Les malles du tchèt : plumes voyageuses, ballons ailés et lettres félines
Écrit par Nathalya Anarkali   
Jeudi, 06 Juin 2013 17:41

 

Voici que Best of Verviers fête ses dix ans… Quel bel âge pour notre site web préféré! En tant que chroniqueuse habituelle, j’ai décidé de souffler ces bougies d’anniversaire virtuelles en découvrant quelques-uns des trésors sommeillant au grenier de notre maison mère. Je n’ai pris part à cette belle aventure « seulement » que depuis quatre ans et demi, un beau clin d’œil numérologique à ce quatre qui me poursuit et ponctue ma vie, comme j’aimais déjà à le souligner dans ma première contribution au site. Le quatre contient bien des symboles repris dans le soleil de Zia, ce signe amérindien (pueblo) ornant le drapeau du Nouveau-Mexique, cette terre étasunienne dont j’ai souvent parlé -et dont je reparlerai- au gré des pages « bestofiennes ».

 

Le concept d’envol est totalement intrinsèque au lien littéraire m’unissant à ma ville natale par le biais de ce site. En effet, lorsque Christophe Dechêne nous contacta, Patricia (alias Edmée de Xhavée) et moi, pour nous proposer de participer en tant que « chroniqueuses du bout du monde », c’est un représentant de la « faune » endémique verviétoise qui nous inspira. Le début de ce paragraphe pourrait faire penser à un oiseau, comme par exemple ces petits faucons pèlerins nés à la Grand-Poste de Verviers. Mais que nenni ! Je parle d’un félidé, et concrètement du tchèt volant, si cher à notre patrimoine culturel immatériel. On devrait peut-être plutôt l’appeler patrimoine oral de l’humanité verviétoise, car rien n’est moins sûr que l’aspect immatériel du matou… J’invite donc le lecteur à me suivre sous les combles de Best of pour ouvrir ces malles où le tchèt volant conserve, entre autres trésors, des bribes des conversations intercontinentales -entre Edmée, Christophe et moi-même- ayant mené à la création de notre rubrique « Lettres de nos tchèts volants ».

Depuis nos trois lieux de résidence respectifs, les Etats-Unis, la Belgique et l’Espagne, nous désirions donner un goût « d’exotisme » aux Verviétois par l’intermédiaire de billets envoyés par des enfants du pays partis faire leur vie ailleurs. Notre première idée fut d’adresser nos tranches de vie au chat volant de Verviers. Edmée et moi correspondions entre nous depuis quelques temps, nous étonnant du grand parallélisme (en différé) dont nos vécus étaient frappés. Mais en ce qui concerne nos missives pour le Best of, nous nous rendîmes vite compte que le pauvre chat « volant » s’était enfui de Verviers après sa mésaventure du clocher de l’église Saint Remacle, d’où un apothicaire fou avait décidé de le précipiter en l’attachant à une grappe de ballons… Pour faire honneur à la brave bête, je trouve que Verviers devrait d’ailleurs troquer le proverbe « chat échaudé craint l’eau froide » contre « chat défenestré craint l’ombre des clochers » (et peut-être aussi, quelque part, leurs esprits)... Les trois interlocuteurs imaginèrent que le chat exilé avait fait des petits : des fils et filles de Verviers qui s’étaient agrippés aux ballons traînés par le tchèt pour à leur tour prendre le chemin de l’ailleurs, d’où ils enverraient de temps en temps de leurs nouvelles. C’est ainsi que les premières lettres imaginaires qui auraient dû être adressées au « Cher Tchèt » se muèrent en lettres aux Verviétois de la part des rejetons du chat. En bons fils et filles de terre wallonne, nous voulions refléter la diglossie qui nous caractérise encore un tant soit peu en rendant hommage à la langue de nos pères. Je proposai d’opter pour un « compromis à la belge » en adoptant pour notre titre une alternance codique français-wallon. Cette proposition de « franlon » plut à notre webmestre (pour parler franglais, tant qu’on est dans l’alternance des codes)… Il fit alors part de cette décision à Edmée de Xhavée qui, décalage horaire oblige, se rallia à notre décision en différé.

