à moins de 100 mètres de notre habitation, la vue portait, au N-E, jusqu'aux abords de Battice. Quelques villageois du coin fixaient l'horizon, atterrés, incrédules:  les baraquements du fort de Battice étaient en flammes ! Le ciel était entretemps redevenu silencieux, mais le doute ne semblait pourtant plus permis: c'était la guerre. Et j'avais très peur...

 

Je ne mangeai rien, ce matin-là; tout au long de mon existence, il en serait d'ailleurs ainsi dans mes moments d'intense émotion. Ma soeur "tchoulait" (pleurait) beaucoup. Ce n'était qu'un début, mais ne comprenant encore rien à l'Amour,  j’allais devoir m’y habituer..

Vendredi 10 mai 1940, six heures du matin. Une détonation déchire un silence sans cesse plus pesant: le fort de Battice ouvre le feu ! Des années plus tard, on apprendrait que la première victime de ce premier coup de canon avait été...le Commandant du fort, le Major Bovy, dont une rue de Battice honore la mémoire pour les générations futures. Gravement malade et hospitalisé à l'Hôpital Militaire St-Laurent à Liège, il avait, dans la nuit, exigé d'être, sans délai, ramené au fort; et alors qu'il transmettait à la coupole l'ordre du premier tir, il avait été foudroyé par une crise cardiaque.

Mais le décor était planté; on pouvait lever le rideau sur la deuxième tragédie du 20e siècle. Ainsi, ce fort, ce géant de béton et d'acier dont les pieds prenaient appui à quelque 35 mètres sous terre et dont les massives casemates avaient tant de fois exalté mon imagination d'enfant, il allait servir, comme ses semblables de la ceinture fortifiée de Liège en l9l4, à barrer aux Allemands la route de Paris !   Essayer, à tout le moins...

Ma soeur se décida à aller aux nouvelles chez les parents de son fiancé; ils habitaient à peu de distance, au terminus même du tram n° 2 "Rechain-Dison-Stembert" (ce bon vieux tram ronronnant, appelé, par le "progrès", à être remplacé en l962 par un autobus polluant...).     Eux savaient parfaitement à quoi s'en tenir. Et il s'avéra que c'est par eux que s'était propagée dans le village, jusqu'à nous finalement, la fatidique nouvelle "C'est la guerre". Voici comment. Au Fort, André BASTAGNE avait été commandé, dans la nuit, pour descendre à vélo jusqu'à Verviers, afin de remettre en mains propres à une douzaine de militaires de carrière, l'ordre de rejoindre d'urgence. Mission accomplie, il était parvenu, en tirant quelques coups de pistolet, à... réveiller ses parents pour les informer. Après leur avoir abandonné sa bicyclette, il avait arrêté une voiture automobile pour regagner Battice au plus vite. D'abord incrédule, et supposant même, face au pistolet braqué, qu'il était l'objet d'une agression, le chauffeur (qui se rendait en vacances...) s'était exécuté, avait donc fait demi-tour à l'entrée de Battice et était reparti vers Verviers, pleins gaz...

Nous attendions impatiemment le "journal parlé" de la radio; de l'INR, ainsi qu'on désignait alors la radio "nationale" avant qu'elle devînt la R.T.B., puis en l977 - reconnaissant enfin notre véritable identité d'enfants de la France - la r.t.b.F...

A 6 heures 30, succédant à l'indicatif musical familier (quelques notes de "Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille", de Grétry)  et à la ritournelle de notre mensonger et macabre hymne "national", une voix grave sortit de notre premier récepteur de T.S.F., un SBR que mes parents avaient acheté en été l938, alors qu'un certain Hitler, synthèse des nouvelles aspirations «touristiques » du peuple allemand, commençait à se mettre en vedette de l'actualité politique. Quarante ans plus tard, je ne me souviens plus de tout ce qu'a pu raconter ce   "journal parlé" historique, mais je garantis, mot pour mot, l'exactitude de sa première phrase, jaillie par tant de fenêtres déjà ouvertes sur un matin radieux: "Sans ultimatum, sans note, l'Allemagne a attaqué ce matin, la Belgique, la Hollande, et le Luxembourg". Dans le même communiqué, une autre phrase nous frappait comme une agression personnelle car elle concernait le terroir ancestral: "La gare de Jemelle est en flammes". Ce fut à partir de ces informations de source officielle que le village prit une physionomie nouvelle. Bientôt, les premiers fuyards se mirent à passer vers l'Ouest, à pied, à vélo, en voiture parfois. Isolément ou par familles entières, lourdement harnachés de sacs, ployant sous d'énormes valises, à la fois muets d'inquiétude et ravis d'être en route...vers l'Inconnu. C'est quand je voyais passer ces gens que ma propre détresse augmentait, car, fort curieusement, c'est dans la présence de tiers que je trouvais quelque réconfort. Ma famille seule ne me rassurait pas, et je ne cessais de gémir pour que l'on se mît en route, nous aussi, comme un tel, comme les X, comme les Y, comme les Z, que je venais de repérer dans le cortège sans cesse plus nombreux des heureux "partants". Mais j'avais beau pleurer et supplier, mes parents semblaient indifférents à la panique se généralisant, tout au moins au réflexe moutonnier bien connu. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi mon père, témoin de la barbarie allemande en l9l4, ne paraissait pas la redouter en 1940.  Peut-être n'était-ce que l'appréhension  de falloir courir les routes avec son enfant infirme, qui motivait ses hésitations.. ( ? ).

