Alain Corneau
Écrit par Jean Wiertz   
Mercredi, 19 Janvier 2011 19:38
 

 Le décès d’Alain Corneau à 67 ans, en août 2010, a un peu assombri la brillante année cinématographique qu’a été 2010. 

Bref retour sur un cinéaste majeur. « Nous avons tous deux vies : la vraie, celle que nous avons rêvée dans notre enfance, et que nous continuons à vivre, adultes, sur un fond de brouillard ; la fausse, celle que nous vivons dans nos rapports avec les autres, qui est la pratique, l’utile, celle où l’on finit par nous mettre au cercueil »

 

 

Cette curieuse réflexion du poète portugais Fernando Pessoa, citée dans « Nocturne Indien » est en filigrane d’une grande partie de l’œuvre d’Alain Corneau.

De film en film, comme un leitmotif, le réalisateur décrit cette sorte de schizophrénie constitutive de l’être humain, déchiré entre ses aspirations profondes et la nécessité de s’accommoder des aléas de la vie et des besoins d’autrui.

La fuite du quotidien vers un ailleurs est le lot de tous ses héros ; cet ailleurs est tantôt un amour illusoire (un inspecteur de police s’amourache d’une jeune fille fantasque dans « Police Python 357 »), des rêveries à propos d’un être cher disparu (un maître de la viole, Monsieur de Sainte-Colombe, s’enferme dans le souvenir de sa jeune épouse décédée dans « Tous les Matins du Monde »), les lieux de l’enfance (une jeune maman échappe à ses peurs en se réfugiant dans un cabanon sur la plage dans « Les Mots Bleus »), les fantasmagories (Franck Poupart se la joue en gangster et en musicien de jazz au début de « Série Noire »), ou encore une autre culture ; ainsi, Amélie par exemple, fascinée par la culture japonaise, quitte la Belgique pour aller travailler dans une prestigieuse entreprise au Japon dans « Stupeur et tremblements » ; un jeune homme part à la recherche de son ami disparu et fait l’expérience de la culture indienne dans « Nocturne Indien » ; Charles Saganne quitte la morosité de la vie de garnison pour le Maghreb dans « Fort Saganne » ;ou encore le jeune Patrick Carrion épouse la culture américaine et rejoint un groupe de jazz dans « Le Nouveau Monde ».

Mais cette vie rêvée n’apporte pas le bonheur espéré, soit qu’elle entre en conflit avec les besoins des autres, ou avec les contingences politiques du moment, soit qu’elle se heurte à ses propres limites. Ainsi, l’esprit de l’épouse à Monsieur de Sainte-Colombe : »Il n’y a rien à toucher Monsieur que du vent. Croyez-vous qu’il n’y a pas de souffrance à n’être que du vent ? Parfois, le vent porte la musique jusqu’à nous. Parfois, la lumière porte jusqu’à vous des apparences ».

De cette confrontation avec d’autres cultures, avec les aléas de l’Histoire ou avec les autres  naît alors une seconde vie : c’est parce qu’il trouve plus odieux que lui que Franck Poupart ne sombre pas, comme Macbeth ; c’est le père d’Alain qui brise à jamais son rêve de jeunesse, mais qui aussi sauve in extremis la vie de celle qui l’aime.L’altérité, comme le dieu Shiva évoqué dans « Nocturne Indien » est à la fois source de destruction et de régénération.

Le parcours des personnages d’Alain Corneau est toujours aléatoire. Le réalisateur ne cède jamais au romantisme et au manichéisme, ni à l’ironie ou au sarcasme. La narration est détendue, attentive aux petits détails qui font la trame du quotidien. L’émotion naît de la vérité humaine qui se dégage de ses séquences. Il évite toute stylisation autre que celle imposée par le sujet abordé, et refuse toute dramatisation.En tant qu’ancien musicien de jazz, Alain Corneau à maintes fois utilisé la musique pour donner sens aux séquences filmées (celle de Christophe dans « Les Mots bleus », de Claude François dans « Série Noire », de Schubert dans « Nocturne Indien »). Elle constitue même l’une des thématiques principales dans deux films : la musique américaine (rock, gospel, jazz) d’après-guerre dans « L e Nouveau Monde », la musique ancienne et baroque dans « Tous les Matins du Monde ». Ce film, biopic de Marin Marais et Monsieur de Sainte-Colombe, est d’ailleurs l’un des seuls films où des artistes s’interrogent sur les fondements et la finalité de leur art.

Le travail d’Alain Corneau a été très joliment décrit par Bison Katayama, un des interprètes japonais de « Stupeur et Tremblements » : « A la manière d’un musicien, il joue de l’objectif de sa caméra pour obtenir plusieurs tonalités, interpréter une scène de plusieurs manières, et confère à une scène simple beaucoup de profondeur. Et toutes ses images s’assemblent comme 

des notes pour composer un swing de jazz. »

 

 

 

Mise à jour le Mardi, 25 Janvier 2011 19:19