« Patricia,
Je suis tout aussi heureux que vous deux. Quelle belle rubrique ! Nous avons longuement cogité ce matin pendant que tu dormais encore, avec Nathalie. Nous avons retenu pour la rubrique : Lettres de nos tchèts volants (c’est-à-dire : vous. On n'écrit donc plus au chat puisque le vent vous a emmenées au bout du monde). Géniale, l'idée. Nathalie a de la ressource. Quelle équipe vous faites déjà ! -Christophe- » 

Vint ensuite le moment de choisir nos noms de plume respectifs. Patricia avait déjà le sien : Edmée de Xhavée, un nom qui fleure bon les familles anciennes et que je me surprenais à automatiquement associer à mes réflexions étymologiques lors de promenades perplexes me menant de Xhavée « en » Crapaurue, via la Place Verte dont le nom coloré m’incitait de plus belle à chercher grenouilles et crapauds! Or le crapaud se mua en prince indien pour m’inspirer mon nom de plume. Mon prénom, Nathalya, s’habilla des consonances espagnoles que me donnèrent mes voisins ibères, tout en s’agrémentant de réminiscences arabes. Quelqu’un m’avait un jour rebaptisée Alya, qui en arabe signifie élévation, tout comme en hébreu d’ailleurs, un syncrétisme cher au « rebaptiseur » et à moi-même. Pour le nom de famille qu’en anglais on qualifie tout simplement de « dernier nom », ce serait Anarkali, qui signifie « fleur de Grenade » en ourdou, et que j’avais emprunté à une danseuse esclave de Lahore, emmurée vivante pour avoir fait tourner la tête au prince héritier, un récit évoqué dans un des billets de notre rubrique. Anarkali a inspiré bien des artistes au gré du temps, et c’est la version de Mousta Largo que j’avais retenue. Car plutôt que d’adopter la guerre livrée entre un père assassin et un fils éploré, l’artiste belgo-marocain avait choisi d’inviter le prince Salim, fou d’amour et de tristesse, à renoncer à son royaume pour parcourir le monde, du Gange au Guadalquivir, à la recherche de beauté, d’harmonie et de respect d’autrui. Le périple de Salim terminait à Grenade, précisément, par une conversation entre le prince indien et le sultan berbère à la veille de son expulsion de la ville. Ceci permettait au conteur-chanteur de laisser une fin ouverte à son histoire, incitant son auditoire à imaginer la suite des événements, et l’invitant à prendre le large pour naviguer vers les rives de tous les possibles.  Edmée et Nathalya trempèrent donc leur plume voyageuse dans l’encrier de l’inconscient revisité, pour voler à tire d’aile dans le ciel de leur carnet de voyage virtuel, ce que j’exprimais ainsi dans mon tout premier billet consacré à un ballon magique envolé depuis Verviers pour atterrir dans un champ de maïs du Mexique:

Un nuage en forme de chat bondissant s’est accroché un instant au sommet enneigé du Mulhacén.  D’un clin d’’œil complice, la vision féline m’invitait à suivre sa course folle en volant de toutes mes plumes dans son sillage blanc pour rejoindre les traces d’Edmée de Xhavée qui nous envoie de ses novèles de l’autre côté de l’Atlantique, depuis chez l’Oncle Sam. Quant à moi, qui ai choisi de vous écrire sous le pseudonyme de Nathalya Anarkali, c’est la terre d’Espagne qui m’a vue atterrir en son sein il y a quatre fois quatre ans, au gré d’un vent drainant de curieux hasards et d’heureuses coïncidences. Ma première contribution à la rubrique Lettres de nos tchèts volants sera un billet aux accents certes hispanisants, mais dont le décor est proche de la terre étasunienne d’où Edmée nous a écrit en novembre dernier, émergeant d’une grappe de ballons rouges et bleus pour célébrer la victoire du premier Président  non-blanc de l’histoire des États Unis. J’ai chapardé à la campagne présidentielle un beau ballon rouge auquel accrocher cette cyber-missive, car il sera aussi le protagoniste de mon histoire.

Maintenant qu’un temps raisonnable s’est écoulé, je peux vous avouer que le nuage en forme de chat était une invention de ma part, me permettant d’ancrer mon propos dès les premiers mots. Eh oui, si je n’ai pas la prétention d’appeler ceci une licence poétique, j’ai toutefois envie de dire qu’il s’agissait d’une « licence accordée par l’authentique », la seule trahison à la réalité dans tout ce texte. Je suis reconnaissante à la muse de m’avoir soufflé cette image, car alors que j’écris ces mots, c’est-à-dire quatre ans et demi après l’évocation de ce ballon lâché un quatre novembre 1975 à l’âge de quatre ans… j’ai « pour de vrai » vu un autre animal se dessiner dans un joli nuage ornant le ciel camarguais, fin mai, quelque part entre les Saintes-Maries-de-la-Mer et Arles, ville jumelée avec Verviers…


 

Cet aigle formé de gouttelettes en condensation en a côtoyé bien d’autres durant tout mon séjour. Des aigles « en plumes et en os » sillonnaient quotidiennement ce ciel de Provence et de Camargue, semblant veiller sur moi et me sourire au nom du marquis Folco de Baroncelli, que ses amis amérindiens rebaptisèrent Zintkala Waste, c’est à dire « oiseau fidèle » en langue lakota.