L'exode moderne, celui de1940, était donc bien en cours, sur un fond de détonations de plus en plus nourries lesquelles, nous parvenant des quatre points cardinaux, indiquaient que l'artillerie de Battice  n'était plus seule dans la danse. Tantôt, c'était un coup sonore et sec tel un coup de départ, tantôt c'était comme le rugissement d'une arrivée, où on croyait même parfois déceler une dégringolade de pierres et de briques. Où ? Impossible de le supputer. Des avions vrombissaient à nouveau très haut dans le ciel, mais plus dispersés qu'à l'aube. Pas un instant, l'idée ne m'effleura d'aller voir si l'école était ouverte, alors que l'heure de m'y rendre était déjà passée: les événements rendaient cette chose dérisoire.

Ce matin-là, Walthère DEROUAUX, le brave garde champêtre de Petit-Rechain, avait fort à faire, on le devine. Il courait partout, l'air grave et soucieux. Il vint chez nous pour notifier à mon grand frère Joseph (l8 ans et demi), l'ordre de se présenter au rassemblement des jeunes gens du village, évacués obligatoires parce que proches de l'âge de porter les armes (officiellement désignés comme C.R.A.B.).  Peu après, ayant réuni un peu de linge et quelques victuailles, Jojo nous embrassa et alla rejoindre ses camarades; un autobus du "Garage du Perron" les emmena vers une destination inconnue. Mes onze ans ne perçurent évidemment pas  combien ce départ fut pénible pour mes parents, voyant leur fils - un enfant encore - déjà et brusquement sélectionné pour la guerre, pour la Mort peut-être.  Le départ de "grand frère" me troubla donc peu, me valut même un brin de jalousie pour celui que son âge habilite à "rendre les coups", et...accrut encore ma peur ainsi que mon exaspération devant mes parents toujours indécis. Sans cesse dehors et constamment aux aguets, je ne perdais rien des préparatifs des voisins proches, ni de leur départ. Lentement, inexorablement, le quartier rue de Battice (la nôtre !), rue de Dison, rue Bonvoisin, rue L-B Dewez, place Xhovémont, se vidait de ses habitants. Seuls restaient généralement quelques vieillards, inconscients du danger ou peu attachés à un avenir que l'âge...plaçait déjà fort loin derrière eux.

Quelques soldats belges à vélo arrivèrent de la direction de Dison ;  harassés par l'effort de la montée sous un soleil déjà ardent, ils mirent leurs fusils en faisceaux et se laissèrent choir juste sur le trottoir assez large qui courait devant nos fenêtres, dans l'ombre de la maison. C'étaient des gars porteurs du béret bleu foncé; on les appelait des "garde-frontière". A mon vif désappointement, ils ne tardèrent pas à se remettre en route, vers Battice.

Puis ce fut l'arrivée inopinée du frère de ma mère, mon oncle Albert FASSOTTE. Tôt le matin, à vélo, avec ma tante Louise transportant ma cousine Irène (5 ans et demi), il avait quitté son domicile de Herbesthal, commune de Lontzen - territoire assurément prussien, objet des manigances des politiciens de l8l5 et de l9l8 - que les Allemands n'allaient pas  tarder à récupérer en priorité; après avoir mis en lieu sûr femme et fille chez ma tante Barbe et marraine, rue du Paradis à Andrimont, il venait embrasser sa mère avant d'aller faire son devoir.

Je n'appréciai guère la visite de l'oncle, compte  tenu du nouveau retard qu'elle apportait à notre éventuel départ: décidément, seuls les membres de ma famille ne semblaient pas pressés de fuir vers l'Ouest. On discuta des événements, des perspectives, des nouvelles et des rumeurs. Que de temps encore perdu, alors que, pour sûr, les Barbares s'avançaient vers nous !

Enfin, décidée, en tout état de cause, à se retirer dans sa maison qu'elle possédait encore "à Halleur", actuelle route de Mariomont, territoire de Stembert, ma grand'mère s'ébranla, bientôt suivie par son fils. Quelle heure était-il à ce moment ? Dix heures du matin, je pense.

Ma soeur avait rapporté la nouvelle que les parents de son fiancé se préparaient à partir, eux aussi. Mes parents décidèrent alors que nous partirions ensemble. Alleluia ! On ne dut pas insister pour me faire aider aux préparatifs, lesquels furent seuls capables de me faire quitter le rue, où j'errais depuis l'aube. Les choses à emporter ne manquaient pas, d'autant que dans l'appréhension lucide de la dernière, la toute dernière guerre (pour préserver, selon la motivation classique, les valeurs de la civilisation chrétienne), ma mère avait stocké au rez-de-chaussée (réservé à ma grand'mère car nous occupions alors l'étage de l'annexe de la maison),notamment, des haricots,  du sucre, du macaroni, du savon même. Mais pour ne pas avoir bien compris le problème des priorités, j'eus droit à une sévère réprimande à l'instant où je glissais sereinement dans l'une des valises,...mes albums d'images "Chocolat Aiglon" ! C'était, à l'époque, tout mon patrimoine mobilier. A regret, je dus retirer mes albums.

Et le chat ? Un beau "Arlequin" qui me regarda, fort perplexe, quand, dûment autorisé, je lui allongeai dans le coin de notre petite cour, un énorme beefsteak qui…ne lui était normalement pas destiné..

