Mohamed Ramousi : "l'histoire des musulmans d'Occident, de leur rôle et des défis de la citoyenneté
Écrit par Best of Verviers   
Samedi, 21 Avril 2012 09:00

 Le Verviétois Mohamed Ramousi, jeune théologien, a publié récemment un ouvrage aux éditions Bayane et intitulé " La citoyenneté : clef d'une contribution civilisationnelle des musulmans d'Europe". Ce livre traite de "l'histoire des musulmans d'Occident, de leur rôle et des défis de la citoyenneté".

Il nous a paru intéressant de découvrir l'auteur, mais aussi d'appréhender sa démarche notamment suite à ses propos parus dans La Meuse de ce 11 avril 2012 : " Non, il ne faut pas craindre une montée de l’islam à Verviers. La question est d’ailleurs mal posée et excitatoire. Elle n’appelle qu’à la surenchère. Nous vivons une période-charnière dans laquelle il importe de prendre le contre-pied de tout discours excluant. Pour que l’avenir se construise ensemble et non l’un contre l’autre

- Qui êtes vous Mohamed Ramousi ?


Je suis un citoyen belge et j’habite à Verviers.

 

- Quels sont vos liens avec Verviers ?

Je suis un verviétois comme beaucoup d’autres, l’actualité verviétoise et belge m’intéressent, l’avenir encore plus.  


-Qu'est ce qui vous amène à écrire un livre sur La citoyenneté : clef d'une contribution civilisationnelle des musulmans d'Europe" aux éditions Bayane (Paris). ?

Je constate que nous vivons une période transitoire de notre histoire. Aussi, les questions de la diversité et de la cohésion sociale sont incontournables. En ce qui concerne l’islam, bon nombre de questionnements fait le quotidien de beaucoup de personnes, notamment par le relais médiatique qui expose diverses thématiques, parfois dangereuses. Je pense que les musulmans de Belgique et d’Europe de manière plus générale construisent actuellement un discours qui répond à leurs réalités. Humblement, j’apporte ma pierre à l’édifice.


- Quelles sont-elles pour vous ces réalités ?

Il est question des réalités sociologiques, la présence des musulmans en Occident implique une contextualisation de nombreux principes religieux. Cette théorisation constitue un véritable défi permettant de construire une théologie musulmane cohérente avec les nouvelles données sociologiques. Il importe de prendre en considération qu’en ce qui concerne l’islamité des musulmans d’Occident, la base référentielle a été transmise par les pères dans une logique de prolongement de l’islam traditionnel propre aux divers pays d’origine. Ce modèle s’est imposé durant plusieurs décennies et se voit péricliter car non pertinent pour l’Occident et depuis quelques années, d’autres modèles tentent de s’imposer pour ces nouvelles générations qui grandissent en Europe.
 D’un point de vue théologique, le contexte et les us et coutumes sont des éléments pris en considération ainsi que la situation sociopolitique. Ainsi, les nouvelles réalités et la théologie ancestrale devraient être travaillées de sorte à donner plus de cohérence aux musulmans.


- Parlez-nous de votre ouvrage et de ce qui en fait les forces


Ce qui fait la force de cet ouvrage selon moi, c’est l’angle sous lequel la citoyenneté est étudiée car je tente d’avoir une posture théologique référencée. Les musulmans sont divers mais tous croient aux textes scripturaires. Ainsi, il est important d’apporter des réponses et des orientations de manière fidèle à la tradition musulmane, sans rechercher de simples accommodements ou raccourcis, qui dans bien des cas, contredisent cette foi millénaire.
   Tel est la gage d’une citoyenneté assumée et sereine. Aussi, j’estime que l’éducation à la citoyenneté n’est pas l’exclusivité des musulmans mais doit être généralisée afin qu’il n’y ait plus de complexe d’une part ni de sentiment de supériorité de l’autre.


-  Etre fidèle à la tradition musulmane : dans la vie de tous les jours, au sein d'un couple, au sein de sa famille,... quels sont les fondements du quotidien ?

La base conceptuelle de la tradition musulmane repose sur cinq piliers essentiels, quiconque les accomplit sincèrement, le paradis lui est accordé. Il s’agit d’attester de l’unicité de Dieu et de la prophétie de Mohamed, d’accomplir la prière, de donner l’aumône, de jeûner durant le mois de Ramadan et d’accomplir le pèlerinage une fois dans la vie si les moyens financiers et physiques le permettent.
S’il y a tant de débats aujourd’hui, parfois véhéments d’ailleurs, c’est que nombre de notions religieuses sont inconnues ou mal présentées ce qui conduit certaines personnes vers une suspicion.