 


 

C’est aussi la langue lakota qui donnait le titre du second billet d’Edmée de Xhavée; Wopila était en effet consacré au symbolisme de la cérémonie d’action de grâce, si naturelle pour le monde natif en son ensemble. Edmée m’avait mis l’eau à la bouche en m’annonçant la thématique de son article, tout en m’encourageant chaleureusement pour mon premier billet:

"En tout cas j'ai déjà dans ma casserole un article pour Thanksgiving, qui n'a pas besoin d'être publié à ce moment-là précisément, mais je me suis dit que l'occasion était trop belle! J'attends que Nathalya ait mis son article et que tout le monde ait eu le temps de le savourer, car je suis certaine qu'il sera... comme notre Nathalya, plein de couleurs et de rêve. Quelle aventure, je vais faire un tour sur le site demain pendant la journée, et j'espère que tu auras une audience record! Miaou! -Patricia, alias Edmée de Xhavée-"

"Merci, merci Trish pour les augures de mon texte... Note que ça met la pression, là!
Si je ne me suis pas trompée Thanksgiving tombe le 27 cette année, non? Je ne sais pas ce qu'en pense Christophe, mais je crois que ce serait sympa de faire coïncider la publication de ton billet avec la date de la célébration. Moi je peux attendre un peu pour publier le mien en décembre, par exemple le 11, tiens, car c'est un 11 décembre que le Mexicain propriétaire du champ de maïs a écrit sur la carte qu'il y a trouvée. Comme je compte parler dans ce billet de choses assez symbolico-cabalistiques (bon, c juste une façon de parler hein!), ben pourquoi pas publier mon texte juste 33 ans plus tard, jour pour jour! Dites-moi tous deux ce que vous en pensez. J'espère que la petite célébration s'est bien passée, que les gens sont venus nombreux et que tout cela nous fera plein de lecteurs potentiels! Encore merci et bravo Christophe, et à toi Trish pour tes beaux et gentils mots! Besito desde Graná! -Nathalie, alias Nathalya Anarkali-"

Les symboles du calendrier étaient effectivement très forts dans ce texte où je décrivais le parcours extraordinaire de ce petit ballon parti de la cour de l’école Saint Hubert… le jour du saint patron dont elle empruntait le nom. Saint Hubert est le patron des chasseurs et des animaux, qui a connu son chemin de Damas en face à face avec un cerf portant une croix entre les bois. Cet être est puissamment symbolique chez les Indiens des USA, qui laissèrent plus que leurs empreintes sur le territoire de Camargue et dans les terres de Baroncelli, une histoire magique dont je parlerai sans doute ici un jour, et dont vous pouvez d’ailleurs peut-être deviner la teneur en relisant ce billet qui parle du passage du Wild West Show de Buffalo Bill à Verviers. Alors que j’étais à Fontvieille et que je parlais de cette histoire avec un professeur de français du Nouveau-Mexique, nous avons vu passer… un car Léonard de Verviers, ces mêmes cars qui nous avaient emmenés, mes parents et moi, en voyage de Noël pour ma première découverte de cette terre de contrastes… Il n’y a décidément aucun hasard, que des rendez-vous. Cet adage me fut confirmé le surlendemain, lorsque, émerveillée, je prenais le chemin de « l’armoire du Mas du Simbèu », qui contient une relique merveilleuse : l’habit d’apparat d’un des Indiens du show de Buffalo Bill ayant visité ces terres baroncelliennes plus de cent ans auparavant. Un autre marquis, m’emboîtant le pas pour voir ce costume, me parlait de Lamorisse, réalisateur du film Crin Blanc, fils équidé de cette terre, avant de pénétrer dans la pièce emblématique. En cherchant le film en ligne, j’ai eu la chance, non seulement de trouver ce grand classique en entier, mais également un autre moyen-métrage du même réalisateur, qui me semblait le point d’orgue parfait à ce souvenir de mon ballon voyageur. Dans Le Ballon Rouge, un petit Parisien est suivi à la trace par un ballon au caractère bien trempé qui, à sa mort, ameutera tous les autres ballons de la ville qui s’uniront en grappe pour emmener le petit garçon par-dessus les nuages…  Je ne pouvais trouver meilleure illustration à mon histoire d’enfance relatée sur ce site fêtant aujourd’hui ses dix ans ! Meilleurs vœux… et bon vent !!

 

 

[Ce texte est dédié à la mémoire de Bobby Lujan et Miguel Méndez. Bobby, Kin-We-Kuepo-Ka, Indien de Taos Pueblo, décédé le 26 juin 2012, m’avait dit un jour dans sa réserve « The Great Spirit will accompany you » (le Grand Esprit t’accompagnera) ; Miguel,  écrivain chicano d’origine indienne Yaqui, décédé le 30 mai dernier, m’avait dit un jour dans une grotte du Sacromonte « Algún día, podrás escribir » (un jour tu pourras écrire). Le prochain billet de tchèt volant leur sera consacré.]

Mise à jour le Jeudi, 06 Juin 2013 18:42