Toutes dispositions prises...sauf - erreur funeste - retirer de notre petite vitrine rue Bonvoisin, quelques bouteilles de liqueur et d'alcool dont nous avions un dépôt, on ferma les portes à double tour et on partit. Enfin ! Il était plus d'onze heures. A l'affût près de la fenêtre de leur appartement au 2e étage rue Nicolas Arnold, 6,  les parents du fiancé de ma soeur nous virent descendre la rue Laurent-Benoît Dewez, et ils se joignirent aussitôt à nous, avec leur chien cocker qu'on appelait "Roda". Ma mère conduisait une poussette où "Lily" (ainsi avait-on toujours désigné mon petit frère Henri) se recroquevillait toujours davantage à chacune des détonations qui continuaient à accompagner notre progression vers le village de Grand-Rechain. D'où tirait-on ?   Sur quoi ? Impossible de le deviner. Mon père conduisait une autre poussette, de construction plus sommaire, dont les accoudoirs supportaient deux énormes valises pleines à craquer. Ma soeur Berthe cheminait, tenant son vélo à la main. J'emmenais, moi aussi, mon vélo, tantôt marchant à côté, tantôt roulant quelques dizaines de mètres en avant de notre petit groupe. Des couvertures étaient arrimées sur chaque porte-bagages. Il faisait un temps superbe et dejà chaud, mais ma satisfaction fut de brève durée. A peine avions-nous dépassé la place du village de Grand-Rechain que nous butions contre l'une de ces obstructions déjà préparées depuis de longs mois, et qu'on appelait une "chicane": énorme mur à peine interrompu, barrant la route de part en part, quasiment d'une façade à l'autre ! Impossible, avec une poussette, de se faufiler de l'autre côté...  Le temps des adieux était donc déjà arrivé.

 

A cinq, nous nous dirigeâmes vers le cimetière de Grand-Rechain, direction Tribomont. Mes parents paraissaient avoir décidé de gagner Cornesse dans un premier temps. A Cornesse en effet, quelques mois auparavant, ils avaient acheté (dans l'angle N-O de la place de l'Eglise, un peu en retrait) une vieille maison à restaurer. Complètement désemparés par la maladie de Lily (sur laquelle les médecins ne pouvaient...ou ne voulaient mettre un nom), ils caressaient le chimérique espoir que "le bon air" de Cornesse arrangerait les choses. Depuis les premiers signes du printemps, mon père passait tous ses loisirs dans cette vieille bicoque. Le dimanche après-midi essentiellement, dès fermeture de son salon de coiffure, il enfourchait son vélo traînant une petite remorque bricolée, où s'entassaient seau, pelle, bêche, rateau, et objets divers jugés utiles aux travaux en cours; il ne reparaissait qu'à la tombée de la nuit.     Certains jours, après son travail à Ensival, Jojo, mon grand frère, se rendait également là-bas où il avait entrepris le renouvellement intégral de l'installation électrique.

 

C'est donc à Cornesse qu'on allait, nous éloignant du secteur d'opérations du fort de Battice...pour nous enfoncer  dans celui du fort de Tancrémont, qui, lui aussi, y allait de bon coeur. Banggggg!   Banggggg !  A chaque nouvelle détonation, nous courbions instinctivement l'échine et accélérions l'allure. "Mon Dieu, Arthur !" gémissait ma mère, cependant que Lily, qui avait demandé qu'on relevât la capote de sa poussette, s'y engonçait toujours un peu plus, muet de peur. Berthe sanglotait de temps à autre; comme moi, elle eût souhaité poursuivre la route avec les parents d'André, dont la compagnie, sans doute, la rassurait quelque peu, elle aussi. Hélas, la chicane avait modifié le programme, si tant est qu'on pût parler de programme. Car, alors que, laissant sur notre gauche le Château de Sclassin, nous coupions la route Ensival-Soiron, ma mère décida... qu'on allait s'arrêter à l'Hospice St-Germain tout proche, pour y saluer la Cousine Catherine ! D'un âge fort avancé, cette personne était, je pense, une cousine germaine de Barbe, ma grand'mère maternelle, et ROUFOSSE comme elle. L'une ou l'autre fois, elle nous avait rendu visite à Petit-Rechain, mais, à mon sens, cela ne constituait pas  une excuse valable pour retarder davantage, en ces heures graves, une progression qui m'avait tout l'air d'un "chemin de croix". La vue de la Cousine Catherine m'agaçait d'ailleurs toujours prodigieusement, et l'impitoyable cruauté de mon âge se trouvait encore exacerbée par l'atmosphère menaçante de ce 10 mai 1940. Pourquoi ? Eh bien parce que la Cousine Catherine, ma parente (la vôtre aussi, peut-être), outre sa très petite taille, sa tête toute menue, son visage profondément ridé et sa bouche édentée, avait un crâne aussi glabre que Yul Brynner...  et qu'elle "camouflait" par un vilain filet aux mailles épaisses !   Un filet de camouflage, quoi...                                       

Pendant les palabres prévisibles, je trompai mon impatience en faisant à vélo quelques tours au-devant de la Maison de Retraite.

Enfin, on se remit en route et on atteignit Cornesse, qui semblait abandonné de presque tous ses habitants. Contrastant avec la chaleur qui régnait à l'extérieur, une fraîcheur quasi bienfaisante nous assaillit dès le seuil de notre future maison; impression à quoi se substitua bientôt une odeur de renfermé, de vieux, de plâtre, et de ciment, qui était habituelle à l'endroit. On commença par descendre dans la cave, le vélo de Berthe, puis le mien. On se débarbouilla sommairement, et, sans doute, prit-on quelque nourriture, la première de cette journée, pour ce qui me concerne. On en profita pour inspecter l'état d'avancement des réparations en cours; rentrant brusquement dans la première pièce, là où quelques jours plus tôt, mon frère avait posé interrupteurs et prises de courant, j'y surpris mes parents pleurant doucement...  Car où était Jojo, à cette heure ?      Mais sapristi, qu'est-ce qu'on a bien pu foutre là, dans cette maison/ chantier, pour parvenir seulement en début de soirée, via "Cromhaise"  et le chemin du Bois d'Olne, sur la route de Soiron à Nessonvaux, au carrefour de la route de Froidbermont/Olne. A cet endroit précis, nous eûmes la surprise de rencontrer Monsieur MOXHET, père de mon petit camarade Henri. Arrivant de Kortrijk (!) où sa profession le retenait tout au long de la semaine, il se traînait vers son domicile de Petit-Rechain, où sa famille résidait place Xhovémont. Traversant l'agglomération de Nessonvaux/Fraipont, nous arrivâmes, par la nationale n° 39, à la chaussée Verviers-Liège, la nationale n° 3l. Mon père nous désigna sur la gauche, une maison, à l'intersection même de ces deux voies publiques: c'était la maison, déserte et fermée, de sa soeur, ma tante Mariette épouse d'Alexis DERREZ (à cause de ces classiques et absurdes brouilles qui déchirent les familles, je ne devais faire sa connaissance qu'en l945).

