Cette année là...
Écrit par Albert Moxhet   
Vendredi, 18 Avril 2014 15:59

Conte de Pâques d’Albert Moxhet

Cette année-là, les cloches sont revenues en camion. Étrangement, elles sont arrivées dans les derniers jours de mars, alors que Pâques tombait le 6 avril. Elles étaient tellement fatiguées, malgré cette façon inhabituelle de voyager, qu’elles n’ont pas eu la force de se réajuster sur la partie du calendrier liturgique que les enfants connaissent le mieux.

 
  Il faut aussi reconnaître qu’un certain nombre d’entre elles n’ont pas regagné leur clocher comme on aurait pu l’espérer. Devait-on craindre une fronde campanaire ? Plusieurs d’entre elles se sont en effet groupées devant la cathédrale de Malmedy. S’agit-il d’une manifestation ? D’une grève sur le tas ? Quelles sont leurs revendications ? On en voit qui arborent un ruban, comme un mayeur son écharpe. Ce doit être sérieux, mais ce qui l’est moins, aux yeux des enfants en tout cas, c’est qu’on ne voit nulle part le moindre œuf, quelle qu’en soit la couleur, pas d’œuf en chocolat non plus, ni en sucre. Rien, ce n’est pas normal…

 


 

Cependant, voici que le bedeau sort de la cathédrale, tenant de la main droite, gantée de blanc, son bâton de cérémonie. Malgré toute la dignité de sa fonction, il esquisse un sourire joyeux en s’approchant des cloches groupées de part et d’autre de l’entrée. Il est heureux, cet homme, il y a plusieurs années qu’il n’avait plus vu ni entendu "ses" cloches. Mais aujourd’hui, elles sont là, avec celles d’Eupen, de Welkenraedt, de Montzen, de Raeren,  Champagne, Beho  et Saint-Vith. De retour, enfin !  Mais oui, nous sommes en 1947 et toutes ces cloches ne reviennent pas de Rome, mais bien de l’enfer. De l’enfer de l’Oncle Adolf qui voulait les transformer en canons et en panzers. On les a retrouvées à Hambourg, où on n‘avait pas eu le temps de la réduire en mitraille, comme tant d’autres l’ont été. Dans quelques semaines, elles auront toutes repris leur place, sauf celles de Saint-Vith, qui, elles, ne retrouveront jamais leur ancien clocher, détruit dans les bombardements. Cette année, elles toutes sont le cadeau de Pâques ; villes et villages retrouvent les voix cristallines qui scandent les heures, les peines et les joies. Et l’an prochain, c’est juré, elles s’envoleront pour Rome après le Gloria de la messe du Jeudi Saint pour en revenir deux jours plus tard semer les œufs dans les jardins et la joie dans les cœurs.                                                                                                                 

Photo : Couverture du Soir illustré du 3 avril 1947.

Mise à jour le Vendredi, 18 Avril 2014 16:12