Du point de vue de la famille et du couple, il y a de grands principes qui ne font pas l’objet d’interprétation dont la fidélité et la prohibition de l’adultère, le soutien mutuel notamment.
Néanmoins, j’entends par éléments propres à leurs réalités, leur rapport au politique et à la société en général.


- Et par rapport au texte scripturaire dont vous parlez, lorsqu'on regarde les acquis en terme d'avancées et de droits pour les femmes ou la relation à l'épouse,... quelle est votre perception de fidélité à la tradition musulmane ?

La fidélité à la tradition musulmane, selon moi, repose sur l’exigence d’une analyse conforme aux sources tout en prenant en considération le contexte. Parler de théologie sous un aspect purement politisé ou sociologique n’est pour moi pas suffisant, de la même manière que parler de l’islam sans  prendre en considération les réalités occidentales est limité. Un juste milieu s’impose à nous car la foi musulmane consiste en deux sources majeures, à savoir la révélation qu’est le Coran ainsi que les propos du prophète Mohamed qui est pour nous, le modèle par excellence.

En résumé donc, j’estime qu’il faille travailler sur des pistes à mi-chemin entre un islam négligeant selon moi des textes et donc mal perçu par la majorité des musulmans et une lecture figée et littéraliste ne répondant pas aux réalités des musulmans d’Europe.
Pour la question de la femme et de l’avancée, l’islam a libéré la femme du moment coranique en lui donnant le droit à l’héritage, le droit de choisir son époux et a prohibé une pratique antéislamique courante, à savoir, le meurtre des nouveau-nées.
Vus sous cet angle, les acquis en termes de traitement égalitaire est intéressant, le droit de vote et à l’autonomie par exemple sont décisifs pour que l’avenir de la société se construise par des hommes et des femmes,  et donc par l’ensemble de la société.



- Votre lecture de l'actualité récente par rapport à votre sujet ?

L’actualité est variée, s’il s’agit du débat concernant les membres du CDH, je pense que le CDH aurait pu faire un geste courageux comme d’autres de leurs confrères l’ont déjà fait afin d’alimenter un vivre ensemble plus inclusif et tolérant. A défaut de pouvoir faire le pas, j’aurais apprécié du parti qu’il accepte le débat démocratique jusqu’au bout et qu’il n’exclut pas monsieur Hajib El-Hajjaji car il a fait part de son cas de conscience. Je pense, au contraire, que s’ils l’avaient accepté, nous aurions compris qu’en effet un débat démocratique eut effectivement lieu au sein du parti et que la majorité à voter pour un non à la candidature de Layla Azouzi sur la liste électorale mais l’idée d’exclusion pour le motif de donner son impression me désole et de surcroit lorsque j’entends monsieur El-Hajjaji affirmer avoir été informé de son exclusion du parti après six années de travail sérieux par les médias, je pense que les termes démocrate et humaniste méritent des actes à la hauteur de ce qu’ils inspirent.

S’il s’agit du débat sur la crainte de l’islam, comme j’ai pu le mentionner dans la presse. Il s’agit pour moi de faux débats, ce qui devrait faire peur aux verviétois, c’est la montée du chômage qui est notre principal problème et cela même pour les diplômés. Les citoyens sont exacerbés par les débats sur le voile ou l’islam alors que le pouvoir d’achat baisse et que les citoyens sont plongés dans un avenir incertain.
Pour le coup, le discours du mouvement réformateur fait poindre à l’horizon des débats quant aux musulmans qui éludent les problèmes de fond d’ordre socio-économique.

Mes amis verviétois qui affirment être des électeurs du Mouvement Réformateur leur font confiance pour fournir un travail sur le plan économique et ne comprennent pas ces débats qui étaient jusque là, le fond de commerce de l’extrême droite. Mais j’entends que la droite à une aile extrême et j’en suis désolé car elle s’éloigne de son esprit pragmatique et efficace et crée un climat d’hostilité à l’égard de la communauté musulmane, et partant, crée une confrontation des communautés qui devraient plutôt s’unir autour de principes forts pour relever nos défis titanesques.