On tourna à droite vers Liège, suivant à présent la vallée de la Vesdre, plein Ouest enfin ! Les collines entre lesquelles nous avancions répercutaient sinistrement, en un grondement sans fin, le bruit du canon. Comme les vélos avaient été intentionnellement planqués à Cornesse, Berthe et moi avions les mains libres pour, de temps à autre, aider à propulser la poussette de Lily ou celle qui transportait tous nos biens. On avançait en silence, aussi vite qu'on pouvait, précédés et suivis de groupes d'autres fuyards pareils à nous-mêmes. On atteignait, à ce moment précis, l'extrémité Ouest de l'endroit dénommé "Longtrat", là où la voie ferrée tangente la route; nous suivions d'assez près un groupe  au sein duquel, sur une charrette à main, un vieillard était étendu. Mon père ralentit quelque peu l'allure et nous souffla, à voix basse: "Lu pôv' vî homme vé d'mori..." .( le pauvre vieillard vient de mourir…).  Ce fait allait demeurer gravé dans ma mémoire, et, au fil des années, j'eus plusieurs fois le désir de satisfaire ma curiosité.  Qui était ce malheureux dont, sans nul doute, le décès avait dû être déclaré à la mairie du lieu, celle de Forêt en l'occurrence ?      C'est en l977 que l'occasion m'a été donnée d'apprendre, par l'acte de décès, qui était ce pauvre vieux: "MINEUR Jacques Paschal, veuf PIRON Marie,  né à Verviers le 6 septembre l868, domicilié à Verviers, rue de la Vesdre, l2, décédé à "Longtrat" le 10 mai 1940 à 6 h et demie du soir".

 

Ma mémoire n'a pas retenu qui ou quoi, à l'entrée dans Trooz, nous a dirigés vers l'école du hameau de La Brouck, déjà envahie par de nombreux "réfugiés" ; ni si nous absorbâmes là, en guise de souper, quelque nourriture. Il m'est resté, par contre, que nous passâmes la nuit dans une classe, recroquevillés sur l'estrade, assurément trop étroite, où ma mère avait étendu une couverture. Ainsi, en l'espace de quelques heures, une classe de l'école de La Brouck était devenue la chambre à coucher commune de gens venus d'un peu partout, nivelés par la peur, l'angoisse du lendemain. De formidables détonations se succédaient quasi sans interruption, des "bangggggggg" secs et sonores accompagnés de fulgurants éclairs; des initiés les attribuaient aux canons du fort de Chaudfontaine, accroché, en effet, tout là-haut, presqu'au-dessus de notre misérable abri. Détonations et longs éclairs se suivaient comme en un effroyable orage. Ces lueurs menaçantes me donnaient l'occasion d'apercevoir un bref instant mes voisins; parfois, c'était le faisceau de la lampe de poche de quelqu'un qui se rendait aux toilettes. Mon petit frère Lily devait être "mort de peur" ; "Maman !?" chuchotait-il sans cesse. "Je suis là, mamé", répondait ma mère tout en s'évertuant, rassurante, à saisir sa pauvre petite main de myopathe à l'avenir si court...   Des bébés pleuraient. Tout cela avait quelque chose de hallucinant, d'irréel. La nuit me parut interminable bien qu'on ignorât de quoi serait fait le lendemain. Meurtri par une position inconfortable, j'aspirais tout naturellement à me lever et à partir, à fuir plus loin. Ma vieille habitude d'avoir l'appétit coupé par un événement dramatique joue, une fois de plus, un sale tour à ma mémoire puisque, pas plus qu'au soir du 10 mai 1940, je n'ai, semble-t-il, ingurgité quoi que ce soit à l'aube du 11 mai ! Ce n'est pas possible assurément.


Nous nous remîmes en route, très tôt sans doute, débouchant sur la nationale n° 3l, direction "Liège", par la passerelle des "Laminoirs de la Rochette" (chaque fois, la vue de cette passerelle déclenche dans ma tête, la projection du film de ces mémorables journées).   On avançait bien, courant parfois une dizaine de mètres lorsqu'un crépitement insolite y incitait naturellement. Je n'éprouvais nulle fatigue, l'énergie étant fournie par mon souci de distancer l’envahisseur, que je ne connaissais encore que de réputation. On finit par arriver à hauteur du pont de Fragnée, vers lequel de nombreux civils se précipitaient. Une clameur nous parvint alors plus précise: "Allez, allez, dépêchez-vous, le pont va sauter !" criaient une poignée de soldats belges. On fonça, tête baissée, vers l'autre extrémité du pont puis on se dirigea vers Cointe, au hasard des rues. Rafales. Des balles me semblèrent frapper le pavé à peu de distance, avec un claquement sec. "Mon Dieu, Arthur !" gémissait ma mère. Bien que la rue monte, on accélère l'allure. Vers la fin de l'avant-midi, nous progressions dans la rue St-Nicolas, où, comme en d'autres lieux, des gens sur le seuil de leur habitation  regardaient passer, apitoyés, les groupes de ceux qu'on appelait des   "évacués". Une petite femme laide, bossue, nous regarda alors que nous faisions halte un court instant sur son trottoir pour rajuster quelque peu le chargement de valises déséquilibré par les cahots. Sans doute jugea-t-elle Lily bien grand pour occuper une poussette puisqu'elle demanda à ma mère: "Qu'a-t-il, Madame, votre petit garçon ?"  "Il ne marche pas !" répondit ma mère. "Mon Dieu ! Mais ne continuez pas, cela ne sert à rien. Entrez chez moi..." dit-elle alors. Nous étions prêts à poursuivre notre chemin, mais elle se fit si gentiment insistante qu'après quelques instants d'hésitation, nous nous retrouvions, chez elle, l'objet du plus généreux empressement. Cette petite femme (née en l897), laide, bossue, mais au grand coeur, c'était "Germaine" BOURDOUXHE, rue St-Nicolas, 458, à Liège.  Au rez-de-chaussée; la maison comportait une chambre à coucher en façade; une petite cuisine y faisait suite, donnant sur une cour. Au fond de cette cour et dans le prolongement du vestibule, un arrière-bâtiment abritait des locataires, un ménage de vieux pensionnés du nom de BERX, avec Virginie, leur fille célibataire. Un carrelage mural blanc ajoutait à l'exquise propreté de la cuisine où nous nous trouvions non seulement à l'étroit mais quelque peu gênés; beaucoup d'images pieuses et aussi, encadré, un poème célèbre consacré à la mère. Poème qui se terminait par: "Et le seul mal qu'elle puisse jamais nous faire, c'est de mourir et de nous abandonner...".

