L'Enfant Cheval
Écrit par Jean Wiertz   
Dimanche, 16 Août 2009 19:42
 

 Un film de Samira Makhmalbaf (Iran/Afghanistan 2008) Un terrain vague, parsemé de monticules de briques, d’orifices, de tuyaux abandonnés, et dont s’échappent des fumées.

Un homme s’y promène et annonce qu’il cherche un garçon capable de porter son maître, pour un salaire d’un dollar par jour. Surgissent alors des trous et des tuyaux des dizaines d’enfants intéressés par l’offre. Le maître est en fait un enfant cul-de-jatte d’une dizaine d’années, et c’est Guiah, un garçon du même âge, grand et fort, mais handicapé mental, qui est retenu.

Guiah porte son maître à l’école. Pendant que l’instituteur du village enseigne le calcul à la classe, Guiah est relégué dans l’étable avec les ânes, et il y observe une jument qui donne des coups de sabots pour obliger son tout jeune poulain à se lever. La scène lui fera accepter au début les coups que lui porte son maître, quand il tombe pendant les joutes qui les opposent aux autres enfants de la classe…

 

Alors que la situation exposée semble relever de la fable, de l’allégorie ou du conte moral, on est très rapidement surpris par la démarche de la cinéaste. On s’attend à un traitement privilégiant le général et l’abstrait, mais la cinéaste multiplie les détails qui « font vrai », comme par exemple le bourdonnement des mouches à proximité des animaux, les glaires sur le jeune poulain…Réalisme également obtenu par l’interprétation d’un naturel époustouflant des deux jeunes acteurs (Ziya Miza Mohamad et Haron Ahad). Samira Makhmalbaf confirme ici son talent à capter les moindres mimiques de ses jeunes interprètes, et à assurer une direction d’enfants quasi inégalée au cinéma.

 

Suivant ainsi une logique hyperréaliste, la cinéaste nous montre comment les deux enfants vont s’apprivoiser, en mettant en jeu toutes les émotions humaines : volonté de puissance, joies, désir, jalousie, amour, partage ; les deux enfants finiront par s’entendre, et le Maître acceptera que Guiah prenne son bain avec lui.

 Mais là où d’autres cinéastes se seraient arrêtés, en faisant de ce thème une nième variation sur la complémentarité et l’acceptation des différences, la réalisatrice nous plonge progressivement, au cours du derniers tiers du film, dans les profondeurs abyssales de l’esprit humain, lorsque le plaisir et le culte de l’argent deviennent les préoccupations principales.

On sait que l’innocence des enfants est un leurre et que, livrés à eux-mêmes, les petits d’hommes peuvent se montrer cruels à l’égard de ceux que le groupe aura exclus. La cinéaste pointe ici du doigt les carences de l’éducation : les parents/adultes sont absents/démissionnaires, et l’école se limite à donner des notions de calcul, les enfants restant de la sorte étranger à toute conscience morale.

 

L’action se situe dans un petit village afghan, où, on peut le supposer, 30 années de guerre auront anéanti tout espoir, toute volonté de développer encore un projet commun. Ce cri désespéré, lancé par une cinéaste du Moyen-Orient, renvoie à des situations similaires ailleurs dans le monde.

 

Les sentiments de la jeune cinéaste prodige (29 ans, et déjà 4 remarquables films à son actif) sont traduits dans une œuvre d’une très grande force visuelle. Citons par exemple la séquence onirique où les deux enfants se mêlent à un tournoi de Bouz Kachi (jeu traditionnel afghan, où des cavaliers se disputent un bouc décapité), par laquelle la cinéaste juxtapose un présent tragique et un passé heureux.

 

Un film remarquable, autorisant d’ailleurs différents niveaux de lecture, à ne pas manquer !

 

 

Mise à jour le Jeudi, 13 Août 2009 07:11