- Votre message de citoyen d'Europe aux musulmans

Je pense qu’il faille aujourd’hui que les musulmans d’Europe soient décomplexés et qu’ils vivent leur citoyenneté de façon naturelle et spontanée. Le complexe d’infériorité n’est pas positif et crée l’impuissance. Pour ce faire, il importe de comprendre que les discours excluant, qu’ils soient d’extrême droite ou de la droite extrême ne sont pas représentatifs de la majorité de la population belge. Loin s’en faut !  Et le fait de penser que c’est représentatif de la majorité, c’est déjà tomber dans le piège.

L’enjeu est important et les défis d’une société se relèvent ensemble.



- "Je pense qu’il faille aujourd’hui que les musulmans d’Europe soient décomplexés et qu’ils vivent leur citoyenneté de façon naturelle et spontanée". Qu'entendez-vous par leur citoyenneté ? En quoi est-elle différente de celle qui est de mise aujourd'hui chez nous?


La citoyenneté est une, c’est donc d’une même chose dont il est question. Néanmoins, la période charnière que nous vivons est celle où les musulmans parlent beaucoup de citoyenneté. Certains, à juste titre, pourraient se demander pourquoi en faire autant sur la citoyenneté, n’est-ce pas être plus royaliste que le roi lui-même ?

En réalité, les musulmans vivent encore nombre de mesures discriminatoires et parler de citoyenneté en pareilles occurrences est normal. Lorsque les choses changèrent aux États-Unis quant à la situation des noirs qui ne pouvaient plus supporter d’être des citoyens de seconde zone, un souffle de mouvements pour les droits civiques s’est imposé jusqu’à obtenir ces droits en faisant face aux conservateurs et aux populismes de tous bords. Ils étaient conscients qu’ils devaient prôner une citoyenneté assumée par eux, certes, mais pas encore intégrée dans l’esprit de leurs opposants.

Toutes proportions gardées, certes, nous vivons une période qui s’apparente à ce schéma de lutte pour les droits et la citoyenneté, la même que les autres, est prônée pour être entendue et intégrée. Hier, ces derniers parlaient de citoyenneté, aujourd’hui, nous en parlons aussi.


Je pense aussi que l’honnêteté  nous pousse à dire que le débat ne concerne pas uniquement l’islam mais qu’il est étroitement lié à celle de l’immigration. Il y a quelques années, les débats sur l’immigration constituaient le quotidien médiatique et la question n’a pas été résolue, comment se fait-il donc qu’on n’en parle plus ou très peu ? La question ne s’est pas résolue par miracle.

En réalité, ces débats se sont transformés en ceux sur l’islam. C’est l’un des facteurs sociologiques qui pousse les musulmans à parler en termes de citoyenneté.

- Votre espoir pour les musulmans d'Europe ?

J’ai l’espoir que demain, nous n’ayons plus à parler du voile, que nous n’ayons plus à parler du radicalisme, que plus personne ne soit effrayé par l’une ou l’autre communauté, que la tolérance et le respect soient des faits et non des théories. J’ai l’espoir que les politiciens œuvrent dans le sens de la bonne entente entre les citoyens et qu’ils ne les confrontent pas.

 

 

 

LA CITOYENNETÉ CLE D'UNE CONTRIBUTION CIVILATIONNELLE par Mohamed RAMOUSI

Le résumé : Parler de citoyenneté pour les musulmans recouvre deux dimensions. Premièrement, un discours appuyant l’idée d’une citoyenneté assumée – constituant le socle commun - et un discours théologique référencé, tant au niveau des sources de l’islam que des réalités vécues. Deuxièmement, la déconstruction des argumentations qui freinent cette présence citoyenne et positive des musulmans est de mise pour prendre le contre-pied des discours les plus excluant. Ceci nous permettra de démontrer que la citoyenneté est théologiquement légitime et qu’elle constitue la clef de voûte pour un apport des musulmans d’Occident dans leurs pays respectifs.
Des organismes de recherche ainsi que des penseurs ont fourni des efforts épistolaires durant ces dernières années mais la complexité du sujet exige une attention particulière et mérite d’être orientée car l’engagement intellectuel pour plus de cohérence dans la vie du musulman n’est pas encore arrivé à concrétiser ses ambitions et l’ambigüité persiste. .

Mise à jour le Samedi, 21 Avril 2012 09:51