 

Faut-il dire que la nouvelle situation ne "m'arrangeait" pas, mais alors pas-du-tout ! Ne faisant pas plus d'étapes que nécessaire, les Allemands allaient sûrement apparaître d'un moment à l'autre. Et puis  ...toujours et plus que jamais traumatisé par la perspective de devoir ingurgiter des aliments non préparés par ma mère, je me demandais avec angoisse quel serait le premier menu là où nous nous trouvions à pension complète. Plus aucun souvenir ne me reste à cet égard. Probablement parce que, en revanche, je me rappelle très bien  qu'ayant jugé très vite les qualités ménagères de ma mère, Madame Germaine lui avait aussitôt délégué tous pouvoirs pour diriger l'Intendance, éliminant, du même coup, mes appréhensions particulières.

 

Des gens, dans les équipages les plus divers, continuaient à se traîner vers l'Ouest. On entendait de fréquentes détonations dont nous ne pouvions déterminer la nature et l'origine. Nous étions sans nouvelles des combats, et, trop souvent à mon gré - je l'ai déjà dit - ma soeur versait des larmes sur le sort inconnu de son fiancé. Quelle était la situation du fort de Battice, que je n'hésitais pas, dans mon exaltation de gosse, à considérer véritablement comme "mon fort" ?!    Reprenant mes habitudes d'indépendance, je ne tardai pas à effectuer des reconnaissances aux environs, rendant mes parents légitimement inquiets, car, sans nul doute, sur le territoire de Liège, rempart de  Paris contre les Allemands, rempart de la France, le danger était partout présent. Reconnaissances peu excitantes d'ailleurs, puisque ce n'étaient que rangées monotones de maisons aux façades noircies, partiellement descendues dans le sous-sol instable truffé de galeries de mine; que halls d'usines; que terrils ; que rues inégales en gros pavés, courant à travers des quartiers gris et tristes que la lumière intense d'un printemps toujours radieux ne parvenait pas à me rendre sympathiques. ô, Petit-Rechain ! ô, vertes prairies de mes ébats !

 

Deux de ces reconnaissances apportèrent néanmoins quelque chose de concret. D'abord, j'eus l'occasion d'acheter dans une petite épicerie toute proche, le dernier bâton de chocolat ; c'était de l'excellent chocolat fondant, marque "Robin des Bois". Ensuite, je tombai pile sur un monsieur qui n'était autre que mon oncle Constant (frère de mon père), qui s'inquiéta de me voir circuler seul. A l'instar de nous mêmes et pas bien loin d'ailleurs, il était hébergé avec sa famille chez d'autres Liégeois au coeur généreux. Rencontre fut convenue, avec promesse de passer chez lui à Bois-de-Breux/Jupille s'il nous arrivait de nous replier vers l'Est, ce dont il n'était pas question à ce moment ! Je flânais un peu dans toutes les directions. De l'extrémité de la rue de la Coopération, on apercevait au loin la ronde d'avions allemands en piqué sur ce que Madame Germaine affirmait être le fort de Hollogne-aux-Pierres. Plusieurs fois, un vacarme insolite nous fit plonger dans la cave; protection combien illusoire puisque, non seulement elle n'était pas voûtée, mais assise sur un sol véritablement mouvant, où, selon Madame Germaine, on pouvait entendre parfois le bruit des mineurs au travail juste au-dessous !         

Nous couchions dans la pièce en façade, au rez-de-chaussée, Madame  Germaine à l'étage. Ma place était au pied du lit et en travers ! La fenêtre à rue était grande ouverte, mais on avait complètement descendu le volet mécanique. Il faisait chaud, l'air manquait, et, malgré mon jeune âge, dormir consistait à attendre le jour... 


Une nuit, (je pense que c'était celle du l2 au l3 mai, notre deuxième nuit rue St-Nicolas), un charroi infernal passait en trombe devant la maison, et, de temps à autre, on entendait vociférer en allemand. Tout à coup, quelqu'un heurta violemment du poing contre le volet en criant avec impatience: "Le chemin te Pièrzè !?"  "Le chemin te Pièrzè !?"... Bref instant de panique générale dans notre "chambre à coucher" plongée dans la plus totale obscurité; puis, retrouvant des aptitudes linguistiques sans emploi depuis un quart de siècle (et trouvant en même temps le chemin de Bierset...), ma mère cria: "Gerade aus !" (tout droit).     Lorsque le jour parut, je pus voir, pour la première fois de mes propres yeux, des soldats allemands...  Ainsi, sans nul doute, la Meuse était franchie par l'ennemi et notre exode n'avait plus aucun sens, mais des nouvelles ou rumeurs contradictoires empêchaient mes parents de décider le retour à Petit-Rechain.

