Le Dictionnaire des belgicismes
Écrit par Albert Moxhet   
Lundi, 16 Août 2010 20:18

Non, les belgicismes ne sont pas une maladie honteuse.

Et pourtant, jusque dans les années 1970, depuis l’école primaire jusqu’à l’université, ainsi que dans d’autres milieux très puristes, on se livrait à une impitoyable chasse aux belgicismes, une chasse fondée sur le vieux principe qu’ « il n’est bon bec que de Paris » et qu’il fallait donc éradiquer tout ce qui s’écartait du français tel qu’on le parle à Paris. Ce qui est d’ailleurs une forme de snobisme ridicule, il suffit, pour en être convaincu, de constater que, depuis longtemps déjà, les parisiens ont tué des sons comme « un », par exemple, devenu « in ».

On sait qu’en France, dès avant Louis XIV, les particularismes locaux ont toujours été combattus comme étant une atteinte à l’autorité de l’État et que la IIIe République, avec ses « hussards noirs » - les instituteurs – a été très répressive dans le domaine de la langue, qu’on se souvienne de l’humiliation sociale infligée aux petits Bretons qui osaient utiliser leur langue dans la cour de récréation. Il en fut de même chez nous avec le wallon.

 

Et puis, en 1979, Albert Doppagne publia un ouvrage consacré aux Belgicismes de bon aloi. C’était un premier pas, car, si, jusque là, les dictionnaires français acceptaient des termes régionaux n’ayant pas d’équivalents dans le français académique, ils ne pouvaient provenir que du territoire de l’Hexagone ou, à la limite, d’une ancienne colonie indépendante depuis peu.

Mais pas de régions francophones non françaises. La Belgique a dès lors joué un rôle important dans l’ouverture vers les usages francophones de Belgique, de Suisse, du Québec et d’autres zones où l’on parle le français dans le monde.

En effet, le Verviétois Jean-Marie Klinkenberg, professeur à l’Université de Liège, apprécié de manière internationale pour ses travaux sur les sciences du langage, participa largement à un mouvement destiné à faire tomber le mépris dans lequel on tenait les usages linguistiques francophones non français. C’est ainsi que le Larousse compte actuellement quelque 600 belgicismes qu’il a sélectionnés.

On sait que Jean-Marie Klinkenberg vient d’être nommé Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres par le ministre français de la Culture, Frédéric Mitterrand.  D’autre part, à l’Université catholique de Louvain, l’équipe du professeur Michel Francard, se consacrant essentiellement à des recherches sur les variétés du français et leurs rapports avec leur environnement culturel, social et politique, travaillait dans le même sens et faisait entrer 350 belgicismes dans le Petit Robert.

C’est la même équipe que l’on retrouve à l’origine du Dictionnaire des belgicismes qui vient de paraître aux éditions De Boeck-Duculot. L’ouvrage est dirigé par Michel Francard et est le fruit d’un travail intense mené durant dix ans par la Verviétoise Geneviève Geron et sa collègue Régine Wilmet, rejointes plus tard par la post-doctorante française Aude Wirth.

L’ouvrage se présente effectivement sous la forme d’un dictionnaire qui contient 2000 belgicismes, qui sont soit des mots ou expressions « de chez nous » (cuberdon, maquée, noquette,…), soit des termes dont l’usage en Belgique diffère de celui que l’on rencontre en France (humanités, licence, préfet,…).

À chaque entrée correspond sa transcription phonétique, sa catégorie grammaticale, les définitions illustrées d’exemples, des informations complémentaires, un bref commentaire sur la vitalité du terme et sa diffusion en Belgique et dans la Francophonie, la comparaison avec le français de référence, l’origine du mot. L’enquête qui est à la base de ce dictionnaire a été menée auprès d’une centaine d’informateurs en Wallonie et à Bruxelles. On ne peut qu’admirer le travail minutieux fourni par les enquêtrices et la somme de documentation qu’elles ont accumulée dans tous les domaines touchés par les termes retenus afin d’en donner des définitions précises, nuancées selon les régions et actualisées.

Précieux outil pour la connaissance des usages linguistiques propres à notre pays, cet ouvrage a le grand avantage d’en dresser un portrait détaillé sans lancer la moindre condamnation. 

Ancien étudiant de Michel Francard, Bruno Coppens a donné ici, en guise de préface, un texte qui n’est pas son meilleur sketch et pousse la caricature justement dans le sens contraire à ce qui nous semble être le propos général de l’ouvrage.          

Albert Moxhet 

Référence : Michel Francard, Geneviève Geron, Régine Wilmet, Aude Wirth, Dictionnaire des belgicismes, préface de Bruno Coppens, Bruxelles, De Boeck Duculot, 2010, ISBN 978-2-8011-1608-1  

Mise à jour le Mardi, 31 Août 2010 16:39