Semblant trouver quelqu'agrément (ou sécurité ?) en notre compagnie, Madame Germaine ne semblait guère pressée de nous voir déguerpir. Néanmoins, le mercredi 15 mai 1940, échos, rumeurs, "nouvelles" recueillis au hasard des conversations affirmaient que tous les forts de la position fortifiée de Liège s'étaient rendus, ce que permettait de croire un imposant charroi militaire allemand poussant vers l'Ouest, quasi sans interruption. On entendait bien tonner le canon, mais sans pouvoir déterminer d'où cela provenait. Mes parents décidèrent alors qu'on rentrerait à Petit-Rechain le lendemain.

Jeudi l6 mai1940. La matinée se passa en préparatifs, puis, après le repas de midi, on prit congé de Madame Germaine. Cette fois vers l'Est, les deux poussettes se remirent à cahoter sur les pitoyables voiries du quartier des "Bons Buveurs". On fit une brève halte place St-Nicolas, pour dire au revoir à Madame Henriette, autre Liégeoise au grand coeur, amie de Madame Germaine chez qui on avait fait sa connaissance. La guerre n'ajoutait manifestement rien au drame qui avait marqué la vie de Madame Henriette: quelques années auparavant, sa fille unique (dont la photo trônait partout dans l'appartement) était morte à l'age de l9 ans. Ma mère n'avait plus que sept mois, jour pour jour, avant de vivre une expérience similaire; quant à moi, indifférent, j'avais encore 37 années de répit !   

Mon père semblant avoir une bonne connaissance des rues de l'agglomération liégeoise, on atteignit sans difficultés la rive de la Meuse, aux environs de l'actuelle passerelle Saucy. J'aperçus le pont des Arches, dont les arches trempaient lamentablement dans les eaux du fleuve; il avait sauté comme tous les autres, aussi fut-ce dans un grand "bac" qu'on passa sur la rive droite. Via Bressoux, on gagna Jupille où, - chose promise, chose due, - on se rendit chez l'Oncle Constant HERMAN, rue de Bois-de-Breux, 33l. On grimpa ensuite vers Fléron...où une grosse surprise nous attendait quand on parvint au carrefour de la chaussée de Battice et de la route vers Ayeneux: le fort de Fléron tirait rageusement, et, dans le même temps, une meute d'avions allemands piquaient à mort en direction de ses coupoles en miaulant . Quelques dizaines de mètres plus loin que le carrefour de la route vers Trooz, la chaussée était barrée par une chicane qu'on contourna en passant par une prairie dont la haie avait été interrompue dans ce but. Au moment où nous reprenions notre progression sur la chaussée, au-delà de la chicane, on apercevait les coupoles du fort de Fléron, flammes et fumée sortant des canons; les avions allemands déversaient leur cargaison de bombes, des mitrailleuses crépitaient. Ainsi, le fort de Fléron résistait toujours, et à vrai dire, nous en étions si proches que notre situation était assez périlleuse...  Courant plutôt que marchant, on atteignit le village d'Ayeneux. Près de l'église, qui n'était plus qu'un énorme amas de pierres et de briques, mon père rencontra fortuitement un Hervien de ses connaissances. Hagard, comme hébété sans qu'on en pût deviner le motif, l'homme nous supplia de ne pas poursuivre notre route: "Arthur, nu vass' né pu lon; c'est comme en quatwasse, les Allemands touwè to'l monde !". (Arthur, ne continue pas, c’est comme en 1914, les Allemands tuent tout le monde !). Peut-être mon père revit-il en pensée, un bref instant, les dramatiques événements relatés au début du présent récit; il n'en laissa toutefois rien paraître, et l'on continua, par le Thier du Grand Hu et la chaussée de Wégimont, vers Soumagne. Le temps demeurait obstinément beau, et l'air était encore chaud en début de soirée, tandis que nous montions la route du "Bois Levêque", vers Xhendelesse. A l'entrée de ce dernier village, comme la soif se faisait sentir, mon père suggéra une brève halte au "Café Brouwers", où j’avalai, quant à moi, un verre d'eau gazeuse additionnée de menthe. Le canon tonnait toujours, au loin. Qu'était-ce ?

Les deux poussettes se remirent à cahoter sur la route inégale et poussiéreuse. Cours-à-Xhendelesse, Stockis, Grand-Rechain. Comme abandonné, ce village était silencieux et désert. Le soir tombait. Quand on sortit du dernier virage, à hauteur de la ferme Depairon, l'image de l'occupation ennemie nous apparut comme une authentique réalité: une patrouille gravissait lentement la rue de Grand-Rechain. On croisa, avec un peu d'inquiétude, ces soldats vert-de-gris, casqués, impassibles, arme à la bretelle, dont les lourdes bottes noires martelaient sinistrement le sol, en cadence. Il était environ 20 heures 30. Comme Grand-Rechain, notre village semblait, lui aussi, déserté par toute sa population, mais dès que nous arrivâmes sur le trottoir de notre maison, notre voisin (et tailleur) Jacques DELHASE   accourut au-devant de nous. "Venez chez nous, dit-il, vous ne sauriez pas rentrer dans votre maison; les Allemands s'y sont introduits et ont tout pillé. L'Administration communale a fermé et scellé les portes en attendant votre retour...!" .  Une vieille dame demeurant en face, Mlle FRAIPONT, vint alors nous raconter la frayeur qui s'était emparée du quartier lorsque, ayant repéré dès leur arrivée, les quelques bouteilles d'alcool que mon père avait malencontreusement laissées en vitrine (côté rue Bonvoisin), des soldats ennemis avaient forcé notre porte...pour ressortir peu après, ivres et menaçants !   Dans l'immédiat, c'était, pour nous, l'impossibilité de rentrer avant le lendemain. Force fut donc d'accepter l'invitation d'hébergement chez Monsieur et Madame DELHASE, qui nous informèrent que le fort de Battice tenait toujours...  On commençait d'ailleurs à s'en douter, attendu que la canonnade ne cessait pratiquement pas. Le campement s'organisa donc chez DELHASE; comme lit, il m'échut (au rez-de-chaussée) une table ronde, bien sûr trop courte, d'où je me levai tout ankylosé, dès que je le pus, le l7 mai l94O. Sur requête de mon père, le garde champêtre DEROUAUX vint remettre à notre disposition, notre maison quittée juste une semaine plus tôt. Quelle semaine !

Alors on fit l'inventaire. Haricots, riz, sucre, savon, que ma mère avait prudemment stockés, avaient disparu. Aussi, cela va de soi, le stock commercial de vins, liqueurs, alcools, tabacs, cigares, et cigarettes. Les Huns avaient aussi emporté une dizaine de livres qui s'ennuyaient dans la mansarde: des oeuvres de Schiller, de Goethe, et de Lessing, imprimées en gothique (brrrr !), que ma mère détenait depuis son séjour en Allemagne, avant l9l4. Le poste récepteur de radio ne fonctionnait plus; manifestement, il avait été intentionnellement branché en 110 volts sur le secteur 220, pour être mis hors d'usage. Enfin, le dessus du meuble appelé "dressoir" nous parut bizarre. Sa petite étagère avait, en effet, été délestée de son ornement: 4 fois 5 cartouches de guerre sur languette-chargeur, que ma mère avait reçues de son frère Henri, après l'autre guerre. Belles et longues cartouches allemandes qu'elle astiquait soigneusement au "Sidol" presque chaque semaine (travail que j'assumais parfois). Cartouches assurément reparties pour l'Allemagne devenue "le Grand Reich"...

Le village était bourré de troupes et de matériel. L'école demeurant fermée, j'avais le loisir de déambuler partout et d'observer. Les Allemands "puaient" le cuir de leur équipement, une odeur que conserve, si j'ose dire, ma mémoire. Ils étaient très corrects, aimables presque; plus tard, j'apprendrais qu'ils avaient reçu la consigne de faire du charme avec les populations: pour commencer.      Ils occupaient, notamment, le "Garage du Perron" juste en face de nos fenêtres d'où on les apercevait découpant d'énormes quartiers de viande sur une grande et massive table disposée tout au-devant. Une "cuisine roulante" postée au coin de la chaussée de Battice et de la place Xhovémont, exhalait un fumet de bonne soupe. Tout ceci n'avait sans doute pas échappé à la vigilance de notre chat. Le lendemain même de notre rentrée, on devait le trouver dans notre vieille remise, étendu sur sa couchette habituelle, les yeux vitreux, déjà presque sans vie. Une horrible plaie couvrait largement son dos dont le beau pelage noir-roux-blanc était maculé de sang. On supposa qu'ayant tenté de chaparder un bout de viande, Minet avait été fusillé par le boucher Boche, boucher deux fois, histoire de se faire la main. Notre pauvre chat ne tarda pas à expirer, et mon père se mit en devoir de dépaver un demi-mètre carré de notre petite cour (on n'avait rien d'autre), pour l'enterrer.

Papa avait rouvert son salon de coiffure, où des soldats allemands se pressèrent

aussitôt ; ils avaient soin de toujours placer leur chaise contre les portes d'accès au salon, sûrement pour éviter quelque surprise mortelle...  Un silence gênant accompagnait le travail de mon père, parfois rompu par une initiative linguistique de l'une ou l'autre des parties: un ou deux mots d'allemand approximatif, un ou deux mots de français boîteux. La situation s'améliorait si ma mère entrait en scène avec des phrases complètes, parfaites, jaillies du souvenir de ses jeunes années. Alors les soldats ennemis "bavaient" d'étonnement admiratif à l'évocation de son séjour doré "in Oberschlesien" et à Berlin où elle avait vu le "Kronprinz", etc. Eux parlaient de cette "sale guerre voulue par les capitalistes anglais" !


Mais ces palabres n'étaient, pour ma mère, qu'un astucieux préambule à une question importante: "Qu'allait-il advenir du fort de Battice, et quand ?" Lorsque les soldats apprirent ainsi que le fiancé de ma soeur y était, ils prirent un plaisir sadique à répéter sans cesse: "Battice, alles kaput, 5OO Toten !".  Ma soeur recommençait tout aussitôt à pleurer.

 

Entretemps, le fort de Battice continuait à remplir vaillamment sa mission, en collaboration avec son abri cuirassé d'observation, le MM3O5, situé à Manaihant. De temps à autre, un détachement allemand avec tout son arsenal fonçait vers le Nord, sur la chaussée de Battice (où je m'interdisais encore de m'aventurer, fût-ce jusqu'à hauteur du château d'eau); cela tirait, crépitait, puis, le détachement - ou ce qu'il en restait - dévalait en hurlant et en jurant, jusqu'au centre du village. Trois cadavres en uniforme gris furent mis en bière à 2O mètres de chez nous et immédiatement portés au cimetière, oû ils demeurèrent inhumés quelque temps, avant de rejoindre ce cher Grand Reich qu'ils auraient mieux fait de ne jamais quitter. Un autre, officier probablement, fit aussi les frais de l'une de ces opérations contre "mon" fort. Celui-là reposa quelques heures parmi ses frères d'armes qui occupaient une grosse maison bourgeoise sise juste à l'angle de la place Xhovémont et de la rue Laurent-Benoît Dewez: la maison d'une vieille dame riche, et en fuite elle aussi, la dame Bastin. Flairant quelque chose d'exceptionnel, je grimpai à temps dans mon poste d'observation (une fenêtre de la mansarde) pour voir sortir un cercueil enveloppé du drapeau allemand  noir-blanc-rouge, garde d’honneur et sonnerie de clairon.

L'artillerie de Battice et d'ailleurs continuait de tonner, parfois de façon inquiétante. Dès notre rentrée en notre maison, on avait pris l'habitude coucher tous dans le salon de coiffure, par terre sur des matelas que l'on reportait à l'étage chaque matin: je ne sais dans quelle illusion de sécurité, puisque, alors que la cave voûtée n'inspirait déjà pas confiance (5 cms d'eau recouvraient en permanence son vieux dallage branlant), coucher au rez-de-chaussée ne pouvait que nous valoir plus sûrement la mort par écrasement !                   

La tension nerveuse, l'angoisse, ne cessèrent de croître tout au long de ces quelques jours séparant le l6 mai du 22. La nuit du 2l au 22 mai nous sembla étrangement calme, et pour cause: au matin du 22, de source allemande vraisemblablement, on apprit que le fort de Battice s'était rendu à 6 heures, après une nuit de réflexion accordée à son commandant, suite aux événements du 2l...  Les Allemands manifestaient leur joie en criant:"Alles kaput, Battice !"  Pour sûr, les armes s'étaient tues, mais que s'était-il passé, le 2l mai, pour justifier la capitulation du fort ? Le saura-t-on jamais avec certitude ?        La première version (d'ailleurs devenue officielle depuis lors) fut qu'un aviateur allemand particulièrement doué avait envoyé une torpille de l8OO kgs en plein dans le sas d'entrée du Bâtiment I, dévastant tout l'intérieur de celui-ci avec l'appoint des charges de dynamite y entreposées; plus tard, on imputerait la chose à un Flamand vendu à l'ennemi. Quoi qu'il en soit, une vingtaine de soldats belges y avaient laissé la vie, et, à Petit-Rechain, c'était l'affolement, la consternation. Dans l'excitation de leur succès, les Boches étaient constamment en mouvement, en direction et en provenance de Battice.    De nombreux civils montèrent aux nouvelles, apparemment sans objections de l'ennemi. Mon père s'y rendit aussi, en compagnie de ma soeur. Quant à moi, j'eus beau pleurer et grogner, on me refusa de pouvoir être du voyage parce que j'étais susceptible "de voir des choses horribles ne convenant pas aux enfants". Le Destin me réservait, hélas, de voir des choses autrement atroces, de loin plus injustes encore: la désintégration progressive de mon enfant par la dystrophie musculaire, sa mort lente, son martyre de quinze années...

Papa et Berthe n'avaient pu s'approcher de la garnison de Battice, captive, mais au moins avaient-ils pu apprendre qu'André était vivant et indemne. Pour ma part, je n'avais quand même pas tout perdu, car, ma curiosité permanente me retenant à l'extérieur, je vis arriver de Battice une grande voiture automobile noire, roulant lentement. Le véhicule vint se ranger à la bordure du trottoir, au carrefour de la rue de Battice et de la rue Bonvoisin; quelqu'un en descendit, s'éloigna vers l'extrémité de cette rue, puis revint presqu'aussitôt accompagné d'une personne de l'endroit, Madame BEBRONNE, qui sanglotait éperdument...  D'instinct, je me rapprochai de la voiture dont on avait ouvert une portière arrière afin  que la pauvre femme pût voir (ce que j'aperçus moi-même un court instant) : sur le siège arrière de l'auto, un cadavre sanglé dans une couverture était étendu; quelque peu écartée, la couverture découvrit un visage noirci, figé par la mort, celui de Franz BEBRONNE; victime de la tragédie du Bâtiment I du fort, foudroyé à son poste de combat, derrière l'un des canons que l'on peut encore voir aujourd'hui, braqués sur la route Battice-Aubel. Des parents perdaient leur grand fils (frère de mon petit camarade Georges); un ravissant petit garçon tout blond (qui venait à peine d'effectuer ses premiers pas...) perdait son papa, qui serait pour lui toujours une fiction, jamais vraiment un souvenir...

Dans les jours qui suivirent, notre région ayant cessé d'être dans la zone des combats, j'enfourchai mon vélo et me rendis discrètement à Battice. Les routes étaient défoncées par les bombardements. Des balles, des éclats de bombes et d'obus jonchaient le sol par centaines. D'abord sans attirer l'attention de quiconque, je m'approchai des ruines de ce qui avait été la caserne de surface. Ce baraquement incendié à l'aube du lO mai l94O avait naturellement brûlé jusqu'au ras du sol; mais un escalier menait dans ses caves bétonnées, restées intactes. J'y descendis prudemment. Le bourdonnement insolent de quelques grosses mouches m'accueillit. Sur une lourde table en bois, une bouteille de lait ouverte et un morceau de viande. Décu par mon inspection, je remontai et tombai "pile" sur l'entrée du toboggan  qui s'ouvrait, en effet, dans la caserne, pour permettre, en cas d'urgence, l'occupation rapide du fort. Avait-il servi, dans cette nuit historique du 9 au lO mai ?  Quatre ou cinq cartouches de guerre, que j'empochai aussitôt, gisaient sur sa pente où, après un parcours d'une dizaine de mètres, une énorme porte d'acier empêchait toute progression et...réduisait à néant mes rêves de découvertes et d'aventures. Une nouvelle fois revenu à l'air libre - encore et toujours inondé de soleil - j'observai au loin les coupoles du fort, sur lesquelles quelques soldats allemands, entièrement nus, bronzaient ostensiblement leur peau avant d'aller (je l'espérais), la faire trouer quelque part...                                               

Quelques coups de sifflet stridents me ramenèrent alors brutalement aux tristes réalités de l'époque: sans délai, je battis en retraite et roulai allègrement vers Petit-Rechain.
 

Julien HERMAN  (né en 1929)
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Pour Best of Verviers novembre 2006.

Texte complété en novembre 2008  

Mise à jour le Jeudi, 12 Novembre 